Une naissance en secret, et deux ans d'une enfance cachée de tous, mari, enfants, voisinage: la cour d'assises de Corrèze juge à partir de lundi en France la mère de Séréna, le bébé dit "du coffre", un cas où l'on trouve troubles du déni de grossesse, de la dissimulation et de la maltraitance. En octobre 2013, Rosa-Maria Da Cruz, 45 ans, se rend dans un garage du sud-ouest de la France pour un problème de feux. Quand le garagiste entend un "grattement", "un gémissement" provenant du coffre, la mère de trois enfants élude: "c'est un jouet d'enfant" et "le coffre est plein", elle ne voudrait pas l'ouvrir.
Mais aidé d'un commercial, le garagiste ouvre le coffre et découvre l'horreur: une enfant de près de deux ans dans un couffin, nue, sale, déshydratée, les yeux se révulsant, entourée d'excréments, mais aussi de jouets, le tout dans une odeur pestilentielle. Allongée sur des sacs poubelles, l'enfant "blanche comme du plâtre" suffoquait.
Des conséquences irréversibles
Le mécanicien qui s'apprête à devenir papa reste stupéfait face à l'attitude de la mère: "Elle fumait sa cigarette, elle avait l'air décontractée. Pas affolée, ni rien. Calme, posée". Pompiers puis gendarmes alertés, la mère et son mari sont placés en garde à vue puis mis en examen. On diagnostique chez l'enfant un "syndrome autistique vraisemblablement irréversible" et un "lien de causalité" avec l'isolement vécu par l'enfant.
Un premier déni de grossesse
Rosa-Maria Da Cruz et son mari ont d'abord eu trois enfants. Mais l'arrivée du deuxième était inattendue. "Elle s'est allongée sur le canapé, elle croyait qu'elle allait mourir. C'est quand elle a vu passer la tête qu'elle a vu qu'elle allait avoir un enfant", raconte sa sœur. Un ami de la famille évoque la troisième grossesse, longtemps passée inaperçue. Elle a accouché chez elle en quelques minutes, quasiment debout dans son escalier".
Mais au matin du 24 novembre 2011, tout le monde dort et Rosa-Maria accouche sans bruit d'une petite-fille. "Je lui ai coupé le cordon, je l'ai prise dans mes bras et après je l'ai posée, j'ai fait mon train-train, j'ai levé les petits, je les ai préparés pour aller à l'école comme si de rien n'était", dit-elle. La spirale du mensonge La mère a toujours eu un peu de ventre et ne prenait plus la pilule "parce qu'elle ne la supportait pas". Quand elle se rend compte qu'elle est enceinte, vers le huitième mois de grossesse, elle ne dit rien.
Son compagnon, un ami d'enfance, travaille beaucoup comme maçon. Il n'est jamais là pour aider à la maison celle qui a quitté l'école à 16 ans. Elle dit ne pas vraiment cacher sa fille puisqu'elle l'a mise dans une pièce où personne n'allait. Dans cette pièce, "la chose", comme elle l'appelle, était posée sur deux matelas en mousse, à même le sol. Elle l'a "maintenue en vie" "Je dormais avec elle le soir quand tout le monde dormait, je me couchais à côté d'elle, je lui parlais, je lui mettais de la musique, je... Voilà, elle avait des câlins, je lui disais que je l'aimais", a confié la mère. "Pour moi, je ne l'ai jamais maltraitée, pour moi je...
C'est vrai que je ne pouvais pas m'en occuper comme je me suis occupée de mes trois premiers enfants, mais j'ai essayé de la maintenir... en vie, quoi." Mais certains jours, Rosa-Maria oublie de descendre. D'autres, elle cale un biberon avec un coussin. Et elle attendra dix-huit mois pour l'habiller, la laver et lui parler, "parce que l'enfant lui a souri". Le coffre Le manège cesse quand le mari perd son travail et reste plus souvent à la maison.
Rosa-Maria place alors le bébé dans le coffre de sa voiture et interdit à ses enfants d'y mettre quoique ce soit. L'été, elle recouvre la voiture de cartons pour qu'on ne voit pas que la petite est à l'arrière. Même si elle avouera que le bébé a passé de longues journées dans le coffre. Rosa-Maria s'est rendue compte que l'enfant ne parlait pas et ne savait toujours pas tenir sa tête. Elle avoue avoir souhaité que sa fille soit découverte, "pour vivre normalement", dit-elle.
Quand le mécanicien lui a dit que la vie de sa fille avait été sauvée, elle lui a répondu: "merci monsieur". La mère accusée Rosa, la mère âgée de 50 ans à présent, laissée libre sous contrôle judiciaire, comparaît ce 12 novembre pour violences suivies de mutilation ou infirmité permanente sur mineur, privation de soins ou d'aliments compromettant la santé d'un enfant, et dissimulation ayant entraîné atteinte à l'état-civil d'un enfant. Elle qui n'a pas fait de détention, encourt 20 ans de réclusion.
Le père ignorait tout Séréna, qui aura 7 ans fin novembre, vit à présent en famille d'accueil. Ses trois frères et sœurs, aujourd'hui âgés de 11 à 17 ans, ont été rendus au couple après avoir été un temps placés. Car le mari a bénéficié d'un non-lieu. Rien, conclut la justice, ne permet d'infirmer ce qu'il a toujours soutenu: qu'il n'a jamais eu connaissance de la grossesse, puis de l'existence de l'enfant dans leur maison. Il a bien entendu des bruits de micro-ondes la nuit, avoue-t-il, mais il n'a rien entendu de plus.
Le procès
Le procès devrait durer dix jours et donnera lieu à des débats d'experts, d'une part sur les mécanismes par lesquels isolement, confinement, ont pu engendrer la "désorganisation précoce des récepteurs" qui font que l'enfant "n'est pas passée par la case socialisation" et en gardera la trace, comme le résume une partie civile. Il sera aussi beaucoup, surtout, question de déni de grossesse et de sa portée, voire de ses limites.
Déni de grossesse et néonaticide
L'avocate de l'accusée insiste que la mère n'a toutefois pas eu le "geste fatal" qu'ont de nombreuses femmes en déni de grossesse jusqu'au néonaticide, mais l'a "laissée en vie... d'une certaine façon", avait-elle dit. C'est ce comportement "après" qui sera, lui aussi, interrogé. Cette zone grise entre maltraitance psychologique et émotionnelle, relevée par les experts, et les soins que la mère assure avoir apportés à l'enfant.
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