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Nafissatou Dia Diouf, écrivain : ‘J’écris parce que j’ai un besoin à exprimer’

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Nafissatou Dia Diouf, écrivain : ‘J’écris parce que j’ai un besoin à exprimer’
Nafissatou Dia Diouf se définit comme un écrivain tout court. Même si d’autres disent qu’elle est nouvelliste, poète ou spécialiste de la littérature de jeunesse, elle veut rester écrivain simplement. Sa passion du livre remonte à ses huit ans. A 37 ans elle a publié huit ouvrages. Et pour la première fois elle s’essaie à des chroniques avec son dernier livre Sociobiz. Dans cet entretien Nafissatou Dia Diouf, cadre dans une société de téléphonie, parle de sa passion pour l’écriture, de ses influences et de sa nouvelle forme d’écriture.

Wal Fadjri : Comment êtes-vous venue à l’écriture ?

Nafissatou D. DIOUF : C’est une histoire assez ancienne. J’écris depuis que je suis toute petite à l’âge de huit ans. Depuis la pré-adolescence, j’écrivais des poèmes. J’ai toujours aimé le français, c’est une matière que j’aimais beaucoup et que j’aime jusqu’à présent. Combiné à cela, j’ai une imagination assez fertile. Quand j’étais petite, je racontais beaucoup d’histoires, un peu ma vie, des histoires pas forcément vraies. Pendant l'adolescence, avec les troubles de cet âge, les repères que l’on cherche, j’exprimais beaucoup mes troubles par écrit, par la poésie dans mon journal intime. Quand j’étais un peu plus âgée, entre 14 et 16 ans, j’étais très prolixe en termes de poésie et à partir de 18 ans j’ai écrit plus de nouvelles. Ce revirement s’expliquait par le fait que j’étais étudiante et j’avais plus de temps. Je voyais des situations qui m’interpellaient et j’avais envie de les raconter. Je lis beaucoup et j’aime donner ma version des choses. Je pense que l’écriture est innée en moi. Cela m’est venu assez spontanément. Lorsque j’aurais plus de temps, à la retraite, j’en ferais mon activité principale.

Qu'est-ce qui vous a poussé à poursuivre votre activité littéraire ?

Au début, je montrais mes écrits à mon entourage qui me disait c’est bien. Mais pour moi, c’était partiel. C’était d’abord pour me faire plaisir et ensuite j’ai voulu le confronter à des regards externes pour avoir un vrai ressenti sur mon travail. J’ai commencé à passer des concours et j’ai reçu des prix. Notamment le Prix de jeune francophone en France à Toulouse en 1999 ; le Prix international de nouvelles au Canada organisé par radio canada ; le Prix de la Fondation Léopold Sédar Senghor en 2000 ; Prix ‘trois heures pour écrire’ en France, etc. Récemment, cela m’a fait un peu rigolé, j’ai reçu le Prix de la jeunesse littéraire l’année dernière : plus de dix ans après avoir commencé à écrire. Je me suis dit que j’ai du boulot, car j’aimerai bien passer de jeune écrivain à écrivain tout court. En tout, j’ai eu six ou sept prix, ce qui m’a un peu rassuré avec les prix internationaux donc un public international et un jury mondial. Ce qui fait que j’ai une écriture où au moins deux personnes peuvent s’y retrouver même si mes sujets sont l’Afrique, mon environnement, la société africaine.

Qu'est-ce qui dans votre environnement a suscité chez vous une vocation littéraire ?

Ma mère est littéraire. Elle lit beaucoup. Elle faisait partie d’un club de littérature. Elle se réunissait une fois par mois avec ses amies et elles discutaient d’un livre qu’elles avaient lu. J’étais très jeune à l’époque, je leur amenais des plateaux de beignets et de boissons, et là je laissais traîner mes oreilles. Cela m’intéressait, j’avais 10 à 12 ans, je n’étais pas encore dans ce cercle mais j’avais l’ambition d’y être. Il y avait beaucoup de livres à la maison et à l’école j’étais encouragée par mes professeurs.

Pourquoi écrivez-vous ?

Pendant longtemps, cela a été un cri du cœur, j’avais besoin de m’exprimer. Maintenant de plus en plus, ce sont des gens qui m’orientent. On me propose quelque chose, je me dis que je n’ai jamais fait cela, mais j’essaie, car j’aime les défis. C'est le cas avec mon dernier livre, Sociobiz. J’y arrive plus ou moins. C’est comme la littérature de jeunesse, feue Fatou Ndiaye Sow qui est un précurseur dans ce domaine, me disait : ‘Toi, tu devais écrire pour les enfants’. Je disais que je serais absolument nulle, parce que j’ai un style trop littéraire, trop compliqué. Elle me disait : ‘Essaie de le faire’. Je m’y suis essayée, j’ai écrit en tout quatre livres pour enfants, qui ont eu un franc succès. Mes écrits sont souvent orientés par des tiers ou lorsque qu’on m’invite à participer à une anthologie : ‘ça parle de tel thème, est-ce que ça t’inspire ?’ Tout de suite, je me dis qu’est-ce que je vais raconter mais je me prends au jeu et je fais quelque chose qui au finish me rend heureuse.

Pour qui écrivez-vous ?

Je ne sais pas. Quand j’écris en fait, je ne pense pas à mon lectorat. Je ne pense pas à un lectorat en particulier. J’écris parce que j’ai un besoin à exprimer ou j’ai quelque chose qui m’interpelle que j’ai envie de partager. De toute façon, tout écrivain à un petit public ou un grand public. Je ne fais pas les choses dans l’optique d’être lue par une majorité, quelque chose de forcément commerciale.

Quelle place occupe votre dernier livre Sociobiz, une compilation de chroniques sur la société sénégalaise, dans votre parcours littéraire?

C’est une expérience nouvelle qui m’a été proposée par le directeur de publication du magazine Réussir. Un journal dans lequel paraissent ces chroniques mensuelles à caractère économique sur le monde de l’entreprise. C’était son idée d’avoir l’œil de l’écrivain sur la société, pas seulement la société au sens étymologique du terme, mais aussi la société au sens économique du terme celle dans laquelle on travaille avec cette double expérience d’écrivain et de cadre dans une société privée en contact avec des gens du domaine économique. Delà est partie cette aventure de plus de trois ans. Mensuellement, j’anime une chronique qui s’appelle ‘Sociobiz : socio et business’. La plupart du temps, je me cale à la thématique du magazine qui a un thème majeur pour le mois ou quand cela ne m’inspire pas ou que je ne trouve pas un angle d’attaque, je prends un sujet qui m’interpelle sur la vie, sur la vie économique en général.

Avez-vous délibérément choisi d'écrire les chroniques sur un style ironique ?

C’était une expérience. Je ne pensais pas pouvoir écrire comme ça. Si vous avez lu mes livres antérieurs notamment pour les adultes, ils sont non seulement sérieux mais assez littéraires et soutenus et peut-être en cela, ils sont destinés à un certain public. Ici, c’est vraiment le parti pris qui m’a été proposé par le directeur de publication et sur laquelle je me suis bien amusée. Parce que je me dis, que ce n’est pas facile d’asséner des vérités avec un ton trop sérieux qui ferait que je donnerais des leçons où je ferais de reproches formelles comme si je serais irréprochable. Mon parti pris était pour interpeller les gens et les faire prendre conscience de certaines dérives, il fallait passer par l’humour et le fait de dire que c’est risible donc on doit rire de moi quand je fais certaines choses, cela incite à avoir un comportement plus exemplaire.

Qu'est-ce qui explique que vous ayez publié, jusque-là, très peu de romans ?

J’ai écrit un roman et j’en suis au deuxième, mais non publiés. C’est une longue histoire. C’est vrai que pour le premier, j’ai mis beaucoup de temps à l’écrire parce qu’entre temps j’ai une activité professionnelle et familiale, j’ai des enfants à éduquer. J’écrivais par petit bout. Quand j’ai fini de l’écrire, il y a eu des éditeurs qui se sont montrés intéressés. Mais je l’ai fait lire à des critiques, à des personnes en qui j’avais beaucoup confiance, qui m’ont dit ce n’est pas de ton intérêt de le publier tel quel. ‘Il est publiable, il pourrait plaire, mais à ton âge et vu ton potentiel, tu peux le retravailler’, m'ont-ils dit. Je suis dans ce travail, qui est un peu pénible.

Sur quoi exactement ont porté les critiques ?

Je pense que c’est complètement le style. Car le contenu, les personnes qui l’on lu, l’ont apprécié. C’est un peu un pêché de jeunesse. Ils remarquent que c’est trop littéraire, trop fouillé, un document romancé. On sent vraiment qu’il y a eu du travail et des efforts derrière. Alors qu’une histoire doit être fluide, quelqu’un doit pouvoir se plonger dans le texte en oubliant les mots et en étant dans l’histoire. Je crois qu’il y a trop de complications dans ce roman. Je me dis que je ne suis pas pressée, j’y vais à mon rythme, je pense bientôt le terminer. Et étant donné que j’écris un autre, cela pollue un peu cette activité d’où ma motivation de le terminer assez rapidement.

A quand remonte le début de l'écriture de ce roman ?

Il y a très longtemps. Il y a dix ans. J’ai commencé il y a dix ans mais je l’ai terminé il y a cinq ans. J’avais signé un contrat avec un éditeur, il était même chez l’imprimeur quand je l’ai rappelé pour lui dire je ne veux plus publier, je veux le retravailler. Je sais que je suis attendue, mais je ne suis pas pressée. J’aimerais sortir quelque chose qui marquera vraiment les esprits.

Peut-on avoir une idée de l’histoire ?

Le roman est intitulé La Maison des épices. Il raconte l’histoire d’un jeune homme devenu amnésique à la suite d’un accident et tout le livre est basé sur comment on l’accompagne pour récupérer ses souvenirs et notamment par la science, la médecine douce. La médecine moderne l’a accompagné pour qu’il n’ait aucun symptôme, mais il n’avait pas toujours de mémoire. Ensuite tout le roman s’appuie sur comment ce jeune homme est accompagné par la pharmacopée africaine, etc.

Quelle part occupent votre vécu et votre expérience propre dans vos écrits ?

J’ai des vécus à raconter comme tout le monde. Dans ce roman il y a des expériences qui me sont proches que j’ai vécues. Je dis que ce jeune homme est métis, il a deux origines et comme beaucoup de métis, ne sait pas trop où se situer, il est rejeté par un des côtés ou par l’autre ou par les deux. C’est un peu mon expérience aussi. Cela ne se voit pas mais je viens d’une famille de métis où il existe cette problématique là et où il y a cette acculturation pour certains. Etant donné que le roman parle de médecine traditionnelle, je me suis beaucoup documentée, j’ai même visité le centre Malango de Fatick. Dans le deuxième roman l’héroïne est une jeune femme qui se bat pour récupérer ses enfants enlevés par son mari parti en Europe.

A quand est prévue la publication des deux romans ?

Dieu seul sait ! Le premier est relativement fini et j’espère le sortir à la fin de l’année, en décembre. L’autre, disons en 2011 InchAlla !

Comment faites-vous pour allier travail et écriture ?

C’est difficile. C’est difficile. Parce qu’après le travail et l’écriture, il ne reste rien. J’écris par petit bout. Je n’attends pas les idées pour les griffonner quelque part. J’ai toujours un petit carnet auprès de moi. Même quand je dors sur ma table de chevet, je peux me réveiller écrire quelque chose et me rendormir. Je peux aussi être en réunion ou même pire en voiture, je m’arrête pour écrire. Cela fait que je ne bride pas mon imagination. Il me faut ensuite du temps pour structurer, écrire et corriger, ça je le fais le week-end, les vacances, quand j’ai un petit moment. Ce n’est pas évident, je suis consciente que j’aurais pu faire plus si j’avais plus de temps. Aujourd’hui, j’ai ma vie professionnelle, ma vie sociale, mes enfants ont besoin de moi.

Vous n’avez donc pas un moment fixe de la journée pour écrire ?

Si, j’écris aussi la nuit. Une fois que mes enfants sont au lit, mon ordinateur portable dans mon lit, j’écris jusqu’à ne plus avoir de force. Là, je suis inspirée, cela coule de source.

Des auteurs vous ont-ils influencée ?

Des auteurs en tant que tels, je ne le dirais pas. Je suis très boulimique dans mes lectures. J’aime bien lire toutes les publications. Il y en a que j’aime beaucoup, comme les classiques, notamment Mariama Ba, Boris Diop. J’aime aussi la littérature libanaise, en particulier Amin Maalouf, Tahar Ben Jelloun du Maroc. J’ai des goûts diversifiés. Je lis tout car j’aime bien me confronter à ce que je lis, cela me permet de défendre mes positions. La lecture donne un formidable vocabulaire et une grande culture générale. J’ai appris beaucoup de choses grâce à mes lectures, je connais des cultures à travers les livres comme le Liban, pourtant j'y suis jamais allée. Les ouvrages font voyager gratuitement.

Ces écrivains ont-ils suscité en vous l’envie d’écrire ?

Oui. D’ailleurs souvent les écrivains nuls, je me dis que je peux faire mieux qu’eux, c’est le Diom (Courage en wolof, Ndlr) et cela me motive. Si c’est un bon livre, on place la barre haut et on insiste pour atteindre ce niveau.

Adoptez-vous une méthode particulière dans votre écriture ?

Avec le roman, il faut en avoir. Il faut cadrer son travail avant de commencer, les personnages, l’espace temps et les lieux. Pour les autres nouvelles, poésie, littérature de jeunesse, il faut juste une méthodologie.

Pourquoi écrire en français ?

C’est tout bête. Nous sommes alphabétisés en français. Nous parlons wolof mais nous n’avons pas appris à l’écrire. Aujourd’hui devoir écrire en langue nationale me demanderait autant d’apprentissage. J’apprends à écrire en wolof et il paraît que je le fais bien. Mais je n’ai pas ce réflexe, je ne construis pas ma pensée en wolof, cela me sera difficile de le faire. Je ne pourrais pas écrire un roman en wolof. Je pourrais éventuellement raconter des histoires en wolof. Je l’ai même fait, j’ai un livre pour enfant où je parle de proverbes écrits en wolof. Si on a l’ambition de sortir des frontières, ce n’est pas avec le wolof. C’est différent du Pulaar. Le wolof est concentré au Sénégal et en Gambie. Ce qui fait que le lectorat est confidentiel. Boris Diop a des écrits en wolof, Doomi Golo. Je pense que c’est un parti pris, c’est quelqu’un de très militant. N’empêche il est revenu à la littérature en langue française.



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