Le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, sera jugé du 6 au 17 novembre pour des soupçons de prise illégale d'intérêts devant la Cour de justice de la République (CJR), une première dans l'histoire de la Ve République pour un ministre en exercice.
L'ancien avocat pénaliste va être jugé par trois juges professionnels issus de la Cour de cassation, la plus haute juridiction judiciaire de France, et douze juges parlementaires (six députés et six sénateurs).
Il est soupçonné d'avoir usé de ses fonctions de ministre pour régler des comptes avec des magistrats avec lesquels il avait eu maille à partir quand il était avocat.
La Cour de cassation a rejeté le 28 juillet les huit pourvois formés par le ministre, validant ainsi son renvoi devant la CJR, seule habilitée à juger des ministres pour des infractions commises dans l'exercice de leurs fonctions.
Le procureur général près la Cour de cassation, Rémy Heitz, représentera l'accusation à ce procès.
L'association de lutte contre la corruption Anticor, l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) et le Syndicat de la magistrature (SM, gauche) avaient déposé plainte contre le ministre auprès de la CJR à l'automne 2020.
Le procès du ministre de la Justice et son issue pourraient remettre en question l'avenir politique d'Eric Dupond-Moretti, confirmé comme garde des Sceaux lors du récent remaniement ministériel.
Fin juillet, la Première ministre Elisabeth Borne avait déclaré qu'il gardait "toute (sa) confiance".
Le ministre avait lui dit "prendre acte" de la décision de la Cour de cassation et "atten(dre) avec confiance de se présenter devant" la CJR. L'audience "mettra en lumière l'inexistence d'un quelconque conflit d'intérêt dans cette affaire", avaient soutenu ses deux avocats.
Sollicitée par l'AFP, la Chancellerie n'a pas fait de commentaires.
Les avocats de M. Dupond-Moretti n'avaient pas répondu aux sollicitations de l'AFP en milieu d'après-midi.
Dans cette information judiciaire ouverte début 2021, un premier dossier concerne l'enquête administrative ordonnée en septembre 2020 à l'encontre de trois magistrats du Parquet national financier (PNF).
Ceux-ci avaient fait éplucher ses factures téléphoniques détaillées (fadettes) quand M. Dupond-Moretti était encore une star du barreau, afin de débusquer une éventuelle taupe qui aurait informé l'ex-président Nicolas Sarkozy qu'il était sur écoute, dans l'affaire de corruption dite "Paul Bismuth".
- Une instance contestée -
Le second dossier concerne l'enquête administrative contre un ancien juge d'instruction détaché à Monaco, Edouard Levrault, qui avait mis en examen un de ses clients quand M. Dupond-Moretti était avocat.
Ce dernier avait alors critiqué ses méthodes de "cow-boy".
Aucun de ces quatre magistrats n'a été sanctionné. Ils avaient été mis hors de cause par l'organe disciplinaire des magistrats.
M. Dupond-Moretti a toujours nié avoir usé de ses prérogatives pour régler des comptes personnels, arguant n'avoir fait que suivre "les recommandations de son administration".
Son procès va se dérouler devant une instance contestée par une partie de la classe politique et certains juristes et magistrats.
Créée par la révision constitutionnelle du 27 juillet 1993, après le scandale du sang contaminé, pour remplacer la Haute-cour de justice, la CJR juge les ministres pour des crimes ou délits commis dans le cadre de leurs fonctions.
Les infractions commises par ces personnes sans lien avec la conduite de la politique de la Nation sont elles du ressort des juridictions pénales de droit commun.
Sa composition, judiciaire et politique, suscite des doutes quant à son impartialité.
En trente ans d'existence, la CJR a prononcé des jugements contre onze anciens ministres ou secrétaires d'Etat. Aucun d'eux n'a été condamné à une peine de prison ferme.
La dernière condamnation prononcée par la CJR remonte à octobre 2022, contre l'ancien secrétaire d'Etat aux Anciens combattants, Kader Arif.
Lancés par Eric Dupond-Moretti, les Etats généraux de la justice ont proposé la suppression de la CJR et "d'aligner sur le droit commun les règles de procédure et de compétence applicables aux membres du gouvernement, sous réserve de l'institution d'un dispositif de filtrage".
3 Commentaires
Ibson
En Septembre, 2023 (15:45 PM)Mara Sall
En Septembre, 2023 (18:16 PM)L'état de droit au vrai sens du terme.
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