Une jeune femme s’est vue refuser l’accès à un bus de la RATP à Paris au motif que sa tenue était trop légère aux goûts du chauffeur, lequel reconnaît «une faute de service» mais conteste cette version des faits. Jeannette Bougrab dénonce le communautarisme qui s’insinue dans l’espace public.
Jeannette Bougrab est docteur en droit public de la Sorbonne, ancienne universitaire, ancienne présidente de la HALDE et ancienne Secrétaire d’État. Elle vient de publier une Lettre aux femmes voilées et à ceux qui les soutiennent (éd. du Cerf, 2019).
Elise a 29 ans. Elle était de sortie ce soir-là, avec une amie, dans le XIXe arrondissement. Elle portait une jupe. Terminant leur dîner, elles choisirent de rentrer en bus. Il était déjà certes 23 h 00. Mais l’autocar arriva vite. Il s’arrêta à la station Botzaris. Toutefois à leur grande stupeur, le chauffeur refusa d’ouvrir la porte. Il redémarra et repartit sans elles. Quelques mètres plus loin, le feu passa au rouge. Elise se mit alors à courir pour comprendre pourquoi cet agent du service public manqua à ses obligations en ne les faisant pas entrer dans le bus? Et là, cet homme répondit: «tu n’as qu’à bien t’habiller» en regardant les jambes d’Elise que sa jupe laissait découvrir.
En rentrant, la jeune femme raconta sa mésaventure à son père, le poète Kamel Bencheikh. Cet homme courageux n’hésite pas à dénoncer les barbus qui dans sa ville natale de Sétif ont vandalisé la statue de la femme nue de la fontaine Ain El Fourara réalisée en 1898 par le sculpteur français Francis de Saint-Vidal. Il est évidemment estomaqué, qu’en France, dans la ville lumière, une femme soit victime de ces mêmes islamistes au rapport maladif à la femme, au corps et au désir pour reprendre les propos de l’oranais Kamel Daoud.
D’autres traitent de «sale pute» celles qui ont le malheur de porter une tenue, selon leurs critères, un peu trop provocante »
C’est par un post publié sur Facebook que ce père poussa un cri de révolte pour dénoncer un chauffeur qui refusa d’ouvrir les portes de son bus parce que sa fille portait une jupe.
Comment ne pas penser au personnage de fiction, Sonia Bergerac, incarné par Isabelle Adjani, dans le film La Journée de la jupe où elle interprète un professeur de français dans un collège difficile? Malgré les remarques du proviseur, elle continue de porter une jupe. Ne supportant plus le comportement déplacé des adolescents et découvrant un jour une arme à feu dans le sac de l’un d’eux, elle s’en empare. Elle exige de pouvoir donner son cours normalement et demande l’instauration d’une «journée nationale de la jupe obligatoire dans les collèges».
Mais là, on n’est pas dans la fiction. Chaque jour passant le tableau s’assombrit. Deux journalistes du Nouvel observateur, avaient déjà révélé que des conducteurs de Bus, de métro et de RER refusaient de s’asseoir sur un siège occupé antérieurement par une femme, pire «certains s’enferment à clé dans les locaux réservés au personnel, interdisant aux femmes d’y entrer. D’autres traitent de «sale pute» celles qui ont le malheur de porter une tenue, selon leurs critères, un peu trop provocante». Cet article avait été publié le lendemain de l’attentat du Bataclan faisant plus de 90 morts, le 13 novembre 2015. L’un des trois assaillants Samy Amimour avait travaillé pendant presque deux années à la RATP au fameux dépôt du 93, en Seine Saint-Denis où il était affecté. Ce site traîne toujours cette mauvaise réputation d’abriter des «barbus».
Plus que jamais on devait être capable de tirer des conséquences quand des salariés ou agents musulmans radicaux témoignent de cette hostilité à l’endroit des femmes. Mais comment faire quand le licenciement d’un chauffeur de bus de Clermont-Ferrand qui refusait de serrer la main à ses collègues féminines a été jugé «sans cause réelle et sérieuse» par le conseil des prud’hommes? La juridiction condamna même l’employeur à verser une indemnité de 27.000 euros à son ancien salarié.
Doit-on se résigner à laisser l’obsession permanente des intégristes pour le corps de la femme se manifester comme dans le quartier Chapelle-Pajol ?
Devant l’indignation soulevée par le comportement de cet agent à l’encontre d’Elise et son amie, la RATP a décidé d’entamer une procédure disciplinaire à l’encontre de ce conducteur qui selon la Régie travaille depuis quatre ans dans l’entreprise et qui «n’a aucun antécédent dans son dossier» et «n’a jamais eu à faire l’objet d’observation ou de sanction quant à son comportement». Ces éléments laissent à penser en réalité qu’il ne se passera sans doute rien.
Pour autant doit-on se résigner à laisser l’obsession permanente des intégristes pour le corps de la femme se manifester comme dans le quartier Chapelle-Pajol dans le 18e arrondissement où les femmes sont chassées? Elles ne peuvent plus se déplacer seules, ni porter des jupes ou des vêtements moulants sans se faire injurier et agresser. La rue, les trottoirs, les cafés, les bars, les squares leur sont désormais interdits. L’espace public est devenu le territoire des intégristes et ils font régner leur loi comme des petits caïds. Le président de la République, Emmanuel Macron dans sa conférence de presse n’a-t-il pas fait le même constat: «On parle du communautarisme qui s’est installé dans certains quartiers de la République (…) On parle d’une sécession qui s’est parfois sournoisement installée (…) On parle de gens qui au nom d’une religion poursuivent un projet politique, celui d’un islam politique qui veut faire sécession avec notre République.» Parce que je me refuse de voir notre France de Voltaire réduite à celle de Soumission de Houellebecq, j’en appelle plus que jamais au combat contre ce communautarisme qui nous ronge de l’intérieur et détruit sournoisement ce que nous sommes.
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