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Entretien

Colonel Mamadou Adje : «La Cedeao ne se relèvera pas d'une offensive jihadiste…»

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Colonel Mamadou Adje : «La Cedeao ne se relèvera pas d'une offensive jihadiste…»
La Cedeao n’a pas intérêt à déstabiliser le Mali, bouclier de la sous-région contre les groupes armés. L’avis est du colonel à la retraite Mamadou Adje, expert en gestion de situations d'urgence, spécialiste des affaires civiles et de la communication de défense. Dans cet entretien avec Seneweb, il revient, en détail, sur la force en attente de l’organisation régionale.
 

Quel est le fondement juridique qui permettrait à la Cedeao d’intervenir au Mali sur le plan militaire ?

Les interventions militaires dans les situations de crise en Afrique trouvent leur fondement juridique dans l'Architecture paix et sécurité en Afrique (Apsa) faisant suite à la création de l'Union africaine (Ua) et du Protocole relatif au Conseil de paix et de sécurité (CPS) du 26 décembre 2003 qui  tire sa légitimité dans les  dispositions du Chapitre 8 de la Charte des Nations Unies qui reconnaissent le rôle des organisations sous-régionales dans le maintien de la paix.
La CPS, dans son article 13, fait référence à la création d'une Force africaine en attente (FAA)  capable de se déployer dans un pays en crise sur un court préavis, en vue d'y mener des actions de sécurisation pendant 90 jours avec trois (03) jours de dotation initiale.  Les composantes de la force sont stationnées dans leur pays d'origine, prêtes à être déployées. L'Ua s'appuie sur les cinq (05) communautés économiques régionales (Cer).
Les opérations sont soutenues par les Cer, l'Union africaine, les initiatives de Renforcement des capacités de maintien de paix (Recamp) européennes, le Programme africain de formation et d'assistance aux opérations de contingence (Acota en anglais) des Etats-Unis d'Amérique qui a succédé à l'Initiative de réponse aux crises en Afrique (Acri) en 2004.
La Faa est déployée selon les six (06) scénarii ci-après :
1. Mission de conseil militaire
2. Mission d'observation en parallèle à une mission des Nations Unies
3. Mission autonome d'observation
4. Mission autonome de paix sous Chapitre 6 des Nations Unies
5. Mission de maintien de la paix en parallèle à une mission en cours
6. Intervention dans les situations graves (génocide…)

La Cedeao a eu à intervenir depuis 1990 au Liberia, en Côte d’Ivoire, en Guinée-Bissau et récemment en Gambie. Pourquoi pas au Mali ?

Les circonstances sont un peu différentes, au Mali. Dans le cas de la crise politique au Mali, nous sommes dans un «Pronunciamiento» ou l'armée, face à une déliquescence totale du pouvoir, suite à des manifestations de défiance de la population, décide de prendre ses responsabilités pour rétablir la stabilité du pays sans effusion de sang, d'autant plus que le pays est déjà engagé dans une crise au Nord.
Au Liberia, ce sont les rivalités entre groupes de combattants, après l'assassinat du président en exercice Samuel Doe. En Côte d'Ivoire et en Gambie, c'est l'interruption du processus électoral ou le refus des résultats issus des urnes qui ont conduit à une crise institutionnelle. 
Donc, chaque cas appelle une évaluation intelligente qui doit aussi prendre en compte l'intérêt des populations.

Est-ce que la Cedeao dispose aujourd’hui de troupes prêtes, suffisamment entrainées et coordonnées pour intervenir sans délai ?

Déjà, au Mali, la Cedeao dispose de troupes, dans le cadre de la Mission de Nations Unies pour le Mali. Mais ces forces sont sous contrôle opérationnel du Conseil de sécurité et leur mobilisation exigerait un changement de leur mandat.
Une autre possibilité est de s'appuyer sur les scénarios 4 ou 5 pour déployer une force autonome. Mais ce dernier cas est limité par la nécessité d'avoir l'aval des pays hôtes des composantes de la force, alors même que ces pays peinent à s'accorder sur la gestion de crise, comme l'a montré la récente vidéoconférence des chefs d'Etat de la Cedeao sur la crise. L'absence d'unité politique pourrait faire obstacle au déploiement d'une force.

Combien d’éléments dispose cette force en attente ?

La Faa est théoriquement une force décentralisée à l'échelle des Communautés économiques régionales (Cer) au nombre de cinq (Afrique de l'Ouest, Est, Nord, australe, centrale). Chaque Cer met en place une brigade en attente de 5 000 hommes, soit un effectif théorique de 25 000.
En 2013, la Mission internationale de soutien au Mali (Misma) ne s'est déployée qu'après l'intervention française, avec l'Opération Serval, posant un grand point d'interrogation sur le caractère opérationnel de la force. Aujourd'hui, des doutes subsistent sur les capacités de déploiement de la Faa, du fait du caractère de mutualisation des moyens qui exigent la volonté politique des Etats fournissant les troupes.
La Faa est aussi censée intégrer une dimension civile destinée à soutenir les populations dans les domaines prioritaires de l'action humanitaire, en cas d'intervention, notamment en exécutant des «Quick Impact Projects».
Aujourd'hui, en tirant les leçons des interventions, on peut retenir la réussite de l'opération en Gambie qui a rétabli les institutions issues des élections démocratiques que refusait de reconnaître l'ex-président Jammeh. Mais sur le Mali qui est un déploiement opérationnel dans un conflit asymétrique, la Faa n'a pas donné des gages d'un engagement rapide pour mettre fin ou endiguer des forces d'opposition puissamment armées et idéologiques préparées.
Pour qu'elle soit efficace, la Faa doit passer du concept de force en attente au concept de «force d'action rapide».
Une initiative en ce sens est en cours avec la Capacité régionale de réaction immédiate aux crises (Caric) dépendant directement du Conseil de paix et sécurité (Cps) de l'Architecture paix et sécurité en Afrique (Apsa). Pour l'instant, cette initiative est encore à l'état de projet.
 
On a vu les retards notés, en 2013, dans le cadre de l’intervention au Mali. Pensez-vous que les obstacles soient levés pour une action rapide ?

Les obstacles politiques sont apparus lors du Sommet des chefs d'Etat du 19 juillet 2020 par vidéoconférence. Sur le plan logistique, le concept de mutualisation des moyens ne permet pas un déploiement rapide de forces, parce qu'il n'y a pas de moyens dédiés prêts à l'emploi.
Enfin, l'adhésion des populations serait un frein au déploiement de forces.

Justement, avec ce retard en 2013 d’une assistance au Mali contre les jihadistes, est-ce que le peuple malien accepterait une intervention contre cette prise de pouvoir des militaires, visiblement bien appréciée ?

En observant le déroulement des événements, on relève un soutien inconditionnel des populations aux militaires et penser que celles-ci ne seraient pas favorables à une intervention, ne relève point de la conjecture. La Cedeao devrait en tenir compte, si tant est que comme le disait le général Eisenhower, «c'est l'opinion publique qui gagne la guerre» («Public Opinion Wins War»).
 
Quel est le pays qui a le plus intérêt et qui serait prêt à mobiliser un nombre important de soldats, comme le Sénégal l’avait fait avec la Gambie ?

Le Mali est le centre de gravité du terrorisme et tous les pays de la Cedeao seraient prêts à soutenir le Mali dans sa lutte contre le terrorisme, mais pas pour intervenir dans une crise politique interne qui affaiblirait l'armée malienne. Les jihadistes observent avec intérêt l'évolution de la situation et ne manqueraient pas d'exploiter la moindre faiblesse dans le dispositif d'endiguement déployé par la communauté internationale et l'Afrique.

Y a-t-il un commandement déjà en place ou bien il faudra aussi se pencher sur cette question ?

La mobilisation d'une force militaire basée sur la mutualisation des moyens, notamment par les organisations internationales ou africaines, exige la nomination d'un commandement seulement après la signature de la résolution. Seules les Forces d'action rapide ont un commandement dédié. Ce qui n'est pas le cas de forces internationales ou africaines.

En dehors de la mobilisation des troupes, il y a les questions logistiques et financières. Qui pour financer l’opération ?

La question du financement et du soutien logistique reste entière. Le financement de forces doit rester en grande partie sur les épaules des Etats membres, pour éviter un dictat des bailleurs. Mais cette question n'est pas encore résolue et pèse sur la disponibilité opérationnelle de la force africaine.

Quelles seraient les conséquences d’ordre sécuritaire d’une intervention militaire au Mali ?

Une intervention au Mali aura des conséquences incalculables sur la stabilité de l'espace Cedeao. Les conséquences les plus visibles seront liées à l'expansion du terrorisme et la corrélation entre les jihadistes du Mali et Boko Haram. La Cedeao ne se relèvera pas d'une offensive jihadiste au-delà du verrou malien.

En dehors du ton ferme, est-ce que les chefs d’Etat vont prendre un tel risque ?

Cela dépendra aussi des initiatives de la junte dans le rétablissement de l'ordre institutionnel par la mise en place rapide des instruments de la transition aux mains des civils.
Dans tous les cas, la crise malienne doit être gérée avec intelligence, du fait de la prégnance de la menace terroriste sur l'Espace Cedeao. L'exemple de l'État islamique après la déstructuration de l'Irak et l'offensive jihadiste après la chute de Kadhafi doivent nous faire réfléchir.


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