« Mon CV ne va plus être ‘’elle a écrit tel ou tel autre livre’’. J’ai été à l’Université Cheikh Anta Diop ! Pour moi, ça va être une référence. C’est quelque chose que je vais retenir toute ma vie ». Ces mots sont de l’écrivaine Ken Bugul, invité mercredi par l’Ucad à animer une conférence sur le thème déconstruire la fatalité : une vie, une œuvre.
Mais plus que ce qu’elle devait partager, la célèbre romancière retient d’abord un fait : sa venue à l’Ucad. Pourtant, elle a fait les universités du monde, aux Etats-Unis, en Europe, en Corée. Elle a été plusieurs fois invitée par l’université Gaston Berger, mais elle ressentait toujours un manque : aller à l’Ucad. « Je suis vraiment honorée, puisque c’est la première fois que je viens à l’Université Cheikh Anta Diop », dit-elle.
Et c’est justement pour qu’une injustice pareille ne puisse plus se reproduire que le Recteur de l’Ucad Ahmadou Aly Mbaye a initié une série de rencontres sous le thème : le dialogue des savoirs. Après Ken Bugul, il y a déjà Felwine Sarr prévu en juin prochain et Fatou Diome est déjà sur la liste des confirmations.
Selon le Recteur, chacune des disciplines enseignées à l’université pose un regard sur le monde. Et il existe déjà un dialogue entre les disciplines, appelé interdisciplinarité ou transdisciplinarité. Maintenant, l’Ucad veut aller plus loin, pour que les disciplines enseignées à l’Université dialoguent avec les autres formes de production de savoir, de connaissance que sont les arts, les savoirs endogènes.
« Chez nous, il y a des philosophes, historiens, économistes, qui n’utilisent pas les mêmes normes que les universitaires et qui ont leur lecture du monde. Nous avons voulu créer ce cadre de dialogue entre ces différents cercles de production du savoir ».
De ce fait, il n’y a pas d’exclusion, tous ceux qui ont des choses à offrir sont les bienvenus. Et l’Ucad a toujours vécu sous cette tension. « Lorsque l’Université de Dakar a été inaugurée, le président Senghor disait que c’était une université à la croisée des chemins où on devait enseigner les matières classiques des universités, mais aussi les savoirs endogènes. L’Union générale des étudiants africains dirigée à l’époque par Daouda Sow était entrée en mouvement de grève 6 mois après l’inauguration, parce qu’ils avaient le sentiment que les savoirs endogènes n’étaient pas suffisamment valorisés à l’Université de Dakar », rappelle le Recteur Mbaye.
Une tension restée permanente et que le recteur et son équipe compte prendre en charge. « Nous allons faire venir des penseurs qui vont parler de numérologie, de religion, d’astronomie, qui vont s’exprimer en diola, en wolof, dans nos langues nationales. On a des applications nous permettant de traduire et on va dialoguer avec eux », promet-il.
Cette initiative a été saluée par la romancière qui pense qu’il faut faire entrer les savoirs endogènes à l’Université. « Si on ne s’ouvre pas à d’autres pratiques endogènes, ça risque de faire de l’université un grenier rempli mais inutile », prévient-elle.
D’ailleurs Lilyan Kesteloot disait à propos de Ken Bugul qu’elle n’est pas universitaire, mais elle a écrit des œuvres étudiées par les universitaires. De quoi prendre conscience des pertes engendrées par le cloisonnement pour enfin tenter le décloisonnement entre cercle de production de savoirs.
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En Mai, 2023 (21:40 PM)Participer à la Discussion