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Déconfinement dans les écoles : les enseignants s'adaptent mais s'interrogent

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L'école Rotschild, à Nice, se prépare à accueillir les élèves en respectant les gestes barrières du protocole sanitaire, le 11 mai 2020. L'école Rotschild, à Nice, se prépare à accueillir les élèves en respectant les gestes barrières du protocole sanitaire, le 11 mai 2020.
Distanciation sociale, masque, gel hydroalcoolique, marquage au sol... Les écoles ont commencé à accueillir cette semaine une poignée d’élèves dans des classes repensées pour respecter le protocole sanitaire. Des enseignants livrent leurs doutes et leurs craintes sur ce nouveau dispositif.
Protocole sanitaire oblige, le conseil des maîtres de l'école élémentaire du Hazay, à Cergy, au nord de Paris, a dû avoir lieu dans le gymnase. "La salle des classes est trop confinée pour accueillir l'équipe pédagogique, même réduite", explique le directeur d'établissement, Olivier Flipo. Une pré-rentrée peu ordinaire pour un ordre du jour qui l'est tout autant : la mise en forme du protocole sanitaire dictée par l'Éducation nationale. "Il faut réinventer l'école", constate-t-il.

Dans son établissement, le nouveau dispositif semble déjà bien assimilé. Cinq enseignants (sur les 13 permanents) seront chargés d'accueillir, à partir du jeudi 14 mai, 39 élèves sur les 259 habituels. Soit 15 % des effectifs – un chiffre conforme aux attentes du gouvernement. Ils ont été choisis sur la base du volontariat des familles et de trois critères : la profession des parents jugée essentielle, le besoin d'un suivi pédagogique particulier et l'urgence de la situation familiale. "Une mère célibataire qui a besoin de reprendre son travail par exemple", précise-t-il.  

"C'est une usine à gaz"


Les trois classes qui accueilleront les enfants disposent toutes d'un point d'eau, d'un gel hydroalcoolique pour les enseignants, d'une "zone sale" pour y stocker le matériel considéré contaminé et seront lavées au moins deux fois par jour. Les enfants sont accueillis à raison de deux jours par semaine, sauf ceux dont les parents ont des professions jugées essentielles. "Résultat : au sein même d'un groupe, certains élèves seront présents tous les jours, d'autres seulement deux", précise le directeur, délégué SE Unsa 95.

"C'est une usine à gaz", reconnaît Olivier Flipo, "sauf que ce n'est pas nous qui fournissons le gaz". Le directeur dit répondre à la directive nationale. "Le gouvernement nous dit : 'Les enfants vont retourner à l'école', et après c'est débrouillez-vous pour mettre le dispositif en place", résume-t-il.

Chaque établissement scolaire applique le protocole en fonction de ses moyens. "Comme la directive passe par le rectorat, puis par l'inspection académique, puis par l'inspecteur de circonscription avant d'être envoyée aux directeurs d'école, il existe autant de dispositifs qu'il y a d'écoles", assure le délégué syndical.

Dans une école élémentaire dans le nord de Paris, le coup dur est tombé dès lundi 11 mai : le directeur ne sera pas en mesure d'assurer son poste en raison de la santé de son épouse, jugée à risque. "On s'en doutait, mais ça implique que l'un des enseignants doit prendre le relais car il reste beaucoup de choses à gérer avec la rentrée pour accueillir nos 30 élèves", précise Charlotte, enseignante en CE1.

"Une sacrée pression"

Les neuf enseignants prévus lundi pour assurer les cours en présentiels (sur les 12 permanents) ont aussi eu la malheureuse surprise de ne pas avoir de masques à disposition – fournis par l'Éducation nationale. "On a dû utiliser ceux prévus pour les agents municipaux [fournis par la ville]", rapporte-t-elle. Le stock est finalement arrivé en fin de matinée avec une seule bouteille de gel hydroalcoolique pour les cinq classes. Il manquait encore les lingettes désinfectantes, la rubalise et le scotch pour le marquage au sol.  

Devant de tels manquements, les neuf enseignants de l'école parisienne ont transmis une motion à l'académie et au rectorat demandant la fermeture de l'école, si le matériel sanitaire n'était pas reçu dans les temps.

Ce protocole sanitaire, "délirant" selon Olivier Flipo, génère, selon lui, "une sacrée pression" sur les directeurs d'établissement. Sur le blog qu'il partage avec 49 autres directeurs d'école élémentaires de Cergy, il constate que pas un seul de ses homologues n'échappe au stress. "Dès qu'une problématique nous tombe dessus, c'est la tempête immédiate", rapporte-t-il. Malgré tout, il se dit serein avec quelques insomnies pendant lesquelles "ça cogite pas mal".

Chaque point soulevé donne lieu à des allers-retours avec l'inspection académique et le maire. Depuis plusieurs semaines, Olivier Flipo ne compte plus ses heures. Il est en permanence en contact avec les services municipaux, l'inspection académique et les associations de parents d'élèves.

"Un environnement très anxiogène pour les enfants"

La perspective de cette rentrée avec le respect des gestes barrières rend perplexe le corps enseignant. "Surtout quand le matériel sanitaire adéquat n'est pas au rendez-vous", souligne Charlotte , dubitative devant tant d'énergie déployée pour trois semaines de classe. Elle note aussi que seuls 30 élèves de l'école parisienne reviendront sur les bancs de l'école. L'équivalent de cinq élèves par classe, soit cinq de moins que les recommandations du gouvernement.

Si l'enseignante de l'école classée en réseau d'éducation prioritaire (REP) est ravie à l'idée de revoir ses élèves, elle l'est moins à l'idée de les accueillir dans une classe version "Covid". La manipulation de matériels collectifs n'a plus sa place. "Les cubes en numération, c'est fini", regrette-t-elle alors que les ateliers sont un élément clé de l'apprentissage.

Le matériel individuel peut aussi être une problématique. "En REP, les élèves ont tendance à oublier leur stylo", précise Charlotte, qui a prévu de leur faire des petites boîtes avec le nécessaire pour chacun. Mais elle voit déjà les risques : "Quand on a 7 ans, on met son stylo à la bouche, on le fait tomber par terre et on échange avec celui du voisin". 

Ce nouvel environnement est, selon elle, "très anxiogène pour les enfants". "Il n'y a rien d'agréable", insiste-t-elle. Alors que les annonces du ministre de l'Éducation sont officiellement destinées à lutter contre le décrochage scolaire, l'enseignante de 34 ans voit une réalité bien différente. "On n'avancera pas dans les programmes. Ce ne sera que de la révision puisqu'on ne sera pas forcément avec nos élèves", dénonce-t-elle. Une sorte d'études dirigée, en somme.
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"Beaucoup ont la boule au ventre"

Du côté des enseignants, la peur aussi est parfois palpable. Si Olivier Flipo, qui a déjà eu le Covid-19 en début de pandémie, et Charlotte ne la ressentent pas, le directeur d'établissement l'a identifiée au sein de son équipe. "Beaucoup ont la boule au ventre", reconnaît-il.

Une de ses enseignantes était tellement angoissée de ramener le virus à la maison qu'il a été décidé qu'elle resterait chez elle, en accord avec l'inspection académique, et qu'elle continuerait à dispenser les cours en distanciel. "Il fallait éviter qu'elle transmette son angoisse à ses collègues, ses élèves, voire même aux parents", glisse-t-il. Selon une consultation faite par la revue pédagogique en ligne Café pédagogique, deux professeurs des écoles sur trois disent faire une rentrée "à reculons".



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