Au Sénégal, évitez de demander à une personne combien elle perçoit à la fin du mois. Il y a de fortes chances qu'elle ne réponde pas à cette question, totalement taboue. Pourquoi une telle réticence à parler de son salaire? Seneweb a cherché à percer le mystère.
Il est 15 heures passées de quelques minutes quand Birane franchit le seuil du portail de sa maison. Sobrement vêtu d'un short en jeans et d'un T-shirt de couleur blanche, il se dirige vers le domicile de ses amis pour aller siroter un bon thé dominical. Après quelques salamalecs, nous lui glissons la question :
"Pouvons-nous savoir combien percevez-vous par mois ?".
L'expression de son visage, renseigne à suffisance sur la délicatesse de la question. "Est-ce que tout va bien chez vous ?" rétorque-t-il. La discussion sera éphémère et la réponse ne viendra jamais. Le niveau de ses émoluments, Birane ne le communique à personne. Il n'en discute avec personne. Pour lui, c'est un tabou et personne ne doit en discuter.
"Le salaire est confidentiel et je ne divulguerai le mien pour rien au monde. Même dans un couple, chacun doit éviter de vérifier le salaire de son conjoint. Cela peut engendrer des frustrations. Ici quand vous dévoilez ce que vous gagnez, les gens feront des calculs à votre place", balance le jeune salarié.
La réaction de Birane n'est pas singulière. Au contraire, pour l'écrasante majorité des Sénégalais, il est difficile, voire impossible, d'avoir une réponse à cette question. Agent du ministère de la Santé et de l'Action sociale, Nogaye Dieng fait savoir qu'il n'est même pas correct de demander à une personne le montant qu'il perçoit à la fin du mois. "Personne ne doit pousser la curiosité à ce niveau", tranche-t-elle.
Comme elle, Aliou Ndiaye pense que le salaire est confidentiel : "Vous pouvez gagner 100 000 Francs Cfa à la fin du mois et vivre décemment, sans que personne ne connaisse votre situation." Pour lui, il faut entretenir le mystère sur la question. Car, il y va même du respect que la société peut éprouver à votre égard.
"Nous sommes dans une société hypocrite où on vous juge selon votre apparence. Par exemple, dans votre quartier, les gens peuvent vous accorder du respect tant qu'ils ne connaissent pas votre niveau de salaire. Mais ce respect peut s'effondrer le jour où ils sauront que vous recevez, par exemple, un petit salaire", dit-il.
Sociologue : "Souvent, on a peur de la langue"
Abdoulaye Cissé est sociologue. Il a essayé de trouver une réponse à cette attitude des salariés sénégalais. Pour lui, la première explication se trouve dans l'éducation et la culture. "Souvent, quand la personne essaie de monter ce qu'il a, en termes de revenu, il a peur du regard de l'autre et l'appréciation que les gens vont en faire", explique-t-il.
Le sociologue souligne que les Sénégalais ont peur de l'appréciation de l'autre. C'est pourquoi ils ne veulent pas dévoiler tout ce qui se rattache à la richesse et au savoir. "On a aussi peur de la pression sociale. Certains cachent même leur salaire à leur femme. Car ils se disent que cela peut engendrer une charge supplémentaire", relève-t-il.
L'autre explication est purement mystique. "Souvent, on a peur de la langue. Au Sénégal, les gens parlent de tout. Et comme on dit, si tu veux garder un secret, il ne faut le dire à personne. Et c'est pourquoi les gens n'aiment pas dévoiler leur salaire. Ce sont des réalités sociales, culturelles et mystiques. Le fait que l'autre connaisse votre salaire, peut avoir des conséquences sur la stabilité sociale dans la conscience collective des Sénégalais".
Cheikh Diop CNTS : "Le salaire, au Sénégal, n'est pas décent"
Secrétaire général de la Confédération Nationale des Travailleurs du Sénégal (Cnts/Fc), Cheikh Diop s'est lui penché sur le salaire même du travailleur sénégalais. Pour lui, le salaire, au Sénégal, n'est, pour la plupart du temps, pas décent.
"Nous n'avons pas de travail décent avec un salaire décent. Par contre, à mon avis, le niveau de salaire n'est jamais subsistant et n'est jamais bon. Et le sens de notre combat, c'est d'améliorer le niveau des salaires au Sénégal au regard du coût de la vie. Et la Cnts/Fc fait partie des syndicats qui pensent que nous devons instaurer un minimum vital à la place du Smig (salaire minimum). A la place de ce Smig que nous avons révisé à la hausse, je pense que nous devons aller vers le minimum vital", suggère le syndicaliste.
En fait, le salaire minimum vital est un salaire calculé sur la base du panier de la ménagère. Un salaire calculé sur le niveau de l'inflation. Ce qui pourrait permettre à l'individu de satisfaire ses besoins vitaux au regard de l'inflation. Une rémunération qui permet également à l'individu de vivre, de manger, de boire, d'assurer la scolarité de ses enfants.
Ainsi, les syndicats, conscients du fait que seul le rapport de force peut faire bouger l'Etat et les employeurs, comptent mener le combat pour faire progresser les salaires.
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