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COLLE ARDO SOW : “ Il n’y a que le prestige derrière les grands noms de stylistes”

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COLLE ARDO SOW : “ Il n’y a que le prestige derrière les grands noms de stylistes”
Initiatrice du salon de mode Sira Vision, la créatrice Collé Ardo Sow ambitionne de faire de Dakar la plaque tournante de la mode africaine tout en offrant aux jeunes talents sénégalais, une plateforme d’expression. Entretien avec cette dame dont l’itinéraire se confond avec le pagne tissé.

Pour commencer, une question toute simple. Qui est Collé Ardo Sow ?

Collé Sow Ardo est une créatrice de mode qui est installée à Dakar depuis 1983 et originaire du Fouta, une peule de Galoya et qui est née dans le Baol, dans la région de Diourbel. C’est difficile de se présenter et de dire qui on est. Pour les lecteurs, je dirai que je suis dans la mode depuis plus de 40 ans. C’est un métier qui me passionne et que j’aime. J’essaie de faire de telle que sorte que cela soit reconnu mondialement. Je suis mariée, mère de famille avec beaucoup d’enfants qu’ils soient biologiques ou adoptifs. Beaucoup d’enfants m’appellent maman, c’est sincère en eux et j’essaie de mériter cela.

Pour en revenir à la mode, d’où vous vient cette passion pour la création ?

Je pense qu’il y a une large part du destin. Cela m’est venu étant toute jeune. Toute petite, je m’amusais à habiller des poupées. Et le milieu familial aura une forte influence avec une mère couturière, pareil pour mon grand-père paternel. Je le dis souvent, la couture est un don de Dieu pour le Sénégal, parce que si vous remarquez dans les maisons, jusqu’à un passé récent, vous trouviez dans chaque maison une machine à coudre. Et cela est devenu une partie intégrante de la culture sénégalaise.

Par rapport à votre démarche d’artiste, on vous surnomme la reine du pagne tissé. Parlez-nous de ce label...

En fait, le surnom de la reine du pagne tissé m’a été donné par le présentateur Ambroise Gomis. Cela est dû au fait que je suis la première africaine à utiliser le pagne tissé comme support de travail dans mes créations. Avant, c’était plutôt des pagnes que l’on donnait ou que l’on utilisait dans les baptêmes, les mariages et autres cérémonies traditionnelles. Hormis certaines ethnies comme mes parents hal pulaars qui en faisaient des grands boubous, on ne trouvait pas, par exemple, des coupes classiques à l’occidental du genre tailleur ou autre modèle. Et c’est ce créneau que j’ai exploré comme marque de fabrique.

Vous avez donc voulu revaloriser un pan de la culture sénégalaise...

Si l’on peut dire ainsi. Je suis allée en France alors que je travaillais dans une maison où l’on ne faisait que de la soie. Et une fois rentrée au pays, j’ai trouvé un florilège de matières textiles. Etant du métier, on cherche toujours la petite étoffe, le petit bout de tissu -la pratique est courante en Europe notamment dans les salons- qui peut être une matière nouvelle. De là, vous vous mettez à créer en y apportant une touche nouvelle. Personnellement, c’est étant toute jeune que je me disais que je pouvais faire quelque chose avec ce tissu -le pagne tissé. En 1974, lorsque j’allais en France, j’avais déjà dans mes valises une veste que j’avais réalisée avec ce modèle. Une manière de vous dire qu’il y avait une part de prédestination alors que j’étais encore mannequin. Partout où je passais, les gens me demandaient ; c’était quoi ce tissu, jusque dans les métros et dans les boutiques. Le tissu était tellement omniprésent que mon mari a fini par me demander de le changer. Et je l’ai toujours gardé. Dieu a fait que ma première collection en 1983 était marquée par dix modèles en soie et un avec du pagne tissé. Aujourd’hui, je peux dire que c’est une partie intégrante de ma personne.

A votre avis, dans quelle mesure la mode, en général, le stylisme, en particulier, peut-il être un vecteur de croissance économique ?

A juste raison, la préoccupation est la mienne. Dans cette dynamique, mon souhait serait de faire un recensement, histoire d’avoir un répertoire de tous les créateurs sénégalais afin de jauger l’impact de la création comme industrie culturelle dans le tissu économique du pays. Si vous voyez bien dans les maisons, traditionnellement, ce sont nos mamans qui confectionnaient les pagnes à coût de 1000 ou 2000 francs. C’est avec cet argent qu’elles assuraient la dépense quotidienne et géraient les maisons. Cela signifie que la couture joue un rôle combien important sur le plan socioéconomique. De fil en aiguille, les choses ont atteint aujourd’hui des proportions assez intéressantes et notables. Et les autorités politiques doivent intégrer cette dimension dans leurs schémas de développement du pays.

Mon ambition est de voir, dans un avenir immédiat, le Sénégal devenir un grand pays exportateur de textile à l’image du Maroc ou de la Tunisie. Dans quelque coin que vous irez au Sénégal, vous trouverez de talentueux couturiers. Dans toutes les régions du Sénégal, il y a de la mode, il y a de la création. Que ce soit à Saint Louis, Diourbel, Thiès, Kaolack ou bien ici à Dakar. Malheureusement, je ne dirai pas qu’on est incompris mais il reste beaucoup à faire sur ce plan. A ce sujet, je salue l’engagement du président Abdoulaye Wade qui soutient les stylistes. Mais il ne peut pas faire tout, tout seul. Ses collaborateurs doivent mettre en application sa vision sur ce secteur. De là, nous pourrions explorer d’autres horizons, notamment le marché américain.

Sur ce point, comment les stylistes peuvent apporter une plus value économique à travers la création ?

Ils le font déjà, c’est une organisation. Pour cela, nous avons encore besoin d’unités de confection dans les métiers de la mode pour des productions à grande échelle. Parce que moi, je suis dans mon coin, je fais des vêtements mais je suis créatrice de profession. Normalement, je ne devrais pas avoir de tailleur chez moi, mais plutôt un bureau de styliste pour concevoir les modèles, faire des prototypes, des patronages et aller les présenter dans les industries pour faire les vêtements. Là, peut-être je gagnerais de l’argent. Tandis que présentement, un client qui vient me dire « je veux que tu me crée un modèle », je suis obligé de m’asseoir et de le lui dessiner. Je suis contraint de lui faire un patronage sur ce modèle, de lui faire essayer, sans compter les autres paramètres qui entrent en jeu, de sorte que je ne peux pas beaucoup gagner dans cela. Si le client veut être le dépositaire exclusif de ce modèle, il n’a qu’à mettre le prix, même si cela va jusqu’à un million de francs. Dans la même approche, je pourrai faire des modèles de chemise avec des séries de 1000 unités. Ce produit ne sera pas uniquement destiné au marché sénégalais, mais aussi au marché européen et dans d’autres sphères géographiques. Même le marché africain nous suffit. Avec ces 1000 modèles, si tu gagnes 1000 francs sur chaque pièce, tu peux t’en sortir parce qu’il n’y a pas d’intrants qui entrent en jeu. C’est cette fabrication en série qui peut faire gagner de l’argent. Actuellement, il n’y a que le prestige qui est derrière les grands noms de stylistes. On veut un nom, on parle de Collé Ardo, on parle de tel ou tel nom. Ce n’est pas en vendant dix modèles par mois qu’on parviendra à honorer ses charges, à plus forte raison d’y gagner de l’argent. D’autant plus que les rentrées d’argent sont aléatoires. N’empêche, j’ai foi à la mode qui est un métier porteur, c’est pour cette raison qu’on y est toujours.

Est-ce que les créateurs sénégalais ont suffisamment pénétré le marché américain à la faveur des accords de l’Agoa ?

A ma connaissance, nous n’avons pas encore commencé à exporter. A un moment donné, on nous a demandé de donner des modèles, cela doit faire cinq ou six ans. Les modèles sont partis et ils ont été testés. On est éligible et on nous a même donné des diplômes pour exporter. Je trouve que ce n’est pas comme ça. J’ai fait des salons et on me demandait de faire 1000 modèles par jour, je ne peux pas les faire. Je fais du pagne tissé. Je pense que pour vendre aux Etats Unis, je crois sérieusement qu’il faut que nous ayons nous-mêmes nos magasins. C’est-à-dire, qu’on ne soit pas obligé d’aller vendre aux autres à vil prix avec des modèles qui coûtent entre 2 ou 3 dollars (ndlr : entre 900 et 1500 francs Cfa). C’est impossible. Personnellement, je préfère avoir mon magasin ou bien avoir un ou des partenaires qui exposent mes modèles. Les Etats-Unis, c’est la quantité. J’ai fait les Etats Unis, j’ai présenté des collections là-bas, j’y ai fait des salons. Mais, chaque fois, je vendais tous mes modèles. Depuis qu’on a parlé de l’Agoa, j’ai arrêté tous ces voyages parce que je me disais qu’avec cet accord, ce serait plus facile avec cette préférence douanière. Malheureusement, on a été coincé dans un tourbillon en disant qu’il fallait qu’on atteigne les normes de qualité. Mon souci essentiel est qu’on ait des unités de confection au niveau local avec des ouvriers de chez nous. Pour cela, j’ai eu des contacts avec des partenaires marocains qui étaient prêts à délocaliser au Sénégal une partie de leurs unités.

Récemment, le président Wade avait suggéré une meilleure valorisation du textile local ? A quel niveau y a-t-il blocage ? Avez-vous démarché les autorités sénégalaises par rapport à ce projet ?

En principe, les Marocains devaient venir visiter pour voir le local parce qu’ils demandaient 4000 m2 pour implanter l’usine. J’ai discuté de ce projet avec certaines autorités mais bon... (Ndlr : elle coupe). Et par rapport à l’idée du président Wade, je dirai que, à mon niveau, depuis que je suis dans la mode, je m’emploie du mieux que je puis pour le textile sénégalais. Avec la défunte Sotiba (société textile), c’est nous qui allions vendre les modèles de cette usine aux Etats-Unis. Mais, malheureusement, voulant gagner de A à Z, la société est allée chercher des stylistes pour faire leurs propres modèles. Avec d’autres expériences similaires, les gens nous ont faits des coups bas. Et cela freine l’initiative. Il faut que les gens respectent le travail de chacun.

Pour rester dans cette lancée, voulez-vous entretenir nos lecteurs de la condition des stylistes au Sénégal ?

Bon, au Sénégal, nous avons beaucoup de créateurs et chacun a sa propre ligne de vêtement. J’ai la mienne, pareil pour Diouma Dieng Diakhaté, Nabou Diagne et d’autres. Je le dis clairement, on n’est pas des concurrentes. On pouvait être au même endroit et avoir nos propres magasins parce que nous ne vendons pas la même chose. S’il n’y a pas de mauvaise foi -parce que, parfois, les gens vous copient vos modèles- on peut réussir pas mal de choses. Une fois, j’ai perdu une cliente qui m’a amené une jupe d’un autre créateur. Lorsqu’elle est venue, je lui ai signifiée que je ne copie pas ce modèle. Elle m’a dit cela me coûte quoi ? Je lui ai rétorqué que cela m’est égal et je ai lui notifié que ce modèle appartient à un autre et que Collé n’est pas une copieuse. La tricherie tue la création. Une manière de vous dire que nous avons besoin d’une bonne dose de moralité dans notre travail quotidien. Nous devons être solidaires entre nous. Voyez-vous, le thème de Sira Vision 2010 a été « Aimons- nous », d’où ce souci d’une générosité agissante. Je suis d’une culture où je ne peux rien faire sans penser aux autres.

Pour rester dans Sira Vision, voulez-vous revenir sur les grandes lignes de cette 6e édition ?

Les grandes lignes, c’est plutôt le fait qu’il y a beaucoup plus de créateurs qui étaient au nombre de 80. Cette édition a été marquée, entre autres, par le défilé des jeunes créateurs, celui des brodeurs et le clou a été la soirée panafricaine. Même s’il y a eu des impairs avec des sponsors qui n’ont pas honoré leur engagement, nous avons tenu à organiser cette grande messe de la mode. Je me suis dite que nous allons faire avec ce que nous avons. Parce qu’on a fait venir des gens et qu’il fallait leur assurer le gîte et le couvert. De même, il fallait assurer le défilé avec tout ce que cela comporte. Mon ambition est de faire de Dakar la plaque tournante de la mode africaine, parce que ce n’est qu’au Sénégal qu’on sent cette vitalité artistique. C’est pour cette raison que je me bats pour que Sira vision se tienne tous les ans. Le but est de faire de ce salon une locomotive pour les jeunes talents.



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