L'ex-ministre gambien de l'Intérieur Ousman Sonko a estimé mardi que la Suisse n'était pas compétente pour le juger, au deuxième jour de son procès dans le pays alpin pour crimes contre l'humanité.
M. Sonko, 55 ans, est accusé de divers chefs de crimes contre l'humanité, dont la torture et le viol répétés, qu'il aurait commis de 2000 à 2016 sous l'ère de l'ancien président à la main de fer, Yahya Jammeh, d'abord en tant que membre de l'armée, puis comme inspecteur général de la police et enfin comme ministre de l'Intérieur.
Il comparaît depuis lundi devant le Tribunal pénal fédéral à Bellinzone, dans le sud-est de la Suisse et risque la prison à vie. Il nie les charges à son encontre.
"Il est essentiel de comprendre qu'en tant que ministre de l'Intérieur, je n'avais aucun pouvoir opérationnel", a-t-il dit en anglais aux juges, dans sa déclaration initiale, les mains jointes.
"J'ai joué un rôle purement politique et j'ai toujours veillé (...) à ne jamais interférer avec les responsabilités des chefs de service, qui avaient l'entière responsabilité opérationnelle", a-t-il assuré.
Avant le procès, son avocat, Me Philippe Currat, avait affirmé à l'AFP que les faits décrits dans l'acte d'accusation n'engagent pas la responsabilité de M. Sonko mais celle de l'Agence nationale de renseignement (NIA).
- La Suisse, "pas compétente" -
"La NIA n'a jamais été sous mon autorité", a encore assuré M. Sonko aux juges, avant de conclure: "Je ne pense pas que la Suisse soit qualifiée ou compétente pour donner des leçons sur les droits de l'homme à qui que ce soit".
Son procès est possible car la Suisse a procédé à deux changements majeurs de sa législation en 2011, en inscrivant dans son droit les crimes contre l'humanité - des exactions commises dans le cadre d'une attaque de grande ampleur visant des civils - et en se reconnaissant une compétence universelle pour juger certains crimes graves en vertu du droit international.
La cour a décidé mardi que la question de la rétroactivité des faits antérieurs à 2011 serait examinée plus tard, contrairement à ce qu'avait demandé la défense.
"On va de l'avant, c'est positif", a réagi auprès de l'AFP Benoît Meystre, conseiller juridique de Trial International, l'ONG à l'origine de la procédure.
Elise Keppler, directrice adjointe de la division Justice internationale à Human Rights Watch (HRW), a également fait part de sa satisfaction à l'AFP: "Ce procès important est maintenant en train d'avancer."
Pour la deuxième fois en quelques mois, la justice suisse est amenée à juger un prévenu étranger accusé d'avoir commis des crimes contre l'humanité dans son pays d'origine. Mais c'est la première fois en Suisse que cette notion est abordée en première instance.
En juin 2023, la cour d'appel du Tribunal pénal fédéral avait confirmé la condamnation à 20 ans de prison d'un ancien chef de guerre libérien, Alieu Kosiah, et retenu pour la première fois l'accusation de crimes contre l'humanité, pour des faits commis bien avant 2011.
- Complicité -
Le procès dans l'affaire Sonko doit durer un mois, mais le verdict n'est pas attendu avant mars.
Les juges ont également refusé mardi que l'intégralité du procès - qui se déroule pour l'essentiel en allemand - soit traduit en anglais, provoquant l'agacement des avocats de la défense et de la dizaines de parties civiles.
Ousman Sonko avait été arrêté le 26 janvier 2017 en Suisse où il avait demandé l'asile après avoir été démis de ses fonctions ministérielles qu'il a occupées pendant 10 ans jusqu'en septembre 2016.
Le Ministère public de la Confédération (MPC, bureau du procureur général) lui reproche d'avoir commis la plupart des actes avec la complicité de l'ancien président de ce petit pays ouest-africain et de "membres dirigeants des forces de sécurité et des services pénitentiaires".
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Tchey
En Janvier, 2024 (17:07 PM)Participer à la Discussion