La petite embarcation amarrée au port est devenue leur refuge. Depuis deux semaines, Margaretha et Luis, 80 et 90 ans, se sont installés dans les quelques mètres carrés de leur bateau, abandonnant leur maison pour échapper à la lave du volcan de l'île espagnole de La Palma.
Les offres de relogement temporaire, proposées par les autorités aux 6.000 déplacés de cette île de l'archipel des Canaries, ne convenaient pas à ce couple marié depuis 60 ans.
"J'ai eu cette idée du bateau, ce vieux bateau que nous avions là. On a emporté quelques affaires et on s'est installés", explique à l'AFP Luis Rodriguez Diaz, chirurgien digestif à la retraite.
Baptisé "Hamurabi", le bateau du couple mesure 6,4 mètres et n'a nécessité pour seule réparation en 35 ans qu'un changement de moteur.
C'est ici, dans le port de Tazacorte, que vivent désormais Luis et sa femme, la Néerlandaise Margaretha Straater, avec dans leur dos le volcan Cumbre Vieja qui ne cesse de cracher lave et cendres depuis le 19 septembre.
Installé dans la partie arrière du bateau, le couple dispose d'une radio, d'un petit frigo, d'un ordinateur - avec internet - et a pour compagnie un chat, recueilli durant son exode.
La cabine, exigüe, oblige à se contorsionner. Margaretha en sait quelque chose, elle qui se cogne la tête à chaque fois qu'elle y rentre. "J'ai déjà trois bosses", se plaint-elle.
Tenir bon
Le couple vit habituellement à Todoque, un village presque entièrement rasé de la carte par la coulée de lave.
"La police est arrivée et nous a dit +vous devez partir, maintenant, tout de suite+ et nous sommes sortis avec ce que nous avions sur nous", se souvient Luis.
Jamais ils ne s'étaient imaginés que l'éruption allait être aussi violente et détruire jusqu'ici plus de 1.000 bâtiments, induits en erreur comme beaucoup d'autres habitants de l'île par la dernière éruption en 1971 du volcan Teneguia, "un volcan aimable qui a peu détruit", souligne Margaretha.
Dimanche encore, leur maison était sur pied mais l'angoisse demeure. "On se sent si mal", dit-elle.
Malgré cela, le couple, sans doute aidé par une vie de voyageurs, tient bon face à l'adversité.
Luis et Margaretha se sont connus dans les années 1950. Luis faisait alors un voyage en Europe que lui avait offert sa soeur pour le féliciter après son diplôme de médecine.
"J'étais dans un parc à Amsterdam avec ma meilleure amie quand nous sommes tombées sur l'homme le plus sexy que j'avais vu dans ma vie", se rappelle Margaretha, qui avait 16 ans à l'époque.
Amsterdam, Gibraltar, Zimbabwe, La Palma...
Les deux jeunes gens ont alors échangé leurs adresses et quelque temps plus tard, ils se mariaient à Gibraltar, un petit territoire britannique à l'extrême Sud de la péninsule ibérique, leur seule solution pour éviter de se marier religieusement en Espagne alors dirigée par le dictateur Franco.
Ils ont ensuite vécu à Londres puis en Rhodésie, ancien nom du Zimbabwe, où Luis est soudain devenu "le soignant de référence pour une zone aussi grande que la Galice", région du Nord-Ouest de l'Espagne dont il est originaire.
En 1977, le couple estime qu'il est temps de rentrer en Espagne où Franco est mort deux ans plus tôt.
"Il vaut mieux rentrer en Espagne, vu que je prends de l'âge", s'est dit Luis, qui avait craint un temps de "ne jamais pouvoir revenir".
Soixante ans de mariage, deux semaines à l'étroit et une éruption volcanique: le couple n'a pu éviter quelques tensions mais a toujours su les dépasser avec sagesse.
Sur le port, douche, machines à laver et restaurants leur permettent de résister, en plus de leur promenade quotidienne jusqu'au village.
"Personne" ne peut leur dire quand ils pourront retrouver leur maison, regrette Margaretha avant de noter avec malice qu'après deux semaines d'éruption, la journée de championnat de football a fini par reprendre le dessus sur le volcan à la radio.
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