Après Youssou Ndour, le chanteur Yves Niang a également lancé un mouvement citoyen. Objectif :venir à bout les difficultés du ghetto. «Espoir pour la banlieue» qui compte plusieurs membres étale ses tentacules. Dans cet entretien, l'artiste revient sur ses motivations qui, dit-il, sont loin d'être «personnelles». Chapelet à la main, habillé de manière sobre, Yves Niang, dans sa demeure nichée aux Maristes, revient sur son itinéraire. Du talibé au chanteur, en passant par le marchand ambulant, celui qui est aujourd'hui le chef d'un mouvement citoyen se livre. A cœur ouvert...
Walf Grand-Place : Avez-vous fait des études ?
Je n'ai pas été à l'école française. Cependant, j'ai fait 4 ans au
daara Mame Cheikh Mbaye de Louga, chez Serigne Issa Samb.
Au daara, vous arrivait-il d'aller mendier ?
Oui (il insiste), j'allais mendier comme tous les autres enfants
d’ailleurs. J'ai parcouru les rues de Louga à maintes reprises pour
quémander de la nourriture.
Quels souvenirs gardez-vous de ces 4 années passées dans un
daara ?
J’avoue que j'en ai gardé de mauvais souvenirs. Je n'avais que 8
ans lorsque, mon père me confiait au marabout. Et l’internat était
tellement difficile pour moi qu'on a dû m'amener chez des parents. Ça se
comprenait parce que je n'étais pas habitué à un certain style de vie.
J'avais du mal à m'y faire.
Pourquoi ne pouviez-vous pas supporter les conditions de vie,
étiez-vous trop gâté par vos parents ?
Non, ce n'est pas ça. Comprenez que quand on est jeune, on est
inconscient, sans souci. Et puis, en ce temps-là, Dakar c'était
vraiment bien. Rien n'était cher. Et surtout les repas de midi, pendant
cette période, les Sénégalais déjeunaient à midi. Arrivé au daara, c'est
à 16h que les gens mangeaient et on n'était pas rassasié. Car, il
fallait attendre que ceux qui allaient mendier reviennent. Ce sont les
restes qu'on nous donnait. De plus, je ne voyais pas mes parents très
souvent, juste lors des Gamou.
Qu'est-ce qui vous a le plus marqué dans ce daara ?
Ce qui m'a le plus marqué, et c'est un mauvais souvenir
d'ailleurs, c'est mon premier jour. A l'heure du déjeuner, j'ai vu le
marabout et sa famille autour du bol, je me suis approché pour manger.
Il m'a dit niet, sous prétexte que je devais attendre le repas des
talibés partis mendier. Ça m'avait écœuré, j'étais là à côté d'eux en
train de pleurer, l'odeur du repas me perçait le nez et ça les laissait
pourtant indifférents. J'avais très faim, mais la bouffe était là et
l'on m'interdisait d’en manger
Vous lui en voulez encore des années après ?
Non, pas du tout. Avec l’âge, j'ai su que tout ce que j'endurais
dans cette école coranique, c'était pour mon apprentissage à la vie. De
ce daara, j'ai appris à tolérer nombre de choses, à vivre dans n'importe
quelles conditions et à m'adapter à toute sorte de situation. Ça m'a
beaucoup servi.
Pourquoi votre père a préféré vous amenez au daara, plutôt qu'à
l'école française ?
Parce que je suis l’homonyme de son marabout et il voulait que je
lui ressemble. J'ai des frères et sœurs qui ont été à l’école française.
Qu’avez-vous fait après le daara ?
Après le daara, je suis devenu marchand ambulant. J'y suis entré à
travers des connaissances. J'avais des amis qui exerçaient ces petits
métiers et j'ai remarqué qu'ils gagnaient beaucoup d'argent. Maintenant,
nombre d'entre eux ont voyagé, d'autres sont devenus de grands
commerçants. Je regrette pourquoi je n'y suis pas resté.
Pourquoi avez-vous arrêté ce métier ?
Parce que je voulais me consacrer à la musique. Vous savez, c'est
juste après avoir quitté le daara que je commençais à fréquenter les
cérémonies, les jeux de faux lions et autres pour chanter et danser.
J'étais très bon danseur, surtout de funk. C'est de là d'ailleurs que me
vient le surnom Yves.
Ah bon, votre père ne vous en a-t-il pas voulu, lui qui
souhaitait que vous ressembliez, à votre homonyme ?
Non, il a compris que c'était des trucs de jeunesse. Cela ne m'a
pas empêché d'acquérir des connaissances et de suivre ce qu'on m'a
appris au daara.
Que retenez-vous de votre expérience de marchand ambulant ?
J'en ai retenu qu'il n'y a pas meilleure manière de gagner
beaucoup de l'argent que d'être marchand ambulant. C'est entreprenant
comme métier et ça prospère très vite. Ceux qui le font et qui ne se
pressent pas trop deviennent généralement riches. Je vous dis que si
c'était à refaire, je resterais marchand ambulant. Je vous apprends que
si je voulais émigrer, je serais parti au moment où j'étais marchand
ambulant. En ce moment, voyager n'était pas aussi difficile
qu'aujourd'hui.
Quelle est la plus grosse somme que vous avez gagnée étant
marchand ambulant ?
Ça dépend. Vous savez, ça peut arriver qu'un marchand ambulant
rentre sans un sou, comme il peut se faire beaucoup d'argent en une
journée. Un jour, je me suis réveillé sans un sou. Sorti pour prendre le
car, j'ai ramassé un billet de 1.000 francs et je n'en revenais pas. En
ce moment, il y avait les rouges à lèvres qui se vendaient à 300 francs
et qui étaient très aimées des filles. J'en ai acheté une douzaine et
cela m'a rapporté beaucoup d'argent. Je vais vous faire une confidence :
c'est en étant marchand ambulant que je me suis marié.
Ah bon ?Vous gagniez assez ?
Bien sûr, c'est dommage que ma femme qui est partie en vacances en
Espagne ne puisse pas vous le certifier. Je lui ai fait une grande et
belle cérémonie avec ce que je gagnais. C'est l'unique épouse que j'ai
d'ailleurs.
Ne songez-vous pas à prendre une seconde épouse ?
Seul Dieu sait. Je suis musulman en tout cas. Mais pour le moment,
je n'ai pas de seconde épouse.
Quand vous êtes vous véritablement décidé à devenir chanteur ?
J'ai toujours voulu être chanteur. J'ai accompagné des «faux
lions», j'ai chanté dans des sabars. J'ai roulé ma bosse avant d'être
connu. Toutefois, mon grand frère m'avait invité à un festival qu'il
avait fait en Hollande. C'est de retour de ce voyage que je me suis un
peu plus consacré à la musique.
N'aviez-vous pas songé à ne pas revenir au Sénégal lors de
votre voyage en Hollande ?
Non, franchement. Emigrer ne m'a jamais traversé l'esprit. Et
pourtant, j'en ai eu l'opportunité à maintes reprises.
Apparemment, vous avez ramé avant d'être chanteur et pourtant
d'aucuns disent que vous n'avez pas une belle voix ?
Les goûts et les couleurs ne se discutent pas. Certains peuvent
aimer ce que je fais et d'autres non. Je pense que je n'ai pas à
grand-chose à dire par rapport à ça.
Quels sont vos rapports avec Papa Ndiaye Guéwel, vous avez
chanté avec lui ?
Papa Ndiaye Guéwel, c'est mon grand frère et cette chanson fait
partie de ce qui m'a propulsé dans le milieu
Et Ndongo Lô
Ndongo Lô, c'était mon ami et c'était mon grand ami. Je pense que
tout le monde connaît mes rapports avec lui.
Oui, mais certains disent que vous vous dites ami de Ndongo Lô
depuis son décès pour vous faire une promotion ?
Non, je ne veux plus revenir sur cette histoire. J'en ai assez
parlé. Désormais, j'ai tourné la page. Dieu sait, et certains aussi
savent que j'étais très lié à Ndongo. On a grandi ensemble, on chantait
ensemble. Et il arrivait même que l'on fasse des programmes ensemble.
C'est quelque chose qui a fait couler beaucoup d'encre. Mes rapports
avec Ndongo, je préfère ne plus en parler. Mais, voilà un homme qui
était bien.
Récemment vous avez créé un mouvement citoyen après Youssou
Ndour...
Mon mouvement n'a rien à voir avec celui de Youssou Ndour. Je ne
sais pas pourquoi il a créé son mouvement, on n'en a pas discuté. Mais
moi, c'est pour régler les maux de la banlieue.
Youssou Ndour est le premier artiste à avoir créé un mouvement
citoyen, maintenant c'est vous. Vous a-t-il inspiré ?
Non, ma seule inspiration vient de l'envie de régler les
nombreuses difficultés que traverse la banlieue. D'ailleurs, le
mouvement s'appelle « Espoir pour la banlieue». Nous voulons chercher
des solutions et je vous garantis que toute la banlieue est derrière
moi. Je travaille avec une équipe et nous sommes très sérieux dans notre
initiative. J'ai le soutien des notables de la banlieue.
Quand avez-vous décidé de mettre sur pied un mouvement' citoyen
?
Je l'ai décidé l'année dernière après le tournage du clip « mbend
mi». Vous savez, J'ai vu à travers ce tournage ce que ces gens vivent
vraiment. J'ai dû patauger dans des eaux dans certaines maisons. Je suis
entré dans des maisons où le chef de famille et ses enfants vivaient au
quotidien, pieds dans l'eau. J'ai vu dans une maison une dame qui
épluchait des oignons dans les eaux stagnantes. Et dire que ces familles
subissent chaque année le même problème, c'est triste. Malheureusement,
ils n'ont pas où aller, car ce sont de grandes familles.
Lors du lancement de votre mouvement, on vous a entendu émettre
des conseils à l'endroit de Souleymane Ndéné sur son action à l'endroit
des sinistrés qui refusent d'aller à Sangalkam...
Oui, j'ai juste dit que c'était préférable qu'il négocie avec eux.
On ne peut pas forcer ces gens à aller à Sangalkam.
Ne pensez-vous pas honnêtement qu'il est préférable d'aller à
Sangalkam que de rester dans les eaux ?
Je ne dis pas le contraire. Mais, prenez en compte le fait que ce
sont de grandes familles qui vivent ici. Et, ils ne veulent pas que ce
qui s'est passé à Jaxaay se répète à Sangalkam. Des familles de 10 à 15
personnes qui se retrouvent dans des maisons de deux chambres plus un
salon, ce n'est pas intéressant. Que les autorités dialoguent avec ces
sinistrés et ensemble ils trouveront sûrement une solution.
Etes-vous bien placé pour parler des sinistrés puisque vous ne
vivez plus dans la banlieue ?
Je ne vis pas là-bas, mais toute ma famille s’y trouve.
D'ailleurs, on reproche souvent aux artistes de quitter la
banlieue à chaque fois que leur situation sociale s'améliore.
Je ne passe pas un jour sans me rendre là-bas. Toute ma famille,
mes amis, mes parents sont là-bas. Si les populations traversent des
moments difficiles, c'est comme si c'est nous qui les traversons. Car,
je ne peux être tranquille. À chaque fois qu'il pleut, je m'y rends. Je
participe à tout ce qui se fait ou s'organise là-bas.
À travers ce mouvement, n'essayez-vous pas de vous faire de
l'argent ?
Non, pas du tout. Si je veux de l'argent, je peux m'en procurer à
travers la musique. Je ne suis pas seul dans ce mouvement et ce sont des
responsables dignes de confiance qui s'y trouvent avec le suivi de la
population. Il n'y a aucune ambition cachée derrière ce mouvement.
Même pas politique ?
Surtout pas. Nous ne sommes pas des politiques, nous n'appartenons
à aucun parti politique. Toutefois, ceux qui voudront nous aider auront
notre soutien.
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