Le Sénégal n’en a pas encore fini avec l’affaire Hissène Habré. Après sa réunion du 17 mai dernier, le Comité des Nations-Unies contre la torture lui donne un délai de 90 jours pour prendre une décision sur la suite à donner au cas de l’ancien président tchadien. Avec une offre de choix fortement réduite. Au bout de cette échéance, le Sénégal doit juger Hissène Habré où l’extrader vers la Belgique ou vers tout autre pays prêt à le juger. Un ultimatum qui montre que les arguments du Sénégal, qui a défendu sa position, n’ont pas convaincu les «juges» des Nations-Unies, qui estiment qu’il a violé l’article 5 de la convention contre la torture qu’il a été le tout premier à ratifier.
L’ancien chef de l’Etat tchadien est vraiment un hôte encombrant pour le Sénégal. Non seulement il lui vaut une condamnation de la part du Comité des Nations-Unis contre la torture, mais en plus, cette structure n’offre pas tellement de choix au pays de la Téranga. Réuni le 17 mai 2006 à Genève, le Comité contre la torture, institué conformément à l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, donne au Sénégal un ultimatum de trois mois pour prendre une décision concernant l’ancien Président tchadien.
En effet, le Comité contre la torture «souhaite recevoir de l’Etat partie (Ndlr : Le Sénégal), dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses recommandations». C’est-à-dire que le Sénégal doit se conformer à l’article 5, paragraphe 2, de la Convention contre la torture et «adopter les mesures nécessaires, y compris législatives, pour établir sa compétence relativement aux actes dont il est question» dans le cas de l’affaire Habré. S’y ajoute que notre pays «est tenu, conformément à l’article 7 de la Convention, de soumettre la présente affaire à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale».
Le cas contraire et dans la mesure où il existe une demande d’extradition émanant de la Belgique, il est intimé au Sénégal «de faire droit à cette demande ou, le cas échéant, à tout autre demande d’extradition émanant d’un autre Etat en conformité avec les dispositions de la Convention». Et le Comité d’insister sur le fait qu’en refusant de donner suite à la demande d’extradition de la Belgique, le Sénégal «a une nouvelle fois manqué à ses obligations en vertu de l’article 7 de la Convention».
D’ailleurs, le Comité ne se prive pas de rappeler qu’en vertu de l’article 7 de la Convention contre la torture, le Sénégal «sur le territoire sous la juridiction duquel l’auteur présumé d’une infraction visée à l’article 4 est découvert, s’il n’extrade pas ce dernier, soumet l’affaire, dans les cas visés à l’article 5, à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale». Et d’expliquer qu’à cet égard, l’obligation de poursuivre l’auteur présumé d’actes de torture ne dépend pas de l’existence préalable d’une demande d’extradition à son encontre.
OPTIONS
Surtout que, précise-t-on dans le compte-rendu de l’organe des Nations-Unies, cette alternative qui est offerte à l’Etat partie, donc le Sénégal, en vertu de l’article 7 de la Convention, n’existe que lorsqu’une telle demande d’extradition a effectivement été formulée. Le cas échéant, l’Etat partie n’a que deux options : procéder à ladite extradition ou soumettre l’affaire à ses propres autorités judiciaires pour le commencement de l’action pénale. Cela, dans le souci «d’éviter l’impunité pour tout acte de torture».
Ces recommandations, qui sonnent comme des leçons aux autorités sénégalaises, résument en quelque sorte, les délibérations du Comité qui a apprécié les arguments des requérants tchadiens et ceux de la défense sénégalaise. En fait, considérant «qu’en faisant la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention» le Sénégal «a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation de la Convention», les «juges» des Nations-Unis, «agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22», concluent alors que le Sénégal «a violé les articles 5, paragraphe 2, et 7» de ladite Convention.
Cela d’autant plus, constate l’organe des Nations-Unies, à partir du 19 septembre 2005, le Sénégal se trouvait dans une autre des situations prévues par ledit article 7, puisqu’une demande formelle d’extradition avait alors été formulée par la Belgique. Donc à ce moment, il y avait une alternative : extrader Hissène Habré à défaut de le présenter aux autorités judiciaires pour l’exercice de poursuites pénales. Or, en libellant ses délibérations, le Comité rappelle qu’en vertu du paragraphe 2 de l’article 5 de la Convention, «tout Etat partie prend [?] les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître desdites infractions dans le cas où l’auteur présumé de celles-ci se trouve sur tout territoire sous sa juridiction et ou ledit Etat ne l’extrade pas [?]».
En outre le Comité dit constater qu’en date du 25 novembre 2005, la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar s’est déclarée incompétente pour statuer sur une demande de la Belgique pour l’extradition de Hissène Habré. Et de regretter que le Sénégal n’ait pas pris les mesures idoines à cet effet. D’autant qu’il souligne que le Sénégal n’a pas contesté, dans ses observations sur le fond, qu’il n’avait pas adopté ces «mesures nécessaires» visées par cet article 5 en son paragraphe 2. En outre, le Comité constate que la Cour de Cassation sénégalaise «a considéré elle-même que ces mesures n’avaient pas été prises par l’Etat partie. De plus, il considère que le délai raisonnable dans lequel l’Etat partie aurait dû remplir cette obligation est largement dépassé».
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