En perte de vitesse sur les ventes d'iPhone, le fabricant californien mise sur l'appli numéro 1 de réservation de taxis et VTC en Chine pour accélérer son développement sur son deuxième plus gros marché mondial.
Apple claque un milliard de dollars pour Didi, rival d'Uber en Chine
Un milliard de dollars. La somme investie par Apple dans «Midi Chuxing», la principale application chinoise de taxis est colossale et représente «le plus important investissement individuel» reçu jusqu’ici par ce rival d’Uber. Même s’il ne s’agit jamais que de 0,5% de la trésorerie du groupe californien estimée à plus de 200 milliards de dollars, un investissement direct d’Apple dans une entreprise n’est pas commun, qui plus est lorsqu’elle est chinoise et évolue dans un secteur d’activité à la périphérie du spectre couvert par le fabricant de l’iPhone. La dernière fois, c’était lors du rachat de la société d’accessoires de musique haut de gamme Beats, pour 3 milliards de dollars en 2014. Cette société qui comptait parmi ses actionnaires le ponte du rap américain Dr Dre s’est révélé depuis comme une brique essentielle dans le développement d’Apple Music, service de streaming de la société lancé en 2015 et qui compte aujourd’hui une dizaine de millions d’abonnés payants.
Inédit à plus d’un titre, cet investissement d’Apple dans une société de services intervient alors que la marque à la pomme voit ses résultats se tasser. Après le repli de ses ventes d’iPhone au dernier trimestre, une première depuis le lancement en 2007 et 36 trimestres de hausse ininterrompue, Apple a perdu cette semaine sa place de première capitalisation boursière mondiale, au profit d’Alphabet, maison mère de Google. «Nous anticipons de nombreuses opportunités pour des coopérations plus approfondies» avec Midi, a décalré le patron d’Apple Tim Cook, propos rapportés par l’agence Chine nouvelle. La région chinoise (Chine continentale, Macao, Hongkong et Taïwan) représente le deuxième plus gros marché d’Apple après les Etats-Unis. Mais malgré des débuts en fanfare et l’ouverture de dizaines d’Apple Stores dans l’empire du Milieu, ses parts de marché y sont désormais en recul face à l’essor des fabricants de smartphones chinois, dont Huawei et Xiaomi.
De plus en plus focalisé sur les services (App Stores pour la distribution d’applications, iCloud pour le stockage et l’accès aux données à distance, iTunes et Apple Music pour les contenus culturels, Apple Pay pour les moyens de paiement), Apple souffre également des restrictions imposées par les autorités de Pekin : ses services en ligne iTunes Movies et iBooks sont récemment devenus inaccessibles en Chine.
Investissement stratégique
En mettant un milliard de dollars dans Midi, Apple cherche à donner des gages au gouvernement chinois de sa volonté de s’implanter durablement dans le pays, tout en se rapprochant de deux géants de l’Internet chinois qui soutiennent cette application dédiée à la mobilité : Tencent, opérateur de la première messagerie chinoise WeChat, et Alibaba, le monstre du commerce électronique chinois qui commence à se poser la question de son développement international. «Cet investissement s’explique par des raisons stratégiques, dont la chance d’en apprendre davantage sur certains segments du marché chinois», a reconnu Tim Cook vendredi, tout en vantant les «innovations» de Midi qui compte 300 millions d’usagers inscrits, pour plus de 11 millions de courses effectuées chaque jour à travers 400 villes chinoises. Un excellent laboratoire en somme pour préparer de futures alliances et percer les mystères du marché chinois. Un marché où les produits d’Apple, dont les prix restent largement supérieurs à ceux de la concurrence, restent inabordables pour des centaines de millions de Chinois.
Pour les analystes, cette opération rapidement conclue illustre également la nouvelle stratégie de diversification d’Apple et sa fixation sur le marché chinois. Avec plus de un milliard d’habitants, le pays apparaît comme un des principaux relais de croissance pour les fabricants de produits de high-tech maintenant que les marchés matures occidentaux sont saturés et limités à des achats de renouvellement d’appareils. Pour le site financier chinois Huxiu, des coopérations pourraient également s’esquisser entre Apple et Midi dans les paiements électroniques, dans le secteur clé des fintech [contraction de «finance» et «technologies», ndlr] : «C’est une excellente affaire pour Apple de s’associer à une application possédant une large base d’usagers et où sont effectués des paiements fréquents», note-t-il. Lancé en février en Chine – mais toujours pas en France –, le service de paiement mobile Apple Pay y reste très marginal face aux autres plateformes de paiement locales créées par Alibaba (Alipay) et Tencent, ultradominatrices. A l’heure où Apple s’intéresse comme beaucoup d’autres à la voiture autonome, Midi pourrait également lui ouvrir des portes dans les technologies automobiles intégrées. Car la voiture de demain sera équipée d’un système d’exploitation pour la navigation et Apple entend bien ne pas laisser le terrain libre à Google.
Bataille de titans
Pour Midi, l’investissement d’Apple va lui permettre de se renforcer à l’heure où il mène une bataille acharnée contre Uber, arrivé en Chine en 2014. L’an dernier, cette application dominait 99% du marché chinois des réservations de taxi en ligne et 87% de celui des réservations de véhicules privés avec chauffeur. Mais en un an, Uber a réussi à s’arroger entre 10 et 15% de parts de marché, à coup d’investissements colossaux, subventionnant largement les trajets des usagers pour élargir sa clientèle. Une stratégie certes efficace mais ruineuse pour l’application de transport individuel californienne. Le patron d’Uber Travis Kalanick a reconnu récemment que son entreprise perdait «plus d’un milliard de dollars» par an en Chine. Pratiquant lui aussi cette politique des rabais et ristournes pour fidéliser sa clientèle, Midi a levé pour sa part plusieurs milliards de dollars dans cette bataille où tous les coups sont permis pour s’emparer du titanesque marché chinois de la mobilité urbaine.
Selon des sources proches du dossier interrogées par Bloomberg News, l’investissement d’Apple fait partie d’une récente levée de fonds de 3 milliards de dollars, ce qui valorise l’entreprise chinoise à environ 26 milliards de dollars. Née en 2015 de la fusion de deux applications concurrentes, Midi regarde également vers l’étranger et aux Etats-Unis, le pays d’origine d’Uber. Il a pris en 2015 des participations dans la principale application indienne de réservation de taxis (Ola), mais aussi dans l’américain Lyft, principal rival d’Uber aux Etats-Unis : une façon de défier ce dernier sur son principal terrain.
Reste que l’avenir en Chine d’Uber et de Midi reste suspendu, comme dans bon nombre d’autres pays, à de possibles durcissements réglementaires: le ministère des Transports chinois a ainsi évoqué à plusieurs reprises son intention d’encadrer plus strictement les services proposés par les conducteurs de voitures privées en les soumettant à un régime d’autorisation préalable sur le modèle des VTC européens. Le ministre Yang Chuantang avait lui même affirmé en mars au journal pékinois Jinghua Shibao que des véhicules privés «ne seraient jamais autorisés» à opérer commercialement en dépit de ce que l’on constate tous les jours dans les villes chinoises.
Christophe Alix
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Anonyme
En Mai, 2016 (08:10 AM)Participer à la Discussion