Le professeur Abdou Salam Fall, sociologue à l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan), dirige le Laboratoire de recherches sur les transformations économiques et sociales (Lartes) qui a réalisé, dans le cadre du programme « Jangandoo », une étude touchant 15.000 enfants âgés entre 6 et 18 ans.
Cette enquête révèle que 95 % des enfants ont échoué aux tests en français, mathématiques et culture générale. Ce fort taux d’échec n’est pas dissociable du niveau des enseignants, du modèle de transmission des connaissances ainsi que de l’environnement scolaire et socioculturel. Il préconise, dans cet entretien, une révision de nos méthodes d’enseignement.
Vous avez rendu publique une étude dans le cadre du programme « Jangandoo » (Apprenons ensemble en wolof). Pouvez-vous nous faire l’économie des résultats ?
L’étude concerne 15.000 enfants. Ils ont été testés sur la base du modèle « Jangandoo ». Les tests concernent le français, le calcul et la culture générale. Il apparaît que 95 % des enfants ne réussissent pas les épreuves qui leur sont proposées à l’échelle des 14 régions du Sénégal. Ces résultats sont à analyser selon les matières. Si nous considérons la culture générale, ils sont plutôt positifs, parce que 85 % des enfants réussissent à l’épreuve de culture générale. En revanche, pour le calcul comme pour la lecture, les taux d’échec sont particulièrement élevés. Cela nous ramène à ce taux global d’échec de 81 %.
Le modèle sur lequel nous travaillons est fondé sur le niveau médium d’apprentissage, c’est-à-dire que les tests sont calibrés à partir de ce niveau. Tous les enfants que nous avons trouvés dans les ménages et âgés de 6 à 18 ans ont été interrogés indistinctement sur les mêmes épreuves. Certains peuvent penser que ce niveau médium peut favoriser les catégories les plus âgées au détriment des plus jeunes. Or, le nombre de jeunes, dans la tranche d’âge de moins de 8 ans, est largement élevé compte tenu de la pyramide des âges au Sénégal. Raison pour laquelle nous avons isolé des résultats la partie qui concerne les plus de 8 ans pour éviter ce billet d’échantillon. Mais là aussi, les résultats sont particulièrement faibles, parce que si nous considérons seulement les enfants qui ont plus de 8 ans, nous arrivons à 71 % de taux d’échec sur l’ensemble des 14 régions du Sénégal.
Est-ce que ces résultats sont liés à la fois au système éducatif et à la formation des enseignants ?
Si nous prenons en considération le contraste qui existe entre, d’une part, les réussites en culture générale et, d’autre part, les échecs en calcul et en lecture, nous pouvons relever le fait que, finalement, les enfants ont une forte réceptivité aux connaissances. Ils ont une ouverture sur leur monde. Donc, c’est cela qui explique les résultats en culture générale. S’ils échouent en lecture et en compréhension, en lecture courante, en résolution de problème, en division, en multiplication, probablement, nous devons réviser nos méthodes d’enseignement d’un point de vue de l’approche. Il faut privilégier une approche fondée sur la pédagogie de la réussite. Aussi faut-il travailler à améliorer les contenus des formations.
En plus, l’environnement compte. Qu’il s’agisse de l’environnement pédagogique ou de celui extra-scolaire. Dans ce cadre, nous pouvons aussi considérer que la formation des enseignants est un élément important du dispositif. Nous avons connu, au cours des 15 dernières années, le recrutement des vacataires et des volontaires qui n’ont pas reçu une formation rigoureuse pour dispenser des enseignements de qualité.
Est-ce que les contreperformances en lecture ont des incidences sur l’acquisition des connaissances dans d’autres disciplines ?
Tout à fait. Les échecs en calcul pourraient s’expliquer par cela. La preuve, si un enfant ne connaît pas l’énoncé d’un problème, il est difficile qu’il mette en œuvre sa logique mathématique. Donc, l’impact de la lecture sur le reste des matières est décisif.
Vous avez recommandé l’institutionnalisation de l’évaluation externe. En quoi cette option est-elle pertinente ?
Nous venons de réaliser une évaluation indépendante qui a mobilisé l’équipe de Lartes composée d’une dizaine de chercheurs, des collègues de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis et de l’Université de Thiès qui collaborent avec ce laboratoire. Nous avons aussi mobilisé des pédagogues. C’est avec cette équipe et les partenaires de terrain que l’enquête a été menée. Nous avons une association, une Ong dans chaque région. Ils mettent en œuvre le programme. Ces structures mobilisent, à leur tour, des animateurs qui font des enquêtes dans les ménages. Parmi les deux enquêteurs par ménage, il y a un arabisant et un francophone. De ce fait, ce sont plusieurs personnes qui ont réalisé cette évaluation indépendante. Celle-ci permet aux acteurs de l’éducation de disposer d’outils pour savoir où est-ce qu’on est en termes de qualité. Ces résultats sont une base fiable pour l’introduction des changements devant favoriser la culture de la qualité dans le système. Je crois qu’un tel dispositif ne peut qu’être encouragé. C’est pour cela que le professeur Abdou Salam Sall (ancien recteur de l’Ucad), qui préside les Assises de l’éducation, lors de la restitution des résultats, a proposé que l’on recommande aux prochaines assises l’institutionnalisation du programme « Jangandoo » comme baromètre indépendant d’évaluation de la qualité des enseignements et des apprentissages au niveau national.
Est-ce qu’il y a une corrélation entre le niveau des études des parents et la performance des élèves ?
Oui ! Nous avons cette variable dans l’enquête. Les résultats varient également en fonction des régions et du milieu. De façon globale, plus l’éducation des parents est poussée plus les résultats des élèves sont meilleurs. Mais, les données varient d’une région à une autre. Toutefois, ce qui est plus important, c’est l’espace scolaire. Celui-ci influe considérablement sur les performances. L’accès aux manuels, la perception que des personnes ont de l’éducation ont aussi des effets sur les résultats des élèves.
Quelles sont les recommandations de l’étude ?
L’une des recommandations importantes, c’est comment faire pour améliorer les contenus des apprentissages en tenant compte de l’univers culturel de l’enfant ? A cette fin, nous allons réunir un panel d’experts parmi lesquels Arame Fall, linguiste et ancienne de l’Ifan, Cheikh Aliou Ndao, écrivain, Mame Daour Wade, spécialiste des contes, des légendes et de la tradition orale, Atoumane Fall, l’un des spécialistes de l’enseignement des mathématiques dans le secondaire... Il s’agit donc de plusieurs spécialistes qui nous ont permis de revisiter leurs propres productions ou la production en langues nationales qui est assez vaste. Nous arrivons à la conclusion que si nous voulons modifier le contenu des enseignements et l’adapter à l’univers culturel des enfants, il est important d’introduire les langues nationales. L’un ne va pas sans l’autre. Aussi, travailler à l’introduction définitive des langues nationales dans les formes d’apprentissage fait partie des directives. Il ne s’agit pas de rester au stade de l’expérimentation, mais de passer à l’échelle.
Justement, quelle est la langue nationale qu’il faudra choisir ?
Ce sont les langues nationales et non la langue nationale. L’exemple de l’Inde est plus parlant. Il y a plus de langues en Inde qu’au Sénégal. Mais le problème ne se pose pas dans ce pays. Tous les enseignements dans le primaire sont faits dans les langues indiennes. L’anglais n’est enseigné qu’à partir du secondaire. Je ne peux pas dire que c’est un bon modèle. Néanmoins, c’est un exemple qui donne des performances. Le modèle stimule la créativité, l’expression, la logique de penser de l’élève qui trouve son confort sur les plans intellectuel et culturel. Si nous prenons en charge ceux qui réussissent, nous nous rendons compte que le contenu des enseignements est plus adapté à son environnement. Nous voyons aussi que beaucoup de pédagogues n’insistent pas sur la synthèse. Ils privilégient la mémorisation. C’est l’une des contraintes majeures.
Propos recueillis par Idrissa SANE
12 Commentaires
Maïmoune
En Janvier, 2014 (15:57 PM)Dad's
En Janvier, 2014 (16:27 PM)La faute à qui? Sans nul doute à notre système éducatif qui s'est dégradé progressivement au fil des années. Les enseignants d'avant avaient l'amour du métier, or de nos jours, la plupart de ceux qui se retrouvent dans l'enseigenement le sont par dépit, n'ayant pu trouver "mieux". Du coup, nous nous retrouvons avec avec des enseignants qui n'ont pas la passion de ce qu'ils font et souvent pas la formation necessaire. Comment peut-on transmettre un savoir qu'on ne maîtrise pas soi-même?
Quant à l'environnement social des enfants, je ne saurais nier que le niveau des études des parents peut avoir une influence positive sur le niveau de leurs enfants, mais cette influence selon moi reste assez négligeable. La preuve, nos premiers intellectuels n'avaient pas bénéficé de cet environnement favorable et leur niveau était de loin meilleur que celui des nouvelles générations.
Alors je suis d'accord qu'il faut revenir aux fondamentaux: former de manière plus rigoureuse le corps enseignant car les enfants ne sont pas moins intelligents aujourd'hui qu'avant et mieux, les NTIC auxquelles ils ont accès leur permettent d'avoir une très grande ouverture d'esprit.
Anatole France
En Janvier, 2014 (16:59 PM)Le nombre d'élèves par classe. En moyenne dans les cas que je connais, ce sont une centaine de jeunes par classe de 6ème mais aussi de 3ème et même de seconde. On ne peut pas travailler avec une telle quantité de gens dans une salle surchauffée.
La motivation des élèves est absente. On peut estimer que près de 75 pour 100 d'entre eux ne savent pas exactement ce qu'ils sont venus faire en classe. Apprendre, bien sûr, mais encore faut-il avoir une idée de ce que sera l'avenir, quels sont les débouchés réèls, les opportunités du futur. Apprendre pour apprendre ne sert à rien si l'on n'a pas un objectif. La plupart des élèves sont là parce qu'il n'y a de toute façon pas autre chose à faire et que comme tout le monde va à l'école, ils suivent le troupeau. Et puis c'est toujours mieux que de travailler...
Les parents ont largement démissionné de leur rôle d'éducateurs. Les enfants sont livrés à eux-mêmes, ne sont pas suivis par leur père ou leur mère; passent des heures à regarder des feuilletons débilitants comme ces séries brésiliennes ou indiennes qui sont du niveau d'un analphabète. Ensuite bals et soirées quand ce ne sont pas les boites de nuit...
Bien-sûr le niveau de formation des profs est catastrophique, mais aussi leur motivation, leur vision de leur métier, leur esprit civique et républicain. Il suffit de voir avec quel empressement ils s'adonnent aux grèves sans penser un seul instant à tous ces jeunes qui trainent/
La religion et l'islam en particulier est également un frein fantastique à l'enseignement du monde moderne. Quand on vit dans une famille musulmane, les priorités éducatives sont ailleurs et le climat intellectuel se limite généralement à d'autres considérations qu'à l'approche consciente d'un avenir autre que celui des paradis célestes...et des compromissions avec les confréries religieuses.
La culture générale est généralement absente des sujets d'enseignement. Les élèves ne savent absolument rien de ce qui se passe autour d'eux, ne lisent ni livres, ni magazines, ne voient ni documentaires,... La plupart ne savent même pas ce qu'est la place financière de Londres ou la Silicon Valley ou qui est le premier ministre de leur propre pays.
Il y a vraiment de vrais états généraux à créer pour mettre en place un système éducatif digne du 21 ème siècle. Sinon, re-bonjour la misère...
Lebaolbaol
En Janvier, 2014 (20:02 PM)Comparer l'indien qui est une langue ecrite depuis plus de deux milles ans et parlèe par des centaines de millions d indivudus à une langue nationale du senegal pays de dix millions d habitans,un intelectuel HONNETE ne le fait jamais.....Les indiens qui ont connu la medecine bien avant les europeens.....
La Part Des Choses
En Janvier, 2014 (20:04 PM)Lebaolbaol
En Janvier, 2014 (20:15 PM)TANT QU IL Y A AMANGER VOUS N HESITEZ PAS A SACRIFIER VOS JEUNES COMPATRIOTES.
Da
En Janvier, 2014 (20:25 PM)Lebaolbaol
En Janvier, 2014 (20:49 PM)Solitys
En Janvier, 2014 (23:28 PM)Mayday
En Janvier, 2014 (08:44 AM)--
En Janvier, 2014 (08:45 AM)Edaw
En Janvier, 2014 (14:38 PM)Participer à la Discussion