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Harcèlement scolaire : cette femme apprend aux enfants à riposter

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Harcèlement scolaire : cette femme apprend aux enfants à riposter

Avant d’avoir des enfants, le documentaire « Récréations » de Claire Simon dans lequel on observe des enfants de maternelle à la récréation fait sourire. Une petite fille devient hystérique parce qu’elle a peur de sauter d’un mini-banc. Un autre se fait pousser, mille fois, derrière une grille (visiblement une prison). Le visionner, quelques années plus tard, avec des enfants scolarisés dans la pièce d’à côté est horrifiant.

Emmanuelle Piquet, 47 ans, fondatrice des centres Chagrin scolaire, s’apprête à aller à une conférence de pré-rentrée dans une école parisienne. Chopée à la gare de Lyon qui est comme sa seconde maison (le siège de sa boîte est à Mâcon), devant un verre de vin rouge, elle sourit gentiment à l’évocation de ce documentaire.

« Vous savez, la maternelle n’est pas le pire. A partir de 9 ans et jusqu’au lycée, la popularité est la seule chose qui compte.

J’ai fait cinq conférences de pré-rentrée avec des profs de collège, on est tous d’accord pour dire que les gamins sont chiants et moches et que l’environnement est hyper cruel. »

Un changement de posture

Emmanuelle Piquet a découvert l’école de Palo Alto à 20 ans grâce à un oncle psychiatre. Après une école de commerce et une carrière dans les ressources humaines, elle décide à 36 ans d’y revenir et de se former à cette école qui considère que « tout ce qui est mis en place pour résoudre un problème l’aggrave ».

En 2006, elle s’installe comme thérapeute.

« Les enfants venaient pour une énurésie ou un problème de notes. Très vite, ils me parlaient de la cour de récréation. Quand je leur demandais à quoi ressemblerait leur vie si tel ou tel enfant disparaissait, il me répondait “ça serait nickel”. Je me suis qu’il serait intéressant de modéliser, grâce à Palo Alto, une façon de procéder. »

Depuis, Emmanuelle Piquet aide les enfants victimes de harcèlement à changer de posture (elle appelle ça un « 180° »). Parce que l’enfant manque de recul, de pertinence et de second degré, les thérapeutes de ses centres l’aident à trouver les bonnes « flèches » (réponses verbales) et « parades numériques » qui vont modifier l’énergie qui l’entoure. Entretien.

L’enfant ne sait pas se défendre ?

L’enfant, le pauvre chéri, n’a pas beaucoup de cordes à son arc. La plupart du temps, quand on l’embête, soit il dit « arrête » et il le dit d’une façon tellement geignarde, recroquevillée et molle que ça veut un peu dire « continue ». Soit il va en parler à la maîtresse parce que sa maman lui a dit de procéder comme ça. Et on le voit tous les jours, cela cristallise la situation. Il y aussi des mères qui vont taper sur d’autres mères, ce qui est drôle à voir. Nous, nous aidons l’enfant sans faire à sa place.

Comment faites-vous pour fabriquer les ripostes ?

Je ne crois pas qu’on ait déjà donné la même flèche à deux gamins dans notre vie, mais il y a une modalité de résolution de problème. L’idée est qu’on se sert de ce qui est envoyé. C’est comme de l’aïkido. On se sert du contenu et de l’intensité et on répond de façon proportionnée.

Vous pouvez donner des exemples ?

J’en donne dans mes conférences TEDx. Celui de Bastien, 18 ans, qui pleure tous les soirs devant le groupe Facebook anti-lui qui a été créé par sa classe. Nous lui conseillons de poster un message dans lequel il annonce en prendre la présidence.

Julie, 15 ans, n’arrête pas de se faire jeter et reprendre par Candice. Nous lui avons conseillé de lui dire à la prochaine phase d’approche :

« Ça a l’air important pour toi donc je veux bien qu’on soit copines, mais amies je ne crois pas, on n’est pas compatibles. »

 

Conférence Tedx d’Emmanuelle Piquet

Peut-on apprendre soi-même à faire ces flèches ?

Oui, c’est pour ça que j’ai écrit le livre « Te laisse pas faire ! » (éditions Payot). Je l’ai écrit pour les parents et les professionnels de l’enfance et je suis allée dans le détail de l’élaboration de ces réponses verbales.

En utilisant ces flèches, l’enfant harcelé ne devient-il pas à son tour un petit être blessant ?

Non, ce qui est touché chez l’enfant harceleur, c’est le besoin de popularité et de pouvoir. Je ne vais jamais donner une flèche qui se moquera du physique ou de quelque chose de cet ordre. Je souhaite simplement que le fait d’attaquer l’enfant harcelé conduise à une perte de pouvoir et de popularité et non pas à un gain.

C’est une logique à court terme, alors qu’un enfant vulnérable l’est souvent pour des raisons profondes...

Oui, mais on est relativement modestes. On ne prétend pas rendre heureux les enfants dans tous les aspects de leur vie.

Ce sont des thérapies brèves, souvent trois séances, mais il s’opère un changement de nature. Jusqu’à présent, ces enfants faisaient l’apprentissage de ce qu’ils étaient faibles. Avec notre méthode, ils apprennent qu’à un moment donné la puissance peut changer de camp.

C’est aussi une expérience très intéressante pour le harceleur, soit dit en passant. Ce sont souvent des gamins qui sont dans la toute-puissance. Ils se rendent compte qu’ils peuvent tomber sur des os. Il est intéressant qu’ils vivent cette expérience émotionnelle à 7 ans et non pas à 42.

J’ai été méchamment harcelée en primaire et au collège, mais ça n’empêchait pas mes proches de dormir. Qu’est ce qui a changé ?

Quand je rentrais de cours, ma mère ne me demandait pas non plus comment ça s’était passé avec mes copains, mais combien j’avais eu en maths. Ce qui a changé, c’est que nous sommes devenus des parents inquiets de douze milliards de trucs et notamment de la capacité de nos gamins à entrer en relation.

C’est effrayant. Les instits me racontent qu’à la Toussaint de la troisième année de maternelle, les mères demandent combien d’anniversaires il y a eu depuis le début pour voir s’il y a des raisons de s’inquiéter.

Il y a aussi un mouvement sociétal. Des gamins tout seuls dans la cour, ça arrivait tout le temps avant et ça n’était pas forcément grave. Maintenant, il faut avoir des amis.

L’isolement peut commencer très tôt avec le jeu très vieux de la contamination : quand un gamin s’approche, tout le monde s’écarte comme s’il avait une maladie grave. C’est quelque chose d’abominable, mais qui ne peut pas être sanctionné. En revanche, travailler avec l’enfant pour qu’il fasse en sorte d’être plus séduisant, c’est possible.

Pour cela, vous organisez parfois des réponses très élaborées...

Je raconte en conférence un cas que j’ai adoré. Celui de Justin, six ans. A chaque fois que Justin est mis en binôme, le gamin désigné se met à pleurer. Il éclate vraiment en sanglots. Il hurle « pourquoi moi ? » en larmes. Le gamin est malheureux, et Justin est évidemment au bout de sa vie parce que personne ne veut lui donner la main.

Justin est pathétique dans la cour : il va voir les enfants pour leur demander s’ils veulent jouer avec lui. Et bien sûr, il finit tout seul à regarder les arbres. Avec la jeune prof de Justin, on a réfléchi à un projet valorisant qui lui permettrait d’être mis sur un piédestal.

On a finalement décidé d’acheter un hamster pour la classe qu’on a appelé Jean-Jacques. La prof a expliqué aux élèves que personne n’avait le droit de jouer avec lui sans l’autorisation expresse de Justin qui a été nommé responsable. Par ailleurs, elle a demandé à Justin d’emmener régulièrement Jean-Jacques dans la cour pour pouvoir l’observer en milieu hostile. Et donc Justin a eu un truc cool à faire dans la cour. Ca a réenclenché quelque chose. Justin n’est pas devenu soudainement populaire, mais il a le droit de s’asseoir avec les autres dans la cour.

Est-ce qu’on peut décliner cette méthode pour répondre au harcèlement en ligne ?

Avec le numérique, les enfants ont des outils absolument magnifiques pour harceler. Cela permet des attaques plus sophistiquées, cruelles et permanentes. Cela multiplie les opportunités aussi. Dans mon livre, « Je me défends du harcèlement » (Albin Michel), il y a l’histoire de cette jeune fille qui a eu des problèmes après que sa sœur a posté une photo d’elle en maillot sur Facebook.

Mais la nature reste la même. Si on coupe tous les réseaux sociaux à un gamin harcelé, il continue de se faire harceler dans la cour. L’avantage, c’est qu’on peut vraiment se servir de ces outils pour faire en sorte que ça s’arrête. On est de plus en plus amenés à faire des parades numériques.

Pouvez-vous donner un exemple ?

On fait des changements de photos de profil, par exemple. On a eu une jeune fille que les élèves appelaient Zlatan, ce qui est très agréable quand on a 16 ans... Moi je la trouvais très jolie, mais ses camarades trouvaient visiblement qu’il y avait quelque chose. Elle était un peu carrée d’épaule peut-être, je ne sais pas.

Cette jeune fille était du genre à péter des plombs de façon disproportionnée. Quand un gamin explose dans la cour en mode caricatural comme s’il avait deux ans, c’est génial pour le harceleur, c’est une victoire. Elle faisait un peu ça, elle hurlait, elle les insultait. Dès qu’elle rentrait dans une salle ils criaient tous « but ». 

Il faut admettre que c’est un peu drôle ça…

Ah oui. Parfois ce n’est pas drôle, mais souvent ça l’est. C’est bien trouvé. Cette jeune fille a donc changé sa photo de profil et elle a mis une image de Zlatan. Une façon de dire « Allez-y, j’adore, je trouve ça tellement drôle ». Ça les a calmés, ce n’est plus intéressant quand la personne ne se débat plus.

Souvent vous combinez parades réelle et numérique ?

J’ai eu en consultation un ado extrêmement acnéique, mais à un point…Souvent les gamins ils sont très mignons, parce qu’ils essayent de parler à leurs harceleurs : « Mais pourquoi tu me fais ça, essaye de réfléchir », le truc qui est totalement inopérant.

Les élèves le surnommaient « clafoutis ». Un jour au self, ça a dégénéré, il a terminé avec de la Vache qui rit dans les cheveux. C’est une des rares fois où je me suis dit qu’il fallait envisager un changement d’établissement. On a réfléchi ensemble à des solutions.

On avait une piste numérique : je lui avais conseillé de faire une page sur l’état météo de son acné, « puisque ça vous intéresse tellement vous aurez un point tous les deux jours ». Ça le faisait marrer.

L’autre truc, c’était de faire imprimer un T-shirt sur Internet. Devant, une image de clafoutis. Derrière, cette phrase :

« J’ai de l’acné mais je me soigne, et toi pour ton cerveau on va faire comment ? »

Le jour où il l’a mis, un peu avant les vacances d’été, ça a été un événement. Dès l’arrêt de bus, il était sur tous les comptes Snapchat. Des élèves sont venus lui dire qu’il « avait des couilles ».

Avez-vous été victime de harcèlement ?

Non et mes quatre enfants non plus. J’ai une de mes filles qui est grosse et rousse (et par ailleurs très belle). Mais s’il y en a une qu’on n’emmerdera jamais, c’est elle.

Pour le bac de gym, elle était obligée de passer la gym au sol. La gym au sol, comment dire, on la regarde et on se dit « non, faut renoncer ». Et donc la veille du bac de gym, elle descend me voir. Elle me dit : « Donc on fait quoi pour demain ? Est-ce qu’on est d’accord que je ne sais pas faire la roulade avant ? » Je lui dis qu’en effet, c’est un fait établi. Mais qu’il est 20 h et que cela ne servira rien de s’entraîner toute la nuit vues nos aptitudes. L’épreuve devait avoir lieu devant les 200 lycéens de l’académie, il fallait trouver un air pour magnifier la chorégraphie.

Une heure après, elle redescend, elle me dit qu’elle a choisi la parade des éléphants de Mowgli pour faire sa chorégraphie. Et elle se met à quatre pattes sur les pieds devant moi. Elle le fait. Elle a eu 13 alors qu’elle méritait 2, eu égard à la grille d’évaluation.

La clé, c’est l’autodérision.

Oui c’est une arme sublime. On ne peut pas attaquer quelqu’un qui est dans l’autodérision. Le problème, c’est que l’ado en a très peu.



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