Quelles sont vos véritables préoccupations dans votre dernier ouvrage intitulé : « Socio biz : chroniques impertinentes sur l’économie et l’entreprise » ?
Mon propos était de dépeindre l’entreprise sénégalaise et son environnement socioéconomique tels que je les vois et je les vis : dynamiques, colorés mais aussi remplis de petits travers et de grands freins potentiels qui, si nous n’y prenons garde, pourraient durablement entraver notre marche vers une économie performante. J’ai voulu tendre un miroir à mes concitoyens, en particulier aux acteurs économiques que nous sommes pour qu’on puisse se regarder tels qu’on est et ce miroir est à dessein grossissant voire caricatural justement pour susciter l’intérêt puis le questionnement et enfin la remise en question.
Pourquoi après leur publication dans le magazine « Réussir », vous avez jugé nécessaire d’en faire un livre ?
C’est justement le public du magazine qui m’a inspiré cette démarche. Il se passe rarement un mois où je n’ai pas de feedback des lecteurs sur la chronique du mois, beaucoup d’encouragements mais aussi beaucoup de réactions sur le fond, sur les attitudes que certains reconnaissent et dont ils prennent conscience réellement à la lecture de la chronique. Ce sont cependant des messages diffus dans le temps et l’idée d’en faire un recueil nous a paru séduisante et surtout utile. Cela a demandé toutefois un véritable travail derrière, parce que la démarche journalistique est une approche différente. Elle est plus spontanée, moins réfléchie. Avant de retranscrire ces chroniques en un recueil, j’ai dû les retravailler un peu, les édulcorer même parfois, gommer les repères de temps pour permettre à l’ouvrage de ne pas être trop corrélé à l’actualité du moment et ainsi de mieux traverser le temps. J’ai voulu aussi donner une valeur ajoutée, un petit supplément d’âme à ces chroniques avec des illustrations. C’est aussi une accroche pour les personnes qui trouvent les livres généralement rébarbatifs. C’est à mon sens une bonne mise en bouche et les illustrations justement humoristiques donnent envie au lecteur de plonger dans la chronique. Ce fut un véritable travail de remue méninges et une belle interaction avec l’équipe éditoriale et l’illustrateur, Samba Ndar Cissé, qui est très talentueux et très professionnel.
Et le choix de l’humour ?
Mon propos dans ces chroniques n’était pas de faire un constat sur ce qui ne va pas et de me poser en donneuse de leçons. Ce serait prétentieux de ma part. La théorie, dans le fond, d’autres en ont parlé avant moi, avec toute la légitimité qu’il faut et je ne sais pas s’ils ont été entendus. J’ai voulu prendre le contre-pied en faisant sourire pour mieux faire ressortir le côté dérisoire de certaines situations et ainsi frapper les esprits. Je voudrais faire en sorte que chacun se reconnaisse, à divers degrés bien sûr, en se disant « si ces situations sont risibles, donc on pourrait bien rire de moi ». L’humour est une manière de faire passer la pilule et plus elle est amère, plus on doit forcer le trait !
Est-ce que nos « sénégalaiseries » sont incompatibles au développement ?
Je suis convaincue qu’en Afrique, nous avons un socle extraordinaire que sont nos valeurs. Egalement un lien social très fort que nous envient d’autres sociétés. Ce que j’essaie de souligner à travers ces chroniques est que nous sommes dans une société qui évolue. Nous valeurs doivent rester constantes et rester des repères mais nous devons nous adapter et adapter nos comportements si nous voulons évoluer avec le reste de l’humanité dans un environnement globalisé. La convivialité par exemple est une valeur très forte et un formidable garde-fou en général. Elle peut être calamiteuse en entreprise, quand on transforme les couloirs en grand’place, quand les réunions commencent en retard et qu’en plus on consacre trente minutes aux salamalecs. C’est complètement improductif.
Cela justifierait-il les nombreux cas de détournement ou autres malversations ?
Pas forcément, je n’en parle pas d’ailleurs car c’est un phénomène qui existe certes, mais qui malheureusement est bien partagé et réparti dans le monde. Je ne veux pas stigmatiser. Je ne parle pas réellement des tares mais plutôt de l’insouciance, de la légèreté et des comportements improductifs et dont nous n’avons pas vraiment conscience.
Mais je parle également de success stories, dans ce livre, avec des chroniques sur les femmes actives qui jonglent habilement entre « tableaux de bord et couches culottes », le succès de la micro finance dans le contexte africain, etc. Tout n’est pas que coups de griffes dans ce livre, bien au contraire, même si je pense qu’il faut savoir mettre le doigt sur ce qui ne va pas et le dire sans complaisance dans une dynamique positive et orientée vers le changement.
Et c’est pour quand « l’ère de la citoyenneté économique » ?
C’est pour bientôt. Je suis optimiste. Le bien-être social passe par le bien-être économique et tout le monde aspire au bien-être social. Seulement, l’escalier se balaie par le haut. Il faut que nos pouvoirs publics soient exemplaires, qu’ils mènent une politique économique cohérente et propice à l’épanouissement de chaque citoyen. Une fois ces préalables réglés, la citoyenneté économique ne pourra pas être une option. Je souhaiterais que les Sénégalais soient les Suisses de l’Afrique. Mais j’admets qu’il y a encore un long chemin à faire !
Quel regard portez-vous sur la littérature sénégalaise ?
La littérature sénégalaise est encore trop confidentielle. Elle reste malheureusement l’affaire d’une certaine élite, mis à part les ouvrages dédiés aux programmes scolaires. Elle ne rencontre pas vraiment son public et en cela, elle est en danger. En danger, parce que le livre est un produit culturel certes, mais un produit quand même donc avec une valeur économique. Il faut que les auteurs arrivent à vendre les livres pour que les éditeurs soient intéressés à les publier. Il faut donc qu’ils écrivent des livres qui intéressent le public, que le livre soit accessible financièrement, tout un cercle vertueux en fait pour que le livre arrive à être économiquement viable pour jouer ensuite tout son rôle éducatif, culturel et être aussi un objet de loisir et d’évasion.
Qu’en est-il de la littérature enfantine dans votre bibliographie ?
C’est une expérience que j’ai mise entre parenthèse, pour l’instant, même si j’ai encore beaucoup de manuscrits non publiés. Je suis très intéressée par les expériences nouvelles et j’estime qu’à ce niveau, j’ai encore beaucoup de chemins non explorés. C’est tout de même une formidable expérience car les enfants sont une perpétuelle source de jouvence. Ils sont spontanés et vrais et en cela, ils ne trichent pas. Quand une histoire ne les accroche pas, ils posent le livre et vont jouer. C’est un public très difficile à satisfaire. En même temps, ils ont une telle soif de nouvelles connaissances, de nouvelles expériences, ils sont capables de tant enthousiasme qu’écrire pour eux et les emmener à la lecture devient exaltant. Comme le disait François de Closets, « Il n’est pas de bonne pédagogie qui ne commence par éveiller le désir d’apprendre ». Enfin, les futurs adultes que sont les enfants sont une cible de choix pour tous ceux qui, comme moi, prêchent pour le renouveau de la lecture.
Nafissatou Dia Diouf vit-elle de sa plume ?
Loin de là. La seule richesse que la plume m’apporte, c’est celle du contact avec l’autre et pour moi, c’est une valeur inestimable. Pour tout le reste, j’ai un travail, tout ce qu’il y a de plus « conventionnel » qui me fait vivre et qui heureusement est une grande source d’épanouissement pour moi. J’essaie d’avoir une démarche professionnelle dans mon approche de l’écriture mais les journées ne sont faites que de 24 h. C’est mon seul regret.
Partagez-vous cette réflexion de Franklin Roosevelt lorsqu’il soutient que « les livres sont la lumière qui guide une civilisation ?
Tout à fait. Le livre et la bibliographie en général sont le reflet d’un pays, d’une culture, d’une civilisation, d’une époque. Les livres sont les témoins de leur temps et survivent pour la plupart à leurs auteurs pour livrer une culture parfois oubliée, parfois lointaine, parfois méconnue. Tout acte d’écrire est révélation implicite ou non et les bons écrits survivent des siècles à leurs auteurs. Une forme d’immortalité sans doute.
0 Commentaires
Participer à la Discussion