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STYLISME - Cheikha plaide pour une mode concrète : «Nudem», «fodjem», «siggil» : La dynamique esthétique

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STYLISME - Cheikha plaide pour une mode concrète : «Nudem», «fodjem», «siggil» : La dynamique esthétique

Siggil relève la tête en wolof. Plus que le nom d’une collection, un principe de vie pour Cheikha, le créateur de cette ligne de vêtements. Une griffe qui revisite avec bonheur la toile Denim. Elégant, décontracté et résolument africain, ce label veut dynamiser le secteur de la mode au Sénégal. La création ne doit pas se limiter aux défilés de mode. Elle doit déboucher sur du concret et créer des emplois, revendique Cheikha.

Démarche nonchalante, regard pétillant, gestes vifs, Cheikha ne peut rester en place. Le travail, une valeur qui lui sert de ligne de vie. Devant sa machine à coudre comme dans son show-room avec des clients, il s’active. De son vrai nom Cheikh Bamba Loum, il fait partie des étoiles montantes du Sénégal du stylisme. Sans boucan, ni tapage, l’artiste enfonce les barrières et répand son nom, acquérant une aura aussi bien nationale qu’internationale. Ses habits ont, en effet, une touche spéciale, peu courante, qui échappe à toute catégorie stylistique. Plus, ils ont une âme. Un talent consacré par le premier Prix du 12e Festival international des jeunes créateurs de mode de Dinard.

LE JEAN, MODERNE, URBAIN ET… AFRICAIN

Cheikha revisite la toile Denim et la promeut comme base de ses vêtements. «Une matière universellement appréciée», considère-t-il, qu’il décline à l’envi. Vêtements larges et souples, sarouels version baggy ou vestes streetwear à capuches, besaces baroudeurs et casquettes : toute une gamme de tenues chics par la coupe et l’allure, mais décontractée par la matière utilisée et par les touches de peinture parfois appliquées. Une collection qui sied tant aux jeunes qu’aux moins jeunes. L’originalité de l’artiste réside dans son habilité à superposer les pièces de tissus et à placer les coutures, un jeu dans lequel il excelle. Coupes audacieuses, finitions soigneuses, le résultat est un style raffiné. La griffe de Cheikha donne une note furieusement fashion à ce tissu plus que centenaire.

Le jean, moderne, urbain et… africain. Cheikha excelle à métisser tissus africains, comme les pagnes tissés, les motifs du wax, et tissus occidentaux, sur fond de jeans. «Mes créations sont résolument africaines. J’ai envie d’habiller les Africains à leurs goûts, mais en même temps de faire connaître cette esthétique à l’étranger. Tout vêtement est vecteur de communication. J’aimerais représenter, par la couture, cette africanité.»

Une africanité revendiquée et assumée, mais résolument modernisée. «Je vais à la rencontre des gens, j’essaye d’entrevoir leurs attentes, de discerner leurs besoins. Mes envies stylistiques suivent, mais elles ne sont pas premières», annonce-t-il. Il renouvelle en effet le boubou, lui donne une forme géométrique, des armatures, afin que le nouveau genre acquière une bonne tenue, laquelle jusqu’à présent lui faisait défaut. Il conserve encolure et longueur, deux éléments auxquels les Sénégalais sont attachés. Mais il conçoit une forme plus cintrée, avec une glissière sur le côté pour faciliter l’enfilage. Pour une commodité et un confort maximum au quotidien.

L’innovation, il n’y croit pas. Tout a déjà été inventé. Pantalon, veste, jupe…, chaque modèle répond à une forme précise, déterminée par la morphologie humaine. L’habit est né à partir de l’instant où l’homme a couvert son corps, et a conçu des vêtements spécifiques à chacun des sexes. Pas d’innovation donc, mais de la création. Créativité qui peut s’exprimer dans les matières, les formes, les imprimés, la manière d’assembler les pièces de tissus.

«L’ART EST JALOUX…»

Le créateur fait incontestablement preuve d’ambition, au sens noble du terme. Le vêtement, une véritable passion qui se déclare dès son plus jeune âge. S’il n’a pas les moyens de ses rêves, il se les donne. Autodidacte, c’est sur le tas qu’il apprend la coupe et la couture. «Mon grand-père était tailleur. Très tôt, je décousais des habits pour comprendre comment ils étaient faits. Mais je n’ai jamais fait d’école de couture. Je n’en ai pas eu besoin», raconte-t-il. Le sens de l’esthétique, il l’a toujours eu en lui.

Cheikha a vu le jour à Dakar, à la Médina, dans un bouillonnement culturel intense. «Ma famille est artiste, toutes générations confondues. On y trouve des musiciens, des peintres, des photographes, des plasticiens…» Ce creuset familiale a conduit naturellement ses pas vers l’art et, notamment, vers la sculpture. Ce creuset lui a également appris à se battre. «L’art est jaloux. C’est dur, quand tes premiers concurrents sont les membres de ta famille.»

Il endure coups bas et mensonges. Parfois, il se voit contraint de répondre au mal par le mal. Une dérive qu’il ne peut accepter. Expliquer, non plus. Un jour, de retour de France, il constate que ses proches se sont débarrassés de toutes ses machines à coudre pendant son absence. Jaloux, ceux-ci pensaient que son séjour en Europe était un voyage sans retour. C’est la goutte d’eau qui fait déborder…la coupe.

Le jeune créateur quitte définitivement la Médina. Avec moins de cent euros (650 mille Cfa) en poche, il décide de repartir de zéro. Suit un an de galère, durant lequel il se fait «exploiter par un pseudo-mécène qui utilise son image et récolte» l’argent «à sa place». «Il me confinait dans l’ombre. Il distribuait des cartes de visite à mon nom, sans mes coordonnés», s’indigne-t-il. Une situation insupportable, dont il s’extrait en créant parallèlement une collection propre, dont les modèles n’ont rien à voir avec ceux du soi-disant Cheikha officiel.

«RELEVE LA TETE !»

Une ténacité payante. Sans subvention ni aide d’aucune sorte, Cheikha rassemble bientôt, par le biais de sa première collection Nudem, «On y va» en wolof, différents corps de métiers pour créer une marque de prêt-à-porter où chacun apporte son savoir-faire. Plus qu’une collection, c’est un concept novateur. L’objectif : réaliser une symbiose entre créateurs, une coordination entre talents peu fréquente au Sénégal. «Tant qu’il n’y a pas cette mouvance, cette dynamique, il est illusoire de parler d’une mode sénégalaise», affirme-t-il. Une expérience enrichissante, mais difficile.

Il décide de se recentrer sur son projet et redéfinie ses orientations. La collection Fodjem, «où vas-tu» en wolof, est née. «Nous avions des idées, mais des questions restaient en suspend : comment un projet concret peut-il émerger, que voulons-nous faire ensemble ?», relate-t-il. Ce n’est qu’en 2003 qu’il rentre réellement dans le milieu professionnel, et lance une véritable collection baptisée Siggil, «relève la tête» en wolof. Nudem, Fodjem, Sigil, des dénominations qui reflètent un parcours atypique, marqué par le doute, les remises en cause, mais où la foi en soi et l’ambition ont finalement gagné la bataille.

La tête haute, Cheikha la porte assurément.

L’état de la mode en Afrique ? Catastrophique, juge-t-il. Le problème réside dans une offre inexistante de vêtements innovants. D’ailleurs, soutient Cheikha, les stylistes africains les plus connus, tels que Alphadi, Xuly Bët ou Claire Kane, enchaînent les défilés de mode. Pourtant, «ils ne vendent pas», leurs créations ne sont pas portées dans la rue. Dès lors, il faut se poser la question : est-ce réellement une mode ? Si l’artiste pointe du doigt un problème, il ne s’y embourbe pas. Bien au contraire, il tente d’élaborer des solutions. «A mon avis, les défilés de mode ne peuvent que constituer la consécration d’une carrière, d’un talent reconnu. En Afrique, ils ne sont que des événements superficiels, de véritables numéros de cirque. Nous montrons des créations à des journalistes, des particuliers mondains… Mais ne sont présents aucune chaîne de distribution, aucun propriétaire de boutique et autres revendeurs.»

POUR UNE MODE CONCRETE

Du temps et de l’énergie perdus, pour le styliste. Peu lui importe la renommée, il est, quant à lui, bien décidé à faire de la «mode concrète», de réaliser des produits qui seront vendus dans les vitrines et portés par les habitants de son quartier, comme par des Français ou des Américains, de vivre du fruit de son labeur. Une conception du marketing qui l’incite à utiliser d’autres vecteurs de communication. Il habille diverses personnes médiatisées, tels qu’en février le groupe de musique d’Habib Faye, les acteurs du film Teranga Blues actuellement en tournage, ou les sportifs de la journée Accro Roller en mars dernier.

La mode, également un facteur de développement, par des actes et non des discours, affirme-t-il. «Au lieu de se penser comme victimes, posons-nous les bonnes questions. Quoi que nous fassions, nous ne pourrons fermer nos frontières aux produits américains. Pourquoi ? Parce qu’ils fabriquent des produits qui répondent à un réel besoin de notre part, et desquels nous ne pouvons nous passer. Est-ce que nous aussi, nous apportons quelque chose à l’humanité ?», demande-t-il. Aux Africains de se prendre en main, de se donner une valeur, de l’importance, pour qu’ils soient accueillis à bras ouverts à l’étranger.

Résolument moderne et tourné vers le développement et l’expression des jeunes talents, Cheikha incarne l’image de l’Afrique de demain…



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