Qu’est-ce qui a été ce déclic qui a vous poussé à faire de la musique ?
Je peux dire que c’est un ami qui s’appelle Julo qui m’a poussé à faire de la musique. On ne se connaissait pas auparavant. J’ai toujours aimé chanter depuis que j’étais gamin. Des gens me disaient : Vous avez une belle voix. Mais, je ne pensais pas devenir, un jour, chanteur. Et je suis sûr que ma première apparition à la télé avait surpris les gens qui me connaissaient. Je ne m’occupais que de mon travail et de jouer au football. Un jour, un ami m’a prêté sa guitare et je me suis à jouer devant notre maison. Je ne savais rien, en réalité. Un homme m’a dépassé de 15 mètres, avant de revenir sur ses pas pour me demander «si je suis guitariste ?» Je lui réponds, audacieux, que oui. Il me dit de passer à la Patte d’Oie pour venir rejoindre un groupe musical qu’il manageait. Il me présente comme un guitariste alors que je suis un chanteur. Ensuite, j’ai quitté le groupe parce qu’on n’était pas sérieux. Certains avaient d’autres boulots, ce qui fait qu’ils s’absentaient souvent en répétition. Les autres étaient encore élèves et avaient leurs cours à suivre. Nous nous retrouvions que lorsque le temps nous le permettait et finalement, tout est tombé à l’eau.
Vous avez continué, malgré l’échec, à croire en la musique ?
Il y a une petite traversée du désert, mais j’ai réussi à confectionner ma première maquette. Et ce sont mes copains qui se sont cotisés pour me le payer. Le groupe s’appelait les Best boys. Ils ont sorti 200 000 francs pour me payer la maquette. Il y avait aussi une autre personne qui s’appelle Ive Jackson, un vrai mélomane, qui m’a beaucoup aidé. Il nous avait produit, un autre chanteur qui s’appelle Sidy Ngom et moi. Chacun de nous devait faire quatre morceaux pour les besoins d’une compilation. Lorsque j’ai enregistré mon premier morceau, l’arrangeur qui l’a écouté, a préféré que je fasse ces morceaux en solo à la place d’une compilation. Il allait s’arranger pour trouver quatre autres morceaux pour la compilation. Alain Gomez, qui appréciait ma musique m’a demandé de venir au Lemzo Diamono qui était au top. Donc, j’étais stupéfait d’autant que je ne prenais pas cette affaire trop au sérieux au début.
Pourquoi vous étiez surpris alors que vous avez toujours montré votre envie de percer dans la musique. Et le Lemzo devait être un rêve à cette époque ?
Non, je n’y croyais pas. Il me fait savoir que j’ai du talent et Lamine Faye (l’un des fondateurs du Lemzo Diamono) a besoin d’un jeune talent comme moi. A partir de cet instant, j’ai donné mon accord. Mais, cela ne m’a pas empêché de continuer mon métier de plombier. Contrairement à ce que beaucoup de jeunes font. On voit un jeune pétri de talent dans un art, mais fini par laisser tomber son métier sans pour autant avoir quelque chose de solide. Pendant tout le temps que j’étais au Lemzo Diamono, jusqu’au moment où j’ai sorti l’album Cocorico -qui est mon troisième album, je continuais à exercer mon métier de plombier. Même le jour de mon audition au Lemzo, je revenais du boulot et arrivé chez Lamine Faye, j’ai déposé mon sac à outils à l’entrée avant de me soumettre à l’audition.
Qu’est-ce que votre passage au Lemzo, considéré comme une grande école, vous a apporté dans votre carrière ?
Beaucoup de choses. Si je devais vous l’expliquer techniquement, peut-être que vous n’allez pas comprendre. Aujourd’hui, si on parle de musique sénégalaise, c’est grâce au son qu’on appelle le marimbalax. C’est le Lemzo Diamono qui a créé ce style musical. De plus, en tant que musicien, si on devait enregistrer un morceau, j’étais présent au moment de l’arrangement : les intro, les refrains, les beats se faisaient sous mes yeux. Ce qui me permet, aujourd’hui, d’arranger un morceau même si je ne connais pas les accords. Ensuite, je suis en mesure de savoir, lorsque je dois sortir un album commercial, quel refrain faut-il utiliser pour que la cassette fasse un tabac. Si vous prenez le cas de Michael Jackson, tous ses hit se résument à un refrain. Ce qui fait que même les enfants fredonnent le refrain. Ça, je l’ai appris au Lemzo Diamono. Par exemples : Djélélé, Djélélé, les gens le reprennent. Partira, Yaye seet, Salminina, Thiouthiou, c’est aussi la même chose. Ce sont des refrains que des gens reprennent spontanément.
Pourquoi alors quitter un groupe aussi formateur ?
A un certain moment, je me suis dis qu’il fallait que je parte et voir ailleurs. J’ai pris mes responsabilités pour entamer une carrière en solo. Ce n’est pas parce que nous n’avions pas la même vision des choses. Ce n’est pas un problème d’argent. Un groupe qui joue deux ou trois fois par semaine, tu n’as pas besoin de répétitions. Nous, en tant que musicien, nous ne voulions pas, à l’époque, rester chez nous à ne rien faire. Le local se trouvant chez Lamine Faye, nous venions réveiller le «grand» (Lamine Faye) pour répéter. C’est juste une envie de changement qui a dicté mon départ.
Après votre départ du Lemzo, vous avez travaillé avec le Jojoli. Comment le contact a été noué ?
Mon contact avec Jojoli (le studio de production de Youssou Ndour) s’est fait grâce à Bakane Seck, c’est le percussionniste de Baba Maal, de Viviane, mais aussi de Pape Diouf. Donc, il m’a mis en rapport avec Jimmy Mbaye (le guitariste solo du Super Etoile), afin qu’il m’aide à sortir un album (Partira). L’album les a intéressés. Alors, ils m’ont proposé de venir travailler avec Jololi.
Quelle est la nature du contrat qui vous lie justement à Jololi. Est-ce un contrat de production ou bien il est basé sur une durée bien déterminée ?
C’est un contrat de production. D’ailleurs, la sortie de mon premier album a cartonné après trois ans d’absence. Ce qui n’était pas évident. Nous avons fait un bon plan de marketing. Ensuite, j’ai sorti l’album Djélélé que j’ai moi-même produit, Jololi m’a proposé de revenir travailler avec lui. Et je n’ai pas hésité pace que leur manière de travailler me plaît beaucoup, le niveau musical que Ibrahim Ndour gère me satisfait. Ce sont les deux aspects qui m’ont le plus motivé à revenir jouer avec Jololi.
La promotion de tes albums, les tournées font-elles parties du contrat avec Jololi ?
Ça dépend. Moi, je suis quelqu’un de free (libre). Jololi pareillement. Il m’a produit et ne me condamne pas. Il m’arrive parfois de signer un contrat spécifique et de le violer. Je fais des tournées avec le Jojoli X band. Mais aussi, j’ai mon groupe et un staff qui travaille pour l’image de Pape Diouf, qui est la Génération consciente avec qui je travaille. C’est pourquoi je vous dis que je suis free. L’album (Djélélé), c’est Jojoli qui l’a entièrement produit. Mais, les tournées que j’effectue, ce sont mes propres contrats. Que ça soit tant au Sénégal qu’à l’étranger. Je le fais sans qu’il y ait télescopage.
Est-ce qu’on peut dire que l’album Thiouthiou (sorti en décembre) signe la maturité de Pape Diouf ?
Vous savez, ce sont les gens qui peuvent juger. Moi, je chante selon mes sensations. Je me fonde sur les opinions des uns et des autres pour pouvoir juger mon travail. Je suis à leur écoute. S’il pense que cet album est un signe de ma maturité, je dis : Alkhamdoulilahi. Ce qui me permet de redoubler d‘effort.
Vous avez été sélectionné pour la Kora d’or qui se tiendra en décembre au Nigeria. Comment cela s’est passé ?
C’est encore une fois, une volonté divine. Sincèrement, je ne peux pas vous expliquer comment le choix a été porté sur ma personne. On m’appelle chez moi pour me dire que je suis sélectionné pour la Kora d’or. C’est par la suite qu’on m’informe que je fais partie de 10 artistes retenus sur 700 000 pour le prix de la Kora d’or. J’en étais certes ému, mais je me suis dit aussi que je le méritais. Je souhaite remporter ce prix avec l’aide de Dieu et de Serigne Touba et aussi, d’autres prix. Mais, je pense que le plus important dans ça, c’est d’avoir été sélectionné en tant que Sénégalais.
C’est quand même une consécration dans votre jeune carrière ?
Oui ! La Kora d’or est un lobbying qui implique même les Chefs d’Etat. Si, à l’issue de cela, on en choisit dix personnes dont quatre Sénégalais (Fallou Dieng, Alioune Mbaye Nder et Black Diamonds), c’est une consécration parce que je me dis que cela n’arrive pas souvent. C’est exceptionnel. C’est une motivation supplémentaire pour aller de l’avant. Au-delà de la Kora d’or, nous avons aussi d’autres projets que nous voudrions mettre en œuvre.
Quels sont ces projets ?
Déjà, nous avons l’ambition de mettre sur pied une fondation Pape Diouf ou fondation Génération consciente. La cellule de communication déterminera, en tout cas, le nom le plus approprié. Cette fondation aura un but humanitaire. Nous avons des partenaires qui comptent apporter leur soutien. L’hivernage s’est installé. Nous voulons faire des dons en médicaments aux victimes des inondations. Je suis également l’Ambassadeur de la Décennie africaine pour les personnes handicapées. Je travaille aussi avec le Planning familial qui m’a d’ailleurs choisi comme Ambassadeur dans le volet social. J’ai réalisé aussi le single du championnat du monde de scrabble que les Sénégal a organisé pour la première fois au Sénégal. Je suis aussi ambassadeur de l’Ong Destinée africaine au même titre que le footballeur togolais, Adébayor (Emmanuel), laquelle regroupe 52 pays et dont le siège se trouve à Cape Town en Afrique du Sud. Je pense que ce n’est pas rien.
Il faut penser également à vous parce que vous êtes toujours célibataire ?
Non, je ne suis pas marié. Je pense que l’heure n’a pas encore sonné. Le moment venu, je me marierai. Dieu ne l’a pas encore décidé. Mais, Inchalla, je vais me marier.
Dans ton album Partira, vous avez, pourtant, promis d’épouser votre «petite copine», une fois de retour ? Etait-ce une histoire réelle ou simple imagination ?
Vous savez, si vous êtes chanteur, vous ne chantez pas pour vous mais, plutôt pour les autres. Maintenant, j’avoue que j’ai chanté ce morceau à cause d’un secret que je garde pour moi.
Quel est ce secret ?
(Il hausse le ton) C’est ce que tout le monde vit. Ce sont des faits. Vous êtes, entre copains en train de prendre du thé, certains, subjugués par les belles villas construites par les émigrés, ne veulent qu’émigrer. Un autre par exemple, vient vous raconter : «Boy, on m’a pris ma copine.» Vous lui demandez : «Qui a fait cela ?» Il te répond : «Un modou-modou est venu la détourner.» Avant d’insulter le gars. Ensuite, il ajoute : «Ce n’est pas grave, je vais émigrer.» Uniquement pour pendre sa revanche. Une fois à l’étranger, la première chose à faire, c’est d’appeler la copine qu’on avait chipée. «Allo, tel, c’est moi tel. Tu sais d’où je t’appelle ? De Milan.» (Rires).
Ce qui fait que l’émigration reste l’occupation favorite des jeunes sénégalais ?
Je suis contre l’émigration clandestine. Vous savez, la vie est une boule qui tourne et à chacun son tour. Par contre, je suis contre ceux qui interdisent aux jeunes d’émigrer. Ceux qui le disent, ils partent. La plupart d’entre eux ont leurs enfants à l’étranger. Si vous débarquez pour la première fois aux Etats-Unis, vous avez l’impression que tout le monde s’en va, tellement les gens voyagent. Indépendamment de ça, je pense que l’homme doit voyager pour découvrir. Mon père m’a un jour confié ceci : «Un homme doit passer par trois étapes de la vie : L’armée, la prison, le voyage.» Ces étapes sont des voies des souffrance et d’endurance. On dit qu’il fait bon vivre en France. Mais, vous pouvez vivre deux ans dans la galère où il vous arrivera de verser des larmes, parce que vous n’y verrez ni père, ni mère. Il faut que les uns partent, les autres restent. Mais, vouloir partir au point de prendre la mer, je le déconseille. C’est un suicide. J’ai visité l’Espagne et j’ai rencontré des émigrés clandestins qui m’ont dit : «Si je savais que l’Europe était comme ça, franchement, je n’allais pas venir.»
Mais tout cela illustre la crise sociale que nous vivons actuellement dans ce pays ?
C’est indéniable. La situation du pays est très difficile. Mais, il faut qu’on soit patient. A chacun son tour. Il y a des gens qui ont fait 20 ans à l’étranger mais ils n‘ont même pas de case. Alors qu ‘ils étaient restés au pays, il aurait pu gagner mieux leur vie.
Au Sénégal, la crise sociale est extrêmement aiguë ? Vous ne croyez pas ?
Oui ! C’est vrai. Le sac de riz à 20 000 francs, l’huile, le sucre, l’eau, l’électricité tout est cher maintenant dans ce pays. Et je le vis. Mais, il faut reconnaître que la crise est mondiale. C’est pourquoi j’invite les Sénégalais à éviter le gaspillage, la gabegie alors qu’on peut aider son proche. Il faut qu’on change de mentalité.
En tant que leader d’opinion, pourquoi ne pas chanter tout ça dans vos albums ?
Tout ce qui est thème d’actualité, je suis prêt à le chanter. Il est vrai que tout est cher, mais il faut reconnaître que notre Président travaille.
Pourquoi êtes-vous aussi affirmatif alors que les populations traversent des périodes difficiles, présentement ?
Mais il travaille. Le problème du Président, c’est son entourage ! Ils doivent l’aider plutôt que de se livrer à des querelles stériles. Les Sénégalais ne sont pas dupes. Ils savent discerner la bonne graine de l’ivraie. Si vous ne travaillez pas, ils vous démettent de vos fonctions.
Est-ce que vous ressentez cette crise sociale dans vos spectacles ?
Oh que si ! Je le ressens fortement. La plupart des soirées organisées ici, je ne m’en sors pas. Je le fais surtout pour faire plaisir à mes fans. La piraterie, également, nous porte préjudice. Tu sors ton album après de multiples efforts et tu ne parviens pas à écouler sur le marché 10 000 exemplaires. Les radios le mettent sans payer les droits d’auteur. Mais, comme j’ai l’ai dit tantôt, la crise est mondiale. Par exemple, le cachet que les promoteurs blancs nous payent les deux dernières années à l’occasion des tournées internationales, a été divisé par deux.
Ils me disent : «Pape, la crise est mondiale.» Le tarif des salles de spectacles a augmenté. Et si le promoteur doit louer la salle, faire des réservations d’hôtel, assurer le transport, il ne s’en sort pas. Certains te demandent même de n’amener que la moitié de ton groupe, on va compléter le reste sur place.
A ce rythme, est-ce que vous n’allez pas abandonner le métier ?
Cela dépend. Quelle que soit la conjoncture du moment, les musiciens s’en sortent. Aujourd’hui, ça marche, demain, ça ne marche pas. La vie est ainsi faite.
Certains disent que vous imitez trop dans vos chansons, vos clips, vos attitudes Youssou Ndour ?
Je m’en réjouis. Quand on imite, on imite des hommes exemplaires. Si on vous demande, aujourd’hui, qui est le musicien le plus coté ? Qui désignez-vous ? Youssou Ndour. Alors, quand j’imite, j’imite un modèle. Si je suis arrivé aujourd’hui à ce stade, c’est grâce à Youssou Ndour. Il faut que je sois reconnaissant. Deux anges sont au-dessus de ma tête. Youssou Ndour n’assure pas ma dépense quotidienne. Il ne m’a jamais offert un sou. Tout ce que je possède, je l’ai obtenu à la sueur de mon front et grâce à la prière de mes parents.
Chacun avec son style. Cela est plus original ?
Youssou ne me dit jamais comment je dois chanter. Si je devais remercier quelqu’un, ce serait Lamine Faye. Mais, dans la vie, l’homme a forcément un idole. Et Youssou Ndour est mon idole. Pourquoi, devrais-je prendre comme idole, par exemple, Bob Marley ? Je ne le connais pas, je ne comprends pas ce qu’il dit. C’est vrai que j’imite Youssou Ndour et j’en suis fier. Maintenant, chacun de nous à son style. J’ai mon style qui m’est propre.
Propos recueillis par El H. Daouda L. GBAYA et Bocar SAKHO
0 Commentaires
Participer à la Discussion