Après « Merci » en 2002, il lui restait à tenir une promesse : ne plus mettre un album sur le marché tant que la paix ne serait pas revenue dans sa Côte d’Ivoire. Se sentant impliqué dans le processus de réconciliation, de réunification et de reconstruction, Alpha Blondy revient au premier plan avec un album explosif et à déguster sans modération.
L’artiste aime à répéter l’adaptation qu’il a faite de la vieille maxime : « La raison du plus fort n’est pas toujours la meilleure ». Alpha Blondy l’avait dit dans son album Elohim (1999). C’était dans le titre « Journalistes en danger », éloge au défunt Norbert Zongo et pamphlet contre ce qu’il appelle les « démocratures ». Il réaffirme sa maxime dans le titre « La route de la paix » de son nouvel album « Jah Victory ».
Guidé par son inspiration, cette « lumière dans (son) cœur" qu’il invoque avec force, le reggaeman n’a pas l’obsession de la vérité. « Si tout le monde a raison, scande-t-il, alors, tout le monde a tort ». Un coup porté aux égoïsmes nocifs à la cohésion nationale. « Jagger », comme le surnomment ses fans, lance une sorte d’invitation au voyage dans la lueur d’espoir : « Tous ensemble sur la route de la paix ! » Après un silence de cinq ans, Alpha Blondy tient promesse : ne plus sortir d’album tant que ses concitoyens s’entre-déchireraient. « Jah Victory » son dix-septième opus, est une célébration de cette paix, en référence à son premier album, « Jah Glory » l’a très vite placé sur un haut piédestal. « La guerre est terminée, anciens combattants, « enjaillez » (’’amusez-vous’’, dans l’argot local) », lance-t-il dans « Le bal des combattus », un des cinq titres consacrés à son pays sur un total de dix-neuf. Ce texte fait un clin d’œil à la rumba, avec la participation de l’artiste congolais Didi Kalombo. Le rapport de Blondy au patriotisme est à la fois passionnel et lucide. Dans « Ne tirez pas sur l’ambulance » il crie : « La Côte d’Ivoire est blessée / Ne tirez pas sur l’ambulance, la Côte d’Ivoire est touchée ». Dans cette relation, le chanteur est possessif dans tous les sens du terme. Il clame haut : « Ma Côte d’Ivoire, je t’aime ! » Optimiste, il espère, selon sa propre expression, le jour nouveau qui se lèvera et le retour de l’arc-en-ciel.
Coupables : journalistes, politiciens, religieux...
Dans la nuit de la guerre, il a attendu le matin des retrouvailles entre frères ivoiriens. Il ne manque pas, malgré l’euphorie de la paix, de situer les responsabilités. « Journalistes pyromanes », « politiciens mythomanes » et religieux « corrompus » ont « mis le feu à (son) paradis ». Hypothèque sur l’avenir et reniement des acquis démocratiques et sociaux, la thématique de cette belle balade est un cri du cœur portée par une guitare aux notes limpides et nerveuses, d’une voix déchirée par la guerre. L’artiste est aussi prophète dans la dimension humaine de son analyse et de son intuition. Le titre « Gban Gban » reprend le bruit produit par les déflagrations. Et il n’en veut plus. Il n’en a d’ailleurs jamais voulu. Et il l’avait dit. « J’ai beau parler, ces politiciens n’écoutent pas / Et ce qui devait arriver arriva / Leur soif de pouvoir, un jour, les perdra / Ils se désaltèrent dans la rivière de nos larmes / Un jour viendra, le peuple se révoltera ». Blondy ne rappelle pas ses prévisions pour la frime. Dans « Guerre civile », un titre de l’album « Yitzhak Rabin » sorti en 1998, il a dénoncé « le pouvoir absolu » des démocraties de façade (’’qui corrompt absolument’’, selon lui) et mis le doigt sur les réflexes tribaux. Un an plus tard, « Elohim » se désole pour la République à l’heure du « diviser pour régner ». Son live à Bercy, en 2001, en compagnie de son « armée » d’artistes ivoiriens a été un appel à la paix, le seul combat qui vaille face aux armes.
Afrique : pan ! sur les fossoyeurs
Alpha Blondy est aussi un patriote africain capable d’un coup de gueule contre les fossoyeurs du continent dans « Sales racistes ». Sur un tempo de « Crazy Baldheads » de Bob Marley, il laisse couler sa colère contre ce vis-à-vis qui « mange (son) pain à la sueur de nos peines ». « Nous allons chasser ces racistes hors de nos terres », lance-t-il. Il se plaint, du même coup, du sort réservé à son café et son cacao, ressources pillées au même titre que d’autres matières premières. Il dénonce aussi le commerce des armes, la complicité des élites véreuses dans « Tampiri », un morceau où les percussions supportent les mélodies orientales dans un style qui rappelle les instruments monocordes. La musique est aérée comme dans « Afrique Yako », cet autre titre dédié à Samory, Lumumba et Nkrumah, entre autres. Il rend un hommage émouvant à Thomas Sankara et met en garde contre la vengeance, le cycle de coups d’Etat, la boulimie du pouvoir, etc. Il faut prendre la parole, suggère Alpha, mais gare à l’imposture. Blondy écorche « Mister grande gueule », ce « tigre en papier » qui se prend pour Mandela ou Che Guevara. Un titre est consacré au « Cameroun », avec des airs de reggae et de coupé-décalé doublés d’un joli refrain : « J’ai laissé mon cœur à Douala ».
La liberté en musique
Cet Africain est aussi un homme ouvert au reste du monde. Il dit, dans « La planète », que le monde est un village est qu’il faut bannir tout orgueil destructeur. Au passage, il remet au goût du jour le succès « Wish you were here » des Pink Floyd. Le chant, chez Blondy, est aussi espoir. Il a besoin de la lumière de Dieu comme il dit dans « Jah light », « pour percer les ombres de la nuit ». Cet optimisme est communicatif dans « Demain t’appartient ». La guitare très rocky y transporte un tempo dynamique. Le conseil est clair : « Vas-y, vise plus haut / chacun porte, au creux de sa main, les clés de ce monde qui ouvre les portes des grands destins ». L’objectif est noble : « bâtir un empire pour les enfants qui naîtront demain ». Le matériau est là et il a recours à lui : la musique (« Je chante pour me libérer, te libérer, nous libérer », dit-il). Blondy croit en la force de la musique. Il croit aussi en l’homme et, surtout, en sa capacité à surmonter la part d’animalité qui sommeille en lui. Mais il croit aussi en un destin ensoleillé, en villégiature sur les plages de Bahia. En temps de paix, même l’océan se met à danser, assure-t-il. Les filles sexy avec le grand bleu canon comme elles. Merci, la vie est plus forte que la guerre ! Et sa raison est, cette fois, la meilleure...
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