Pouvoir ou contre-pouvoir ? Les réponses diffèrent sur les pouvoirs prêtés à un texte de presse ou un élément audiovisuel. Mais Mame Less Camara et Eugénie Rokhaya Aw, conférenciers, sont d’accord sur un point : il faut sauvegarder les valeurs fondamentales du métier d’informer. C’est essentiel pour la survie de la presse, miroir de la société.
Tout l’intérêt des frictions entre une légitimité tirée des urnes et une autre portée par le devoir d’informer tiennent en une phrase prononcée par George Bush père au journaliste de la Cnn Dan Rather : « Qui vous a élu, vous ? » L’ancien président américain a prononcé cette interrogation... en réponse à une question qui fâchait à l’époque.
Rapportée par le journaliste Mame Less Camara, cette anecdote illustre une vérité : « Un homme politique redoute qu’un journaliste lui demande de rendre compte. Il se demande toujours la posture du journaliste par rapport au pouvoir ». L’ancien journaliste à la Radiodiffusion nationale, directeur de Walf Fm, Envi Fm et actuel correspondant de la Bbc, abordait le thème « Presse : pouvoir ou contre-pouvoir », à l’occasion d’un dîner-débat marquant le lancement de la Fondation « Démocratie et Liberté » du ministre de l’Environnement et de la Protection de la Nature, Thierno Lô dans un hôtel de la place.
Selon M. Camara, « la notion de quatrième pouvoir a nécessairement germé dans la tête des hommes politiques ; les journalistes n’y ont jamais pensé. C’est une fiction juridique. C’est une réplique presque désespérée face à la violence de l’attaque ».
« Le pouvoir de la presse, a dit l’un des conférenciers avec la directrice du Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti), Mme Eugénie Rokhaya Aw, est compris comme un pouvoir magique qui permettrait au journaliste de changer l’opinion ». Ces pouvoirs prêtés à la profession laissent penser qu’un éditorial, une enquête ou un reportage peut créer une adhésion ou provoquer des émeutes.
« Le journaliste, analyse Mame Less Camara, apparaît comme une sorte de démiurge ou un artisan de la stabilité ou du chaos selon le principe de Napoléon : quatre journaux font plus de mal que mille baïonnettes ».
Construire une réputation
Cette thèse du journaliste « surhomme » est battue en brèche par le correspondant de la Bbc. « Ce n’est pas parce qu’un journaliste veut donner un coup de pouce ou de massue à un gouvernement que la cause est entendue », rectifie M. Camara. Le justicier qui crie à tue-tête être le porte-voix de la ou d’une vérité, il n’y croit pas. « C’est en faisant son travail avec humilité, de manière presque routinière que le journaliste devient puissant. C’est en parlant de l’économie d’un pays, l’état des routes, les espérances que le journaliste construit sa réputation. Quand quelqu’un s’érige en justicier, il gesticule beaucoup. Il pense que les coups d’estoc portent parce qu’ils sont donnés avec rage. Non ! », explique-t-il. Mame Less Camara pense que la presse doit être une plate-forme d’échanges.
« Il y a des dérives, estime-t-il, mais les gens savent qu’il y a des choses à dire. Ils le disent mal, mais ils le disent quand même. Ils quittent le statut de sujets pour devenir citoyens. Parfois un coup de gueule, comme nous disons dans les rédactions, est nécessaire pour dire ce qui ne marche ». La notion de contre-pouvoir ne règle pas le problème, selon Mame Less Camara.
« Pour devenir un contre-pouvoir, il faut au moins être un pouvoir. Le contre-pouvoir me semble l’une de ces fictions placées à côté du quatrième pouvoir ». Il met en garde contre une confusion de rôles. « A force de fréquenter les politiques, on finit par leur ressembler. Très souvent, les journalistes procèdent par confusion de rôle. Ils veulent parler aux populations selon ce qu’un politique aurait dit. Le journaliste et le politique ont cette même manière de regarder », déplore le conférencier.
La solution, selon Mme Eugénie Rokhaya Aw, directrice du Cesti, est de revenir aux fondamentaux du métier de journaliste. Cela se résume à une question essentielle : « Comment faire un journalisme de qualité ? » La réponse tient en une phrase qui doit être un viatique pour ceux qui ont embrassé le métier d’informer : « Là où il y a des querelles politiques, je dois amener le vrai débat. La culture, l’environnement, par exemple, sont éminemment politiques ».
Parler d’éthique
Retrouver ce rôle d’informer est un objectif fondamental. « Il faut continuer à parler d’éthique. Je répète cette question à mes étudiants : Est-ce que l’image, le mot que je vais sortir ne va pas tuer l’autre ? » Ce principe prémunit contre la tentation du racolage qui se résume à vendre à tout prix. Affirmative sur le statut de « contre-pouvoir » des médiats, Mme Eugénie Rokhaya Aw estime : « les médiats procèdent à une structuration, une restructuration de la pensée ». De ce fait, « il ne faut pas s’étonner que les médiats se croient investis de tous les pouvoirs ! »
Les règles de base du journalisme comme la déontologie doivent présider à l’exercice de ce métier. L’autonomie financière est aussi une condition à la consolidation du pouvoir de la presse, souligne-t-elle. L’éclairage de Mme Eugénie Rokhaya Aw est nourrie à la marche de la presse de l’époque coloniale au printemps démocratique de la fin de la décennie 90, en passant par le concept de journalisme de développement.
« Journalisme de développement », rime, selon la conférencière, avec l’extinction de l’esprit critique. « Pour avoir le développement, on ne souffre pas la critique. Il faut des journalistes pour l’unité nationale. Ceux qui ont un tant soit peu d’esprit critique se réfugient dans l’autocensure. La critique sera assimilée à l’opposition, la négation de l’unité nationale », explique-t-elle.
La Fondation « Démocratie et Liberté », organisatrice de la conférence, est le produit d’une société ouverte. Elle est transpartisane et vise à apporter des réponses aux questions que se posent les Sénégalais. Cet espace de dialogue, il faut se l’approprier, invite Mamoussé Diagne, modérateur des débats.
1 Commentaires
Allons Y Molo
En Octobre, 2010 (18:37 PM)Participer à la Discussion