Bien qu’elle se fasse de plus en plus rare sur les scènes, la cantatrice sérère n’en est pas moins éblouissante dans ses prestations. Vendredi dernier au Pen’Art Jazz, la diva aux lunettes noires a gratifié son public d’une soirée riche de nostalgie et de sonorités traditionnelles.
Ce qu’on aime d’elle, ce sont ses a capella puissants et limpides. Ses soyeux murmures qui racontent les généalogies, réactualisent les hauts faits, magnifient les vertus. Ce sont aussi ces litanies qui rythment si bien en chœur, la vie sérère et témoignent de son histoire, rappellent sa richesse culturelle. Yandé Codou Sène, mémoire vocale, est entrée, depuis toujours, dans ce cercle des témoins de notre temps, trésor humain vivant. Icône vivante de la culture sénégalaise, elle semble incarner comme une garantie de félicité et de communion profonde avec un être dont le génie l’éblouira toujours.
Au milieu de sa troupe attendant le début de sa prestation, le vendredi 4 août au Pen’Art Jazz club, la madone trône majestueusement. Son teint ébène et son allure assez réservée lui donnent un air souverain. Pour une fois, elle ne porte pas ses éternelles lunettes de couleur noire fumée. Mais la diva du chant choral sérère est amère. Contre tout. Elle est aigrie par une espèce d’ingratitude à son égard. Un oubli. Elle ne le dit pas ouvertement, mais elle n’est pas moins affligée. Elle boude le rétroviseur de sa vie, elle refuse de revenir à son passé. Tout bonnement.
On sait d’elle, qu’elle est issue d’une grande famille de griots et qu’elle a appris les rudiments de son art auprès de sa mère, Amadjiguène, qui était une référence dans le genre. SENGHOR, PAR DEVOIR ET AMITIE
On sait aussi et surtout que depuis son adolescence, elle n’a pas divorcé d’avec cet art. Depuis cette fameuse fête de circoncision, alors qu’elle avait quinze ans, qui consacra ses débuts fracassants dans le chant polyphonique sérère. On se rappelle également la place de choix qui était la sienne auprès du premier Président du Sénégal indépendant Léopold Sédar Senghor. Les souvenirs des jours heureux se bousculent dans sa tête, mais courageusement, elle les écarte d’un revers de bras.
Elle n’a pas renoncé à son art. Sur scène, elle revisite son répertoire mille fois exécuté. Sans déroger à une règle qu’elle seule maîtrise, elle fait la part belle à son regretté Léo Kor Jor. Par ce sempiternel souffle dont la nostalgie a drainé un public nombreux au Pen’Art Jazz, elle a commencé sa prestation. On ne la voit plus, on l’écoute, pieusement, on communie à cette voix doublée qu’un fidèle écho renvoi aux auditeurs silencieux. Le grand boubou jaune dans lequel elle est drapée ce soir-là lui va à ravir. Elle a remis ses éternelles lunettes fumées. Et la tête légèrement penchée, elle se lance dans de longs couplets sonores, d’une traite. Sans s’essouffler.
SOUFFLE ENERGIQUE
Ce cri, ce souffle unique, est encore, à 74 ans, énergique. Ce n’est pas pour rien qu’elle accroche et inspire encore des artistes comme Julia Sarr qui avoue, à propos de Gaïndé, Voices from the heart of Africa (Voix du cœur de l’Afrique), Cd réalisé avec Youssou Ndour : «Ce disque, je ne peux pas m’en séparer. Je peux prêter tous les autres même sans espoir de les retrouver, mais ce disque de Yandé Codou, non.» La voix de Yandé Codou transperce le mur de sa main gauche qu’elle garde plaquée contre sa bouche. Qu’elle célèbre les jours de jadis, le temps béni du prince aux allures de lion. Ou qu’elle fasse le panégyrique du poète président et ami. Senghor dont «le règne goûtait le miel». Qu’on ne s’y trompe pas. Elle chante Senghor, par devoir et amitié, par reconnaissance surtout.
Elle fait aussi allégeance à Abdou Diouf et à son successeur Abdoulaye Wade. Elle a conscience de jouer son rôle de griotte, comme autrefois, dans la longue tradition des monarchies africaines. Son ensemble instrumental est étique. Deux tam tams et un tambour d’aisselles (Tama) en forment l’essentiel. Peut être même excessif. C’est plus les trémolos de cette voix qui accrochent que le fond instrumental. Cela n’enlève en rien la qualité des ses batteurs, qui ont su harmonieusement donner au répertoire un air plus dansant, au bonheur de nombreux spectateurs qui, n’en pouvant plus de sourire et d’applaudir, investissent la piste pour quelques pas de danse. DE L’ELEGIE A LA GRATITUDE
Parfois, avec un curieux accent trop justement sérère, la cantatrice s’essaie au wolof. Ses hymnes suintent tantôt l’élégie, tantôt trahissent une gratitude simple.
Mais Yandé sait manier les images. Elle sait utiliser avec finesse les métaphores, l’apostrophe, la prosopopée. Son batteur Birama Mbaye est formel : «C’est comme si quelque énergie transcendantale l’habitait en permanence. Mais elle se consacre à son art avec rigueur et discipline.»
Dans cette équipée, celle qui est aussi connue à l’étranger pour ses collaborations avec Youssou Ndour, Wasis Diop, Musa Dieng Kala et Baaba Mal, s’est entourée de sa famille. C’est peut-être une question de référence, de style. Le résultat se voit. Sa fille Aïda Mbaye y fait en tout cas figure d’héritière.
MALGRE L’AGE
Malgré son âge (elle est née en 1932) qui ne lui tolère plus beaucoup de déplacements, la diva refuse de fausser compagnie à ses admirateurs. Avec cette voix chaude, rauque et presque enrouée, Yandé trouve l’énergie de gratifier d’une longue soirée, une foule qui, encore une fois, constatera la puissance vocale et la générosité d’une femme profondément attachée à sa culture et qui s’est donnée le sacerdoce de distiller une fraîcheur mélodieuse en cette atmosphère d’étuve.
Elle avertit : «Que celui qui a besoin de moi vienne me trouver à Gandiaye. Je suis née à Somb, et c’est à cause des difficultés d’accès que Senghor m’avait installée à Gandiaye.» Elle ne bouderait pas, pour sûr, une reconnaissance en espèce de son talent et de son engagement pour la promotion de la culture sénégalaise.
<23>dethie@lequotidien.sn
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