A force de montrer des muscles et de jouer des biceps, on finit toujours par trouver plus fort que soi. A preuve par ce qui est arrivé samedi dernier au Français Dominique Strauss-Kahn, tout-puissant dirigeant du Fonds monétaire international (Fmi), une institution qui fait trembler les dirigeants des pays du Tiers-monde, notamment africains. A preuve, surtout, par les images montrant le jadis flamboyant — et séducteur ! — D. S. K. les mains menottées derrière le dos, la mine défaite, escorté par deux policiers américains. Le monde s’effondrait décidément sous les pieds d’un homme que tous les instituts de sondage hexagonaux présentaient comme étant le futur président de la République français. Hélas, il a suffi d’un séjour dans un hôtel (français !) Sofitel de New York, d’accusations de séquestration, de viol et de harcèlement portées contre lui par une femme de chambre guinéenne de 32 ans pour que le destin présidentiel de l’ancien ministre français de l’Economie et des Finances et maire de la ville de Sarcelles bascule.
Ces images humiliantes d’un homme parmi les plus puissants de la planète, qui plus est citoyen éminent d’un pays membre permanent du Conseil de sécurité de l’Onu, menotté et jeté en garde-à-vue comme un malpropre rappellent aux Africains d’autres images tout aussi humiliantes. La dernière en date de ces images, c’est celle d’un chef d’Etat africain — qui se revendiquait en tout cas comme tel —, l’Ivoirien Laurent Gbagbo arrêté en maillot de corps par les forces françaises de l’opération Licorne et remis aux Forces républicaines de Côte d’Ivoire, en même temps que son épouse, Mme Simone Gbagbo. Des images passées en, boucle à travers les télévisions françaises. L’autre image humiliante pour le continent africain qui nous revient en mémoire, c’est celle de Charles Taylor, ancien chef d’Etat du Libéria, menotté comme M. Dominique Strauss Kahn l’était lundi dernier et conduit à la prison de La Haye. Il y a eu aussi les images de M. Jean-Claude Mbemba, sénateur et ancien vice-président de la République démocratique du Congo (RDC), l’un des pays africains les plus vastes, les plus peuplés et les plus riches en ressources naturelles, arrêté lui aussi par la Cour pénale « internationale », en fait africaine, menotté et conduit lui aussi en prison à La Haye. Pour tous les Africains qui se sont sentis humiliés par ces images de justice — plutôt, de raison du plus fort — des Blancs s’acharnant sur de pauvres Africains n’ayant que le tort d’être plus faibles, pour ces Africains, donc, l’image de M. DSK menotté avait un air de vengeance exercé par plus fort que la France sur cette dernière.
On ne le répétera jamais assez : l’humiliation infligée par les troupes françaises au président Laurent Gbagbo demeurera pour longtemps encore en travers de la gorge de nombreux Africains. De même, les bombardements aveugles, injustes et illégaux — car reposant sur une interprétation malhonnête de la Résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU — effectués par l’Otan en Libye sont révoltants. Ils témoignent du mépris de la « communauté internationale » (en fait, essentiellement, les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne) envers l’Afrique, singulièrement les Nègres et les Arabes. Pour autant, il ne viendrait à l’idée de personne de se réjouir du malheur qui s’abat sur M. Dominique Strauss-Kahn. Car l’homme était un poids lourd — un « éléphant » comme on dit — du Parti socialiste français. C’est un homme progressiste engagé aux côtés des peuples du Tiers-monde. Surtout, il avait et il a sincèrement à cœur d’aider le continent africain à se développer. Les mesures qu’il a fait prendre au FMI depuis qu’il est à sa tête vont dans le sens de procurer des ressources financières accrues à notre continent qui en a tant besoin pour amorcer son décollage économique. Elles visent aussi à créer un nouvel ordre économique international plus juste dans lequel, notamment, des pays émergents comme les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) auraient plus voix au chapitre dans la gouvernance économique mondiale. Enfin, et pour autant que l’on sache, ce n’est pas un vulgaire colonialiste, il n’est pas de l’acabit d’un Nicolas Sarkozy qui, dans ses discours de Cotonou et du Cap, promettait de changer les rapports de la France avec l’Afrique et de mettre fin au rôle de gendarme joué par son pays sur notre continent ainsi qu’à la « Françafrique » et qui fait pire que tous ses prédécesseurs en matière de vassalisation et d’humiliation de l’Afrique. Si ce qui est arrivé à M. Strauss-Kahn était arrivé au président Sarkozy, à MM. Gérard Longuet, Alain Juppé, voire Claude Guéant et autre Brice Hortefeux, qui étaient en première ligne dans l’opération « fessée à administrer à M. Ggabgo » ou dans le virage xénophobe et extrême droitier du gouvernement français, eh bien nous aurions applaudi des deux mains. Car tous ces hommes, qui ont le droit de mener la politique xénophobe et raciste qu’ils veulent chez eux, sont coupables de cautionner les nouvelles expéditions militaires coloniales de la France en Afrique. Et notamment en Côte d’Ivoire et en Libye.
Cela dit, force est de convenir que les Etats-Unis sont quand même un grand pays avec une vraie justice. Car franchement, on ne connaît pas beaucoup de pays au monde dont la justice aurait pris le risque de faire interpeller le directeur général du Fonds monétaire international lui-même. Surtout pour les faits dont il est accusé ! Gageons que si les faits s’étaient déroulés en Afrique, et notamment au Sénégal où le président de la République a offert une valise remplie d’euros à l’ancien représentant-résident du Fmi venu lui faire ses adieux, eh bien c’est la femme de chambre victime de tentative de viol — pour autant que les faits reprochés à M. Strauss-Kahn soient vrais — qui se serait retrouvée en prison ! Comment, vous voulez gâcher nos bonnes relations avec le Fmi, lui aurait-on dit. Et la malheureuse se serait retrouvée en prison sans autre forme de procès. Et si d’aventure les juges prenaient leur courage à deux mains pour mettre l’accusé en prison, c’est sûr que c’est le président de la République en personne qui serait venu le libérer !
Il se trouve que les faits reprochés à M. Dominique Strauss-Kahn se sont déroulés aux Etats-Unis, un pays où, Fmi ou pas, France ou pas, futur président de la République ou pas, les juges n’en ont rien cirer. Ils appliquent la loi, c’est tout. Et ce même si les trois quarts de la population carcérale américaine sont constitués par des Noirs — qui ne représentant que 12 % de la population totale ! Et où, c’est vrai, il est plus fréquent de voir des Noirs, quel que soit leur rang dans la société, être menottés et conduits en prison que des Blancs de l’envergure et de la notoriété de M. Dominique Strauss-Kahn. Et surtout sur la base d’une plainte déposée par une femme de chambre noire, africaine de surcroît ! Décidément, l’Amérique ne cessera jamais de nous surprendre. Quant à la France, ce n’est pas ce coup-ci qu’elle enverra ses « forces spéciales » libérer un de ses illustres ressortissants comme elle l’aurait sans doute fait si M. Strauss-Kahn avait été emprisonné dans un pays d’Afrique noire ! N’est-ce pas M. Sarkozy ?
Mamadou Oumar NDIAYE
Le Témoin N° 1043 –Hebdomadaire Sénégalais (MAI 2011)
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