L’Iran a livré des missiles balistiques à des milices chiites alliées en Irak et y développe des capacités de production pour protéger ses intérêts et se donner les moyens de riposter à une attaque de ses ennemis dans la région, a-t-on appris de sources occidentales, irakiennes et iraniennes.Toute stratégie militaire plus offensive de la part de l’Iran est susceptible d’attiser les tensions avec les Etats-Unis, déjà vives depuis la décision de Donald Trump de se retirer de l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien, et d’embarrasser les pays européens qui s’efforcent de sauver l’accord.
La France, en particulier, s’est agacée de la poursuite du programme balistique iranien et a appelé Téhéran à négocier sur ce dossier, jeudi même par la voix du ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, qui a invité le pays à “éviter cette tentation hégémonique qu’il manifeste”. Adversaire régional des pays sunnites du Golfe et d’Israël, l’Iran est accusé par les puissances occidentales de fournir missiles et technologies d’armement à des milices chiites qui combattent en Syrie au côté du régime de Damas ainsi qu’aux rebelles Houthis au Yémen et au Hezbollah libanais.
Selon deux sources sécuritaires occidentales, trois responsables iraniens et deux sources sécuritaire irakiennes, Téhéran a transféré ces derniers mois des missiles à des groupes en Irak. Cinq des responsables précisent en outre que l’Iran a poussé ces groupes à lancer leur propre production balistique. “La logique était d’avoir un plan B si l’Iran était attaqué”, explique un haut responsable iranien.
“Le nombre de missiles n’est pas élevé, juste quelques dizaines, mais il peut être augmenté si nécessaire.” L’Iran assure que ses activités balistiques sont par nature purement défensives. Sollicités par Reuters, des responsables iraniens ont refusé de commenter officiellement ces informations. Le gouvernement et l’armée irakienne n’ont pas fait non plus de commentaire.
De source occidentale, on confirme que quelques dizaines de missiles ont été transférés et que cela a été perçu comme un avertissement lancé aux Etats-Unis et à leurs alliés après des frappes aériennes israéliennes contre des objectifs iraniens en Syrie. “Il semblerait que l’Iran soit en train de faire de l’Irak une base avancée pour ses missiles”, ajoute-t-on de même source. Les missiles en question - Zalzal, Fateh-110 et Zolfaghar - ont des portées comprises entre 200 et 700 kilomètres, soit une distance suffisante pour atteindre la capitale saoudienne Ryad, ou Tel Aviv en Israël, mais aussi les forces américaines dans la région, s’ils sont tirés de bases dans l’ouest ou le sud de l’Irak.
CHAÎNE DE PRODUCTION EN IRAK
Ces bases, placées sous le contrôle de la force Al Qods, l’unité d’élite des Gardiens de la révolution iranienne chargée des opérations sur les théâtres extérieurs, sont supervisées par le général Qassem Soleimani, précisent trois des sources. Si la décision d’utiliser des milices pour produire des missiles en Irak a été prise il y a un an et demi, ce n’est que récemment qu’une accélération de l’activité a été constatée, avec notamment l’arrivée de lanceurs de missiles, disent les sources iraniennes ainsi qu’une source sécuritaire irakienne.
“Nous possédons des bases comme celles-là dans de nombreux endroits et l’Irak est l’un d’entre eux. Si l’Amérique nous attaque, nos amis attaqueront les intérêts américains et leurs alliés dans la région”, déclare un haut commandant des Gardiens de la révolution, vétéran de la guerre Iran-Irak dans les années 1980.
De source occidentale et de source sécuritaire irakienne, on précise que les usines choisies pour cette fabrication locale sont situées à Al Zafaraniya, à l’est de Bagdad, et à Djourf al Sakhar, au nord de Kerbala. Une autre source iranienne évoque un troisième lieu de production dans le Kurdistan irakien. Toutes les zones citées sont sous le contrôle de milices chiites, notamment le groupe Kataëb Hezbollah (ou Hezbollah irakien), l’un des plus proches de Téhéran.
Plusieurs sources confirment que des Irakiens ont été formés en Iran au maniement des missiles. De source sécuritaire irakienne, on précise que le site d’Al Zafaraniya a déjà servi à produire des ogives ainsi que des moules en céramique de missiles sous l’ancien président Saddam Hussein, avant d’être réhabilité en 2016 par des miliciens chiites aidés par l’Iran. Des ingénieurs chiites autrefois employés par l’usine ont même été sollicités pour la rendre à nouveau opérationnel. Des essais de missiles ont été menés près de Djourf al Sakhar, ajoute-t-on de même source.
LA LUTTE CONTRE L’EI DÉTOURNÉE
La CIA américaine et le Pentagone se sont refusés à tout commentaire. Sous couvert de l’anonymat, un responsable américain a cependant confirmé le transfert récent de missiles sans se prononcer sur les capacités de lancement des bases. Une source sécuritaire régionale, qui estime que l’Iran entrepose un certain nombre de missiles balistiques dans des zones sous contrôle chiite, se dit cependant dans l’incapacité de confirmer l’existence d’une chaîne de production iranienne en Irak.
Un second responsable des renseignements irakiens indique que des missiles iraniens ont été livrés aux milices chiites dans le cadre de la lutte contre le groupe djihadiste sunnite Etat islamique et que les livraisons se sont poursuivies après la défaite de Daech en Irak. “Il était clair pour les services de renseignements irakiens que l’arsenal balistique envoyé par l’Iran n’était pas destiné à la lutte contre Daech mais représentait plutôt un moyen de pression mobilisable par l’Iran en cas de conflit régional”, dit-il.
“Nous ne pouvons empêcher ces milices de tirer des missiles iraniens, tout simplement parce que les commandes ne sont pas dans nos mains, ce sont les Iraniens qui les contrôlent”, ajoute-t-il. En 2016, le Parlement irakien a voté une loi pour intégrer la coalition de milices chiites des Unités de mobilisation populaire dans l’armée nationale et les placer ainsi sous le contrôle du Premier ministre chiite Haïdar al Abadi. Mais dans les faits, l’Iran conserve la main mise sur leurs dirigeants, qui s’entretiennent régulièrement avec le général Soleimani.
Avec Phil Stewart et Jonathan Landay à Washington, Julie Carriat pour le service français, édité par Tangi Salaün
3 Commentaires
Soleimani
En Août, 2018 (12:02 PM)tres loin de nos generaux actuels de salon
Thiessois
En Août, 2018 (12:37 PM)Anonyme
En Août, 2018 (16:25 PM)Participer à la Discussion