Dans cet entretien, le Docteur Abdoulaye TINE, Professeur Associé au CERIS (Centre d’Etudes et de Recherches Internationales et Stratégiques) de l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar et par ailleurs Avocat au Barreau de Paris nous décrypte les enjeux de ce XVe Sommet de la Francophonie qui s’ouvre Dakar (29-30 novembre 2014).
1-Pourquoi un sommet des Chefs d’Etat francophones à Dakar ?
La Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement des pays ayant le français en partage, communément appelée "Sommet de la Francophonie", est l’instance suprême de la Francophonie.
Le Sommet se réunit tous les deux ans. Il est présidé par le chef d’Etat ou de gouvernement du pays hôte du Sommet (en l’espèce ce sera celui du Sénégal) jusqu’au Sommet suivant.
Il n’est pas inutile de rappeler que le Sénégal a été le premier pays africain à accueillir un sommet de la Francophonie, après celui de Versailles (France) en 1986 et du Québec (Canada) en 1987.
Il s’agissait ainsi du 3e sommet de la Francophonie du (24 au 26 mai 1989) qui s’est tenu sous le régime d’Abdou DIOUF. Et 25 ans après, le sommet revient donc à nouveau dans notre pays.
2-De quoi vont-ils discuter ?
Ce sommet va statuer sur l’admission de nouveaux membres de plein droit, de membres associés et de membres observateurs à l’OIF.
En effet, à chaque Sommet, de nouveaux États et gouvernements – non francophones et dont le français n’est pas la langue officielle – sollicitent soit l'adhésion soit le statut d'observateurs au sein de l'organisation.
Le Sommet de Dakar devra également définir les orientations de la Francophonie de manière à assurer son rayonnement dans les relations internationales.
Il adoptera également toute résolution qu’il jugera nécessaire au bon fonctionnement de l’organisation et à la réalisation de ses objectifs.
Concrètement pour ce sommet de Dakar, on attend l’adoption de 9 résolutions sur des thématiques diverses comme sur celle du devoir de solidarité des Etats francophones envers les pays touchés par l’épidémie d’Ebola ; une résolution sur la diversité culturelle ; sur l’éducation ; sur le refus du terrorisme ; sur la situation politique au Mali et au Burkina Faso ; sur les femmes et la jeunesse ….
Enfin, le sommet des Chefs d’Etat devra élire le futur HYPERLINK "www.francophonie.org/Le-Secretaire-general.html" secrétaire général de la Francophonie qui succédera à Abdou DIOUF dont le mandat arrive à terme.
3-Quels seront les principaux enjeux de ce sommet de Dakar?
La Francophonie représente 77 États et gouvernements avec plus de 890 millions d’individus, il s’agit d’un espace économique important caractérisé par un fort dynamisme démocratique qui est lui-même un facteur de croissance économique.
Cet espace reste toutefois marqué par des clivages entre pays du Nord et pays du Sud ainsi qu’un affrontement voire une lutte d’influence entre la France et le Canada, des pays qui ont une conception différente de la Francophonie.
Fort de ces considérations, les enjeux du sommet de Dakar tourneront essentiellement autour des questions telles que :
-celle de la défense de la langue française et de la diversité culturelle dans les relations internationales ;
-celle des enjeux politiques et diplomatiques de l’organisation, en effet avec plus d'un tiers des États-membres des Nations Unies et plus de 890 millions d’individus, la Francophonie représente donc un poids démographique mais aussi et surtout une force politique et diplomatique d’envergue.
-celle de la stratégie à mettre en place pour faire jouer à l’OIF un rôle de premier plan dans les relations internationales en la faisant participer activement aux débats sur les grands enjeux du monde contemporain.
- La question des enjeux sécuritaires au sein de l’espace francophone sera également à l’agenda des discussions. En effet, certains de pays membres de la francophonie doivent aujourd’hui faire face à d’importants risques sécuritaires, c’est le cas du Mali, pays confronté à la menace terroriste, de la République démocratique du Congo pays déchiré par une guerre civile depuis des années, de la République centrafricaine qui vient de traverser une épouvantable une guerre civile, de la Côte d’Ivoire, du Rwanda, au Burundi qui vivent encore des périodes de reconstruction post conflit , du Tchad, mais également de la gestion des risques de tensions politiques liées à la transition politique qui vient de commencer au Burkina Faso….
-La question de la lutte contre la propagation du virus Ebola qui sévit déjà dans certains pays membres comme la Guinée Conakry et le Mali et qui fait redouter le pire c'est-à-dire une déstabilisation régionale retiendra aussi sans doute l’attention du sommet.
- les problématiques relatives aux différents enjeux économiques de l’OIF notamment celle de son rôle et de sa place dans un environnement économique mondialisé ;
- les questions qui touchent aux menaces environnementales ainsi que celles qui sont relatives aux femmes et aux jeunes francophones à qui l’OIF cherche à faire assumer les rôles de « vecteurs de paix et acteurs du développement » ; ce qui est d’ailleurs le thème officiel du sommet.
-4 Selon vous, quel est le profil idéal du futur secrétaire général?
Il faut noter que dans la diplomatie internationale, la personnalité et l'expérience seront un atout pour un candidat aspirant à exercer les responsabilités qui s’attachent un poste d’envergue internationale de cette nature.
En plus de cela, le futur secrétaire général devra présenter des capacités à rassembler, vu les dissensions qui ont fait jour ces derniers mois avec la présentation des candidatures multiples au poste de secrétaire général et qui sont soutenus en cela par leur Etat respectif.
Quoi qu’il en soit, ce dimanche 30 novembre 2014 à Dakar, les chefs d'États membres de la Francophonie, réunis en huis clos, devront trouver à l’OIF un nouveau secrétaire général, poste pour lequel il existe à ce jour cinq candidats officiellement présentés par leur pays:
Il s'agit, de l'ancien Président burundais Pierre BOUYOYA, de l'Équato-Guinéen Agustin Nze NFUMU; de Jean-Claude de l'ESTRAC, Premier ministre mauricien et secrétaire général de la COI, de l'écrivain congolais Henri LOPES et enfin l'ancienne gouverneur générale du Canada, Michaëlle JEAN.
De l’avis de bon nombre d’analystes le profil de Madame Michaëlle JEAN correspond bien au poste de secrétaire général de la Francophonie. Elle est québécoise et canadienne d'origine haïtienne et qu’elle s’est illustrée par son engagement en faveur de certaines causes qui cadrent parfaitement avec les valeurs et principe que l’OIF entend promouvoir et défendre dans les relations internationales.
Toutefois, sa candidature se heurte à un obstacle juridique de poids: à savoir l’existence d’une règle non écrite et selon laquelle le poste de secrétaire général de l'OIF est réservé aux pays du Sud et celui d’administrateur général à ceux du Nord.
C’est dire que son élection éventuelle pourrait être considéré comme une remise en cause de cette pratique coutumière et ceci d’autant plus que le poste d’administrateur général de l’OIF est actuelle occupé par un de ses compatriotes canadien, Clément DUHAINE.
Enfin, vu que rien n’est encore joué, il n’est pas non plus exclut « l’irruption » dans la « course » d’une « candidature surprise » de dernière minute, notamment libanaise pour ainsi faire de sorte que le poste de secrétaire général puisse continuer à revenir à un pays du Sud conformément aux règles coutumières établies au sein de l’OIF.
On annonce à ce propos une éventuelle candidature libanaise. Et les deux voire trois noms qui circulent déjà sont ceux de Ghassan SALAME, et Tarek MITRI. Ghassan SALAME tous anciens ministres libanais et la candidature éventuelle de l'ex-chef d'État libanais Michel Sleiman.
5- Comment analyser vous l’avenir de l’OIF sur le continent africain?
Compte tenu des différents changements géoéconomiques intervenus sur le continent africain du fait de l’arrivée massive de nouveaux acteurs économiques qui sont issus des pays émergents, notamment des entreprises chinoises et indiennes…, je pense que la francophonie se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins.
Elle est appelée à se transformer de l’intérieur sinon elle va inexorablement régresser avant de disparaître progressivement en tant socle de valeurs culturelles et économiques sur le continent africain.
Pour réussir cette mutation, elle lui faudra mener une véritable « révolution copernicienne » qui déplacerait ainsi son centre de gravité des Etats à l’individu, c'est-à-dire qui ferait passer l’OIF d’une Francophonie des Etats à une Francophonie des Peuples.
Or, il est évident, que dans son fonctionnement actuel, la Francophonie reste plus une Francophonie institutionnelle c'est-à-dire une affaires d’Etats (un inter-étatisme) qu’une Francophonie populaire c'est-à-dire une affaire des Peuples et des masses.
Pour relever ce défi de la transformation, les dirigeants des Etats francophones surtout ceux du Nord devront aller au-delà des simples discours et rhétoriques sur la solidarité et l’appartenance francophone pour ainsi poser des actes concrets de nature à rassurer les peuples du Sud qui restent encore très dubitatifs sur les vraies raisons de ce rassemblement.
De mon point de vue, la Francophonie ne doit pas être simplement un outil au service des intérêts diplomatiques, géoéconomiques et géostratégiques de la France mais un vrai instrument de réalisation du bien commun de tous ses Etats membres.
Tout pousse à croire donc que les Etats du Nord devront davantage administrer la preuve de la solidité de leur attachement à cet espace de valeurs communes qui est ainsi proclamé dans tous les discours, et pour ce faire ils devront s’engager de manière ferme et unanime par exemple à :
Faciliter l’obtention des visas francophones pour les artistes, les intellectuels, les entrepreneurs économiques, les étudiants et chercheurs du Sud…
Améliorer les conditions d’accueil et d’intégration des étrangers dans leurs pays, en mot harmoniser les leurs politiques migratoires pour ainsi favoriser l’éclosion d’un sentiment d’appartenance à un espace de valeurs communes, ce qui ne serait d’ailleurs qu’un retour aux sources c'est-à-dire au souhait originel des pères fondateurs de l’organisation.
3 Commentaires
Honoris Causa Diom Ak Diomb
En Novembre, 2014 (09:27 AM)Paulele75
En Novembre, 2014 (11:55 AM)Citoyen2014
En Novembre, 2014 (12:51 PM)Participer à la Discussion