Avec son documentaire intitulé Diola Tigi, la réalisatrice Fatou Kandé a voulu ramener de son aventure casamançaise ce qu’il y avait de plus cher, de mieux partagé par l’ethnie diola. Et sa camera a rencontré le bukut…Dans la matinée d’hier, c’était au tour de la presse.
Quand on y songe, il a tout de même quelque chose d’assez déroutant, le titre du film. Diola tigi, on penserait presque à un de ces regards fouillés qui s’attardent sur tout et rien à la fois, sorte de vision panoramique sur tout ce qui se réclamerait de la culture diola.
Sans doute se laisse-t-on emporter par les premiers mots d’un documentaire qui dure 35 minutes. Car c’est à une question qu’il faudra répondre, banale en apparence et même un peu drôle par moments. « Qu’est-ce qu’un Diola ? », c’est comme cela que commence l’histoire, par ces quelques mots qui vous arrachent un sourire incrédule, parce qu’on sait bien ce que c’est, en définitive. Quand on s’arrête à ce qu’il peut y avoir de naïf et d’apparent dans tout cela, il n’y a plus rien à dire. Mais il est question d’essence, concept exigeant à bien des égards, et les réponses se succèdent. Le Diola, c’est à la fois, un « mystère », quelqu’un de « fier, charitable (et) guerrier », mélange de « balante, baïnouck, mandingue ». Entre deux mots, il faut surtout penser Casamance, terre d’origine, mais pour cela il faut savoir remonter le temps. C’est l’histoire de deux sœurs qui se perdent en mer : l’une échoue au Saloum, l’autre sera l’ancêtre des Diolas. Familles et rizières sont les seules richesses d’un peuple qui se soumet, sans être aveugle, à l’autorité familiale. Lorsque la camera se fraye un chemin en pleine rizière, elle rapporte quelques-uns de ces chants de femmes qui donnent de l’ardeur et de la joie.
Le fils est un luxe
Mais elle va bien plus loin que toutes ces scènes alentour, là-bas sur la route qui mène à Baïla. Ici, comme dans d’autres villages du sud, l’on célèbre le bukut, un rituel initiatique réservé aux hommes, symbole du passage de l’enfance à l’âge adulte : « le secret de la masculinité ». Le parcours initiatique, pour le téléspectateur aussi, fonctionne d’abord comme un cours introductif où l’esprit se familiarise avec quelque chose de tout à fait nouveau. A Baïla, le rite d’initiation a lieu tous les trente ans, c’est un moment de « recueillement et d’apprentissage ». De communion aussi, parce qu’ils viennent de partout, fils du terroir ou expatriés, et Baïla est leur point de convergence. Tous ensemble se réclament de quelque chose d’absolument exclusif : « C’est la survie de ce que nous sommes, c’est ce qui fait de nous ce que nous sommes ». Dans ce qu’il y a de plus intime, dans le secret des traditions, point de place pour ceux qui n’auront pas franchi le pas, ceux qui n’auront pas fait le voyage jusqu’au bukut. Dans la société, ils ne sont pas admis ou à peine tolérés, ils n’ont pas voix au chapitre. Dans un système, où « le fils est un luxe », il faut savoir prendre soin de ses enfants mâles, les enrichir et les renouveler.
Mais rien ne se fait sans sacrifice, et pour cela il faut passer par le bois sacré. Surtout, il faut se montrer digne d’y entrer : dans la maison maternelle, on se rase le crâne. Impressionnant cette masse compacte qui se forme, tous ces hommes échevelés et à moitié nus, fondus dans le même moule, les uns liés aux autres, avec les mêmes références au sacré, à l’interdit, la responsabilité, le courage.
Et comme tous les sacrifices, cela n’a rien d’une partie de plaisir et l’œil se retrouve projeté dans une réalité d’une tout autre dimension. Ici, il faut savoir endurer, la douleur de la circoncision pour les jeunes garçons par exemple, démystifier les coups et les brimades, les injures aussi, et se montrer invulnérable à la lame d’un couteau que l’on promène sur toutes les parties du corps. Sans crainte, c’est pour la bonne cause. Avec un fusil à poudre, on joue à se faire peur, et il arrive aussi que l’on en meure, mais c’est une belle mort. Sur l’écran, pas de trace visible de ces « accidents », rien que des mots. Quand on fait le chemin inverse, quand on quitte le bois sacré, on n’est plus le même, on grandit.
L’exigence d’un monde moderne
Une image après l’autre, changement de décor. Cap sur la Casamance moderne avec ses jeunes épris de rythmes et musiques d’aujourd’hui, l’ouverture sur un monde nouveau. Un monde où l’on fait ses premiers pas avec l’école, ensuite avec le bukut. Lui non plus n’échappe pas à la vague de modernité : « Le nouvel homme du siècle ne veut pas être un Diola tigi appartenant à une société, à un groupe social, mais il veut exister au sein d’une communauté universelle ».
Une communauté soumise à ses exigences car il faut aller vite. Plus le temps pour de longues séances initiatiques, celui de Baïla n’aura duré qu’une semaine, avec des formules particulières pour les plus occupés d’entre les initiés.
Pour révéler un trait de culture assez intime, il en a fallu du courage. La réalisatrice affirme que l’équipe de tournage a été bien accueillie par endroits, le secret livré avec fierté. Par moments, c’était un peu plus difficile, avec un refus sans appel de dévoiler le côté-jardin d’un Diola tigi. Mais ce n’est que ce qui est permis à l’œil de voir. Pas de regards indiscrets dans le bois sacré, aucune camera n’est tolérée, le secret est bien gardé.
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