Enfant terrible de la world music, le Sénégalais Cheikh Lô revient avec Jamm ("la paix", en wolof), un album acoustique et nostalgique, délibérément tourné vers la belle époque des orchestres africains des années 1970. Explications.
RFI Musique : Vous n’aviez pas enregistré depuis cinq ans, comment est né Jamm ?
Cheikh Lô : Un beau matin, j’ai pris ma guitare et une petite percussion, j’ai réfléchi aux rythmes que je voulais mettre en avant et je suis parti chez Thierno Sarr, mon bassiste. Il a un home studio à Yoff, à Dakar, et connaît bien la technique. Il a enregistré une première version, que j’ai envoyée au label World Circuit, à Londres. Nick Gold m’a donné son aval et nous sommes partis en studio… J’ai enregistré avec quelques invités, deux guitares, une batterie, une version plus lourde, plus électrique. Nick m’a conseillé de revenir à quelque chose de plus acoustique, qui correspondait finalement plus à l’esprit de l’album : Jamm, "la paix", c’est la clé de tout, quelque chose d’assez intimiste. Le mix a été fait à Londres, et nous avons rajouté là-bas un morceau, Bourama, que le saxophoniste Pee Wee Ellis et moi avons arrangé lors d’une tournée en Angleterre. J’ai inventé l’histoire en studio. Bourama, c’est les pérégrinations funky d’un petit imprudent qui emprunte un vélo sans demander la permission et qui le rend abîmé : le guidon est gondolé, la selle est gondolée, le vélo est foutu !
Dans cet album, vous reprenez Doni Doni, de l’orchestre Bembeya Jazz et revisitez des rythmes qui ont déferlé sur toute l’Afrique dans les années 1960-1970. Pourquoi ?
Le Bembeya Jazz, c’est bien sûr la référence pour toute une génération d’artistes. Je voulais leur rendre hommage en actualisant le morceau avec les jeunes "tous-risques" qui veulent quitter l’Afrique à tout prix ! Je suis né au Burkina Faso de parents sénégalais, à une époque où l’on était fier d’être africain. A ce moment-là, le Burkina était un carrefour, traversé par beaucoup d’influences. J’ai par exemple commencé à jouer à vingt ans, en 1975, dans l’orchestre Volta Jazz, qui était composé d’un Malien, d’une Burkinabé, d’un Congolais et d’un Ghanéen ! J’ai toujours gardé cette oreille panafricaine dans mes compositions. C’est cela qui m’a permis d’avoir cette vision très ouverte du mbalax sénégalais.
Jamm, c’est un album nostalgique ?
Oui ! Complètement, c’est peut-être l’âge qui avance ! Je suis nostalgique de l’époque des orchestres, de l’époque de Tabu Ley Rochereau, du faste de ces années ! Je sais, c’est à la mode en ce moment, mais quand on a connu l’enthousiasme des années 1970 en Afrique, franchement, on ne peut qu’être déçu : cinquante ans après les indépendances, beaucoup de choses ne se sont pas débloquées. Il n’y a pas de travail. Les jeunes veulent avoir un métier, se marier, devenir des hommes. Les dirigeants africains, eux, ont des gouvernements pléthoriques, des logements confortables et des bagnoles insolentes. Rien n’a avancé.
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