Une année 2022 de tous les extrêmes pour le continent africain d’un point de vue climatique. Dame nature a fait parler sa furie à travers une cascade de catastrophes naturelles de grandes ampleurs. Une situation attendue, car étant la résultante du réchauffement climatique. Pour mieux comprendre les origines de ces déferlantes, qui n’épargnent pas le Sénégal, Seneweb s’est rapproché du Professeur Cheikh Mbow, docteur à l’institut des sciences de l’environnement de la faculté des sciences techniques avec sa thèse sur « le climat et la séquestration du carbone ». Fort d’une riche carrière de plus de 10 ans à l’international dans des postes en relation avec l’environnement, il a fait son retour au bercail en début d’année afin d’occuper le poste de directeur général Centre de suivi écologique (CSE).
Seneweb : L’Afrique est le continent qui génère le moins de gaz à effets de serre pourtant il est considéré comme le plus vulnérable. Qu’est-ce qui explique ce paradoxe ?
Pr Cheikh Mbow : Ce n’est pas un paradoxe, c’est une logique. Le changement climatique affecte l’Afrique beaucoup plus que les autres continents. Parce que les paramètres essentiels qui expliquent les changements climatiques sont : la hausse des températures et la modification de la pluviométrie. Ces 2 paramètres affectent l’Afrique au plus haut point. Les hausses des températures, si la moyenne globale est à 0,81, il y a beaucoup d’endroits en Afrique où on est à 1,5?°c par rapport à la normale antérieure. Ça veut dire qu’il fait beaucoup plus chaud sur un continent qui compte essentiellement sur une saison des pluies unique pendant l’été pour faire de la production. La forte chaleur veut tout simplement dire une forte évaporation et des modifications structurelles du profil saisonnier.
“Dakar ne répond pas aux normes pour pouvoir faire face aux violences dues aux changements climatiques qui sont générées par de fortes température”
Donc, tout ce qui était le potentiel agricole de l’Afrique reste assujetti à une variabilité climatique qui finit par donner un sérieux coup à la sécurité alimentaire. Si vous déplacez le problème d’un cran supérieur, vous aboutissez sur les établissements humains. Donc, les villes d’une façon générale qui sont concentrations humaines. Une ville comme Dakar possède des espaces où on a plus de 6000 habitants au kilomètre carré. Avec la pauvreté, la construction et le style d’urbanisme ne répondent pas aux normes pour pouvoir faire face aux violences dues aux changements climatiques qui sont générées par de fortes températures.
“Par rapport au gaz et au pétrole sur les 100% de consommation mondiale, l'Afrique ne consomme que 3% et produit 20% de ces ressources”
Seneweb : Malgré cette faible émission de gaz à effet de serre, l’on exige de l’Afrique qu'elle fasse beaucoup plus d’efforts dans la lutte contre ce phénomène mondial. Qu’en pensez-vous ?
Pr Cheikh Mbow : Dans toutes les conférences, il faudrait que la position de l'Afrique soit mordicus l’adaptation. Pour moi, l’effort que l’on devrait faire sur l’atténuation est un effort qui a été, plus ou moins, dévoyé. Du coup, on a presque dépassé la fenêtre d’action. Parce qu’on parle de 1,5°C de réchauffement ou 2°c de réchauffement, mais je ne pense même pas qu’on puisse atteindre les 1,5°c de réchauffement, ce sera 2°c de réchauffement et plus rapidement qu’on le prévoit. Les études du GIEC sont là pour le prouver. Autrement dit, le mieux pour nous est de nous préparer à l’adaptation parce que les impacts du changement seront là. Si on attend des pays développés qu’ils réagissent tout de suite et qu’ils raccourcissent un peu les processus de décarbonisation pour que le réchauffement planétaire puisse être inversé, je crois qu’on est dans de l’illusoire. Je pense qu’ils vont continuer à polluer. Et c’est tout le plaidoyer que le président de la République était en train de faire récemment en relation avec l’exploitation du gaz et du pétrole. On dit aux États africains que vous avez du pétrole et du gaz, mais vous n’allez pas l’exploiter à cause du changement climatique. On dit oui, mais vous ne l’avez pas appliquée avant nous. Vous avez utilisé le gaz et le pétrole pour sécuriser la demande énergétique de vos pays maintenant nous on peut faire autrement. Autrement, ça veut dire faire en sorte que notre empreinte consommation de gaz et de pétrole ne soit jamais au même niveau que l’Europe. Même si on exploite le gaz et le pétrole maintenant ; nos infrastructures ne peuvent pas l’absorber pour nous emmener à des niveaux de consommation similaires à la France ou aux Etats-Unis, jamais ! Donc l’émission par tête d’habitants restera pratiquement faible pendant de très longues années. Par rapport au gaz et au pétrole sur les 100% de consommation mondiale, l'Afrique ne consomme que 3% et produit 20% de ces ressources. C’est ça la vraie rhétorique qu’il faut mettre sur la table. Deuxièmement, l’Afrique a toujours été la terre porteuse de solutions par rapport au changement climatique. Les forêts du bassin du Congo, les forêts de mangroves (y compris celles du Sénégal) ont séquestré des milliards de tonnes de carbone. Ce qu’on ne dit pas assez, c’est que 30% des gaz à effet de serre émis sont absorbés par les océans. Mais quels océans ? Ce ne sont pas les océans très froids, c’est les océans chauds et ces océans chauds sont sous les tropiques. Et, c’est dans les eaux des pays africains qu’une bonne partie de la séquestration du carbone océanique se passe. Nous apportons des solutions à la problématique mais ces solutions que nous apportons ne sont pas compensées.
“Inondations et feux de forêts vont être plus récurrents avoir une amplitude beaucoup plus importante”
Seneweb : Les inondations (au Sénégal, au Tchad, au Niger…), les feux de brousse (en Afrique du Nord) et les autres catastrophes naturelles enregistrées cette année sont-elles les premières conséquences du réchauffement climatique ?
Pr Cheikh Mbow : Ces conséquences ne sont pas nouvelles, le climat est toujours venu avec une certaine incertitude. Mais ce qui est certain, c’est que ces évènements extrêmes vont être plus récurrents et vont avoir une amplitude beaucoup plus importante. Plus grande fréquence et plus grande amplitude. Si on avait les moyens de résoudre une inondation une fois tous les 5 ans, il faudra déployer les moyens pour avoir la possibilité de répondre aux inondations 5 fois par an. Sur les catastrophes, vous avez les inondations, les feux de brousse, les criquets pèlerins… Il y a une superposition des catastrophes, le caractère multirisque de ces catastrophes climatiques est sans précédent au niveau de l’Afrique. Et ce qui se passe, c’est que le changement climatique va accentuer ces catastrophes naturelles. Pour moi, il faudrait qu’on définisse des priorités mais surtout chercher les moyens de résoudre ces problèmes de façon endogène.
“Je trouve que la pluie ne devrait même pas être rangée au premier plan quand il s’agit des inondations”
Seneweb : Outre l’aspect climatique, quelles sont les autres causes des inondations rencontrées dans le pays ?
Pr Cheikh Mbow : Je trouve que la pluie ne devrait même pas être rangée au premier plan quand il s’agit des inondations. Je pense que les inondations, c’est d’abord un problème de gestion de l’espace. Il pleuvait plus de 700 mm en 1954 à Dakar, il n’y avait pas d’inondation. Si vous regardez l’occupation de l’espace de Dakar, il n’y a pas une seule maison qui a été installée à moins de 10?m d’altitude par rapport au niveau 0 marin. De 1954 à 1990, plus de 40% de la ville s’est installé sur des côtes d’altitude de moins de 5m. Donc, là où l’eau est censée s’infiltrer, elle ne s’infiltre plus et là où elle s’écoulait, elle ne s’écoule plus. En plus, on prend de l’eau du Lac de Guiers, on la consomme et elle ne retourne pas dans la nature, elle reste à Dakar. Ces facteurs concomitants qui sont des facteurs humains expliquent la facilité avec laquelle on a des inondations à Dakar. Il y a des villes qui ont beaucoup plus de pluviométrie comme Conakry ou Abidjan où 50?mm ce n’est même pas une pluie. Ils ont des pluies de plus de 200?mm. Il faudrait qu’on fasse un retour sur les principes d’aménagement de l’espace, de l’occupation du sol et accompagner cela avec le travail qui est en train d’être fait l’ONAS.
“Si on fait un sondage des personnes affectées par les inondations, on constatera que 70% ou 80% vivent sous le seuil de la pauvreté”
Seneweb : Comment percevez-vous la stratégie et la gestion des inondations au Sénégal ?
Pr Cheikh Mbow : Je crois que le niveau de conscience que les structures étatiques ont des inondations est communément partagé avec tous les citoyens. Tout le monde est concerné par cette question. Maintenant les approches techniques et les options qui ont été déployées depuis les indépendances jusqu’à maintenant ont beaucoup évolué. Nous sommes arrivés à un moment où ces questions-là ne peuvent plus être traitées de façon sectorielle. Comme dans tous les pays du monde, le problème de l’assainissement est le même. J’ai vécu longtemps à Washington et je vous assure que jusqu’à présent, ce sont des camions hydrocureurs qui viennent curer autour de la Maison blanche parce qu’elle est très affaissée et qu’ils ne peuvent pas écouler l’eau par gravité.
Seneweb : Est-ce qu'aujourd'hui avec les pluies exceptionnelles, il ne faudrait pas être plus exigeant sur la surveillance des zones basses ?
Pr Cheikh Mbow : Il n’y a pas un seul plan d’aménagement qui ait recommandé une occupation de maisons dans ces zones basses. Mais le contexte de pauvreté explique qu’on a beaucoup d’habitats irréguliers. Cependant, il faut être très rigoureux dans l’occupation des sols. Il faut que le cadastre sénégalais soit une institution forte en ce sens et doit exiger que l’occupation du sol se fasse dans les normes. Parce que, quand vous allez dans ces zones, vous trouvez des personnes qui vous donnent des papiers dûment établis. Mais il faut aussi régler la question de la pauvreté et voir comment la population peut avoir les moyens de posséder des terrains dans de bonnes zones. Si on fait un sondage des personnes affectées par les inondations, on constatera que 70% ou 80% vivent sous le seuil de la pauvreté.
“Il y a des gens qui ne savent pas que mettre un sac de déchets dans un canal ouvert, c'est retourner cette eau dans sa propre maison à cause de la saison des pluies”
Seneweb : Il y a quelques mois, l’ONAS se plaignait d’actes de sabotages de ses installations. Selon vous, quelle est la part de responsabilité des populations dans cette lutte contre les inondations ?
Pr Cheikh Mbow : Je vais relativiser, il y en a qui font du sabotage. Je me suis renseigné, il y a gens, qui à cause des odeurs dégagées par ces canalisations, viennent mettre des sacs de sable pour atténuer ces odeurs. Ces personnes doivent être éduquées. Et fort heureusement, la communication actuelle de l’ONAS est excellente sur ce point-là. Il y a des gens qui ne savent pas que mettre un sac de déchets dans un canal ouvert, c'est retourner cette eau dans sa propre maison à cause de la saison des pluies. Ce civisme collectif nécessite qu’il y ait un processus d’engagement avec les communautés. Et ça, ce n’est pas seulement le travail de l’ONAS, les collectivités locales, les leaders d’opinion, les journalistes doivent s’y mettre. Il faut que la société puisse prendre ces infrastructures d’assainissement comme leur propre maison. C’est notre habitat et l’habitat fait partie de notre mode de vie. Il ne faudrait pas que l’on sabote ces canalisations ou qu’on les utilise à d’autres fins. Il faut trouver des moyens de surveillance de ces canalisations et poursuivre les fautifs. C’est un bien collectif.
“Quand il y a des inondations, tout le monde crie mais si on les transforme en eau d’irrigation, ça devient une bénédiction”
Seneweb : Peut-on tirer profit de ces eaux de pluies ?
Pr Cheikh Mbow : J’étais au Japon quand j’ai vu des éjecteurs d’eau sur la chaussée nettoyer la route. Cette eau était de l’eau de pluie des fontes de neige qui ont été capturées en quelques mètres et qui sont dotées de suppresseurs pour pouvoir recycler l’eau. On n’arrivera pas à ce niveau de luxe. Mais imaginons que l’on sorte de la Niaye de Pikine jusqu’à l’aéroport et sur chaque 200?m vous avez un bassin de 200000?m² ou 300000?m² qui récupère pendant la saison des pluies l’eau qui est drainée par les routes et les maisons. Cette eau pourra permettre d’arroser tous les espaces verts de Dakar et d’appuyer l’agriculture périurbaine qui s’y passe. L’autre aspect –et c’est un rêve- la façon dont on a attiré l’eau du lac de Guiers vers Dakar, on peut créer beaucoup de systèmes de pompage de la nappe. La facilité de Dakar à être inondé veut simplement dire que la nappe est très basse. Mais cette nappe ne peut être consommée à cause du nitrate du phosphore et du calcium qu’elle contient. Mais ces composants sont exactement ce que l’on cherche dans les engrais. Donc, c’est de l’eau qui est très bonne pour faire de l’agriculture. Supposons que l’on trouve les moyens de récupérer toute cette eau dans les domaines agricoles communautaires et qu’on y ajoute une composante culture contre saison mais qui est arrosée par les eaux récupérées pendant la saison des pluies. Imaginez les surfaces agricoles qui peuvent être produites pendant 9 mois grâce à ces eaux. Quand il y a des inondations, tout le monde crie mais si on les transforme en eau d’irrigation, ça devient une bénédiction.
9 Commentaires
Merci
En Septembre, 2022 (11:06 AM)Losec
En Septembre, 2022 (11:29 AM)Reply_author
En Septembre, 2022 (11:46 AM)Reply_author
En Septembre, 2022 (11:56 AM)L’ingénieur
En Septembre, 2022 (13:12 PM)Par ailleurs il faut noter que Dakar et sa banlieue sont surpeuplés. Le territoire est mal configuré avec des constructions anarchiques et irrégulières un peu partout. Aussi on voit du béton partout, les espaces naturels sont désormais en pavés et ça empêchent l'infiltration des eaux pluviales d'où la récurrence des inondations dans certains quartiers de Dakar. Dans ces zones on ne voit pas pratiquement pas d'arbres ou de plantes. Donc il faut une végétalisation de l'espace avec la plantation d'arbres et arrêter de mettre du béton partout et surtout pousser les gens à s'installer hors de Dakar, dans des espaces bien aménagés
Ma Ndou
En Septembre, 2022 (13:19 PM)Reply_author
En Septembre, 2022 (13:44 PM)Areply_author
En Septembre, 2022 (14:03 PM)Participer à la Discussion