Le livre s'appelle " Sénégal notre pirogue" , sous-titré "au soleil de la Liberté- journal de bord 1955-1980". Il fut publié à Présence Africaine en 2007. Il est signé Roland Colin.
Récit d 'un naufrage. Celui du "socialisme africain".Dans l'océan de l'indifférence et du mépris. Dans la mer des intérêts à court terme. Naufrage dont Roland Colin se fait le comptable.
Jour après jour, il note et décrit, rend compte, dans un style sans fioritures ni effets de style et de manches, au plus précis, bilan administratif et politique, rapport de missions,ce que furent ces années 58-62 où tout se joua.
Mais sous la froideur volontaire du style qui fait de cet opus un livre référence pour les historiens futurs des indépendances africaines frémit une passion où transpire la nostalgie de ce qui aurait pu être..et ne fut pas pour l'acteur de premier plan qu'il fut.
Passion pour "un socialisme africain" que symbolisait à ses yeux Mamadou Dia, Chef du Premier Gouvernement sénégalais ( Premier Ministre de Senghor Président) et vice- président de la Fédération du Mali, esquisse avortée d'un panafricanisme sur les traces de Nkrumah.
Ce livre vient à point nommé pour nous rappeler l'extraordinaire fécondité de la terre africaine en ces années cruciales des indépendances en hommes visionnaires, penseurs, philosophes, écrivains, militants, historiens,que furent Mario de Andrade, Neto, Nyerere, Beti, Machel, Cabral, Lumumba, Ampathe Ba, Sembenne Ousmane, Ki-zerbo, Cheik Hamidou Kane, Assane Seck, Mahtar Mbow, Diouf, Cissé ......et, pour lui, surtout Senghor et Mamadou Dia.
La décision gaullienne, sous la pression tant d'une aile libérale qui entendait exploiter l'Afrique sans avoir à subir - et payer- une administration coloniale souvent lourde et contraignante et d'une aile indépendantiste et progressiste qui tournait autour d'Aimé Cesaire, Senghor, Houphouët Boigny, de la SFIO, d'en finir avec "le temps des colonies" par la mise en place- par referendum- d'une Communauté où chaque pays aurait des prérogatives et iniatives indépendantes du pouvoir Central, allait représenter une "révolution" c 'est à dire ouvrir une porte du possible vers lequel allait, au Sénégal, s 'engouffrer surtout un homme, Mamadou Dia, qui, devenu Chef du Gouvernement, n'allait avoir de cesse que de mettre en place, dans ces années là ,de 1958 à 1962, les bases d'un socialisme réel qui n'a jamais, dans aucune partie du monde, connu un tel développement.
C'est de ces années là, c 'est de cette expérience là dont nous parle R.Colin.
Années de feu et d 'espoir, années de travail et de rigueur, où la grande idée de Dia des " communautés de base" , alimentée par l'expérience et la pensée de Lebret et des meilleurs économistes du moment, allait peu à peu voir le jour et donner ses plus belles-et éphémères-fleurs.
Car il s 'agit bien de socialisme.
Pas un socialisme décidé d'en haut, dans la pure version stalino-léniniste, par une avant-garde ayant su se libérer de la contamination et de l'aliénation " capitaliste", pas le marxisme tropical véhiculé dans le cadre de la guerre froide par l'URSS, mais un socialisme enraciné dans la tradition des villages, dans la communauté que forme chaque village, que forment, avec leurs contradictions, la réunion de plusieurs villages, de plusieurs cantons, de plusieurs départements, régions.Concrétement.
Plus de 100.000 " animateurs " furent ainsi formés et chargés de " faire remonter la demande "...Un espoir était né. .. des coopératives se formaient. ... dans la plus pure des traditions auto-gestonnaires mais cette fois appliqué à un ensemble national..
Le livre nous raconte, par le menu, l' organisation de ce socialisme là.
Pas celui des grandes tirades, des envolées lyriques, des objectifs ambitieux et lumineux mais celui du terrain, des comités, des cellules d 'Animation, des Coopératives, des Unions Départementales, des Conseils, des Sections,... bref des petits rouages indispensables d 'une énorme mécanique destinée à donner la parole au peuple et pas seulement la parole mais une parole nourrie et battue comme fer au feu de la discussion, de la critique et d'une liberté, nouvelle et réelle.
La "disparition" politique de Mamadou, son emprisonnement par un Senghor que Roland Colin n'arrive pas à critiquer, résumant l'opposition des idées et des hommes à une formule un peu trop rapide ( Sengor serait l' aristocrate enraciné dans la Normandie et la Négritude, Mamadou Dia l'instituteur de village prés du peuple ) allait sonner le glas des espoirs. L'extraordinaire et féconde organisation mise en place par Dia allait peu a peu, sans tête, se déliter, les moyens lui être refusés. L'aveuglement politique français allait, allié aux intérêts des Grandes Compagnies, être fatal à l'expérience qui vécut , en 75/76- avec l'EMP - Enseignement Moyen Pratique- ses dernières heures.
L'arrivée à la tête de l'Etat sénégalais de Wade il y a 10 ans allait non seulement gommer l'expérience du réel mais même de l'Histoire. Il semblerait qu'il n'y ait aujourd'hui ( Ben Mady Cisse mourut l'année dernière) aucun survivant de cette époque, aucune trace dans les institutions ni les mémoires.
L'EMP qui représentait un espoir de formation est inconnu, personne n'en parle, ni les Inspecteurs ni les Directeurs d'école. Ibidem l'Animation. Le Sénégal qui était terre de dialogues, de réunions, de délibérations, de remontée des besoins de la base est devenu un desert sans mémoire.
Ce livre sufffira t -il, ici et en France, à redonner à cette épopée sa fringance et son importance.
Toujours est -il que la sentence de Ian Smith qui déclarait, il y a moins de 20 ans, que les africains étaient incapables de se gouverner eux mêmes et qui, ouvertement combattu pour de tels propos, est secrétement approuvé, trouve ici sa réponse adequat. L'Afrique et plus particulièrement le Sénégal ont su apporter au monde une réponse au défi des nations modernes.
Que la vénération de Colin pour Mamadou Dia trouve sa récompense. Que Dia soit enfin reconnu pour ce qu'il fut dans son action : un révolutionnaire conséquent. Et surtout que l'on retrouve, avec sa rigeur propre, l'élan auto-gestionnaire qu'il avait su insuffler. L'Afrique en a aujourd'hui plus qu'hier vraiment besoin... c 'est la seule porte de sortie de crise. La seule.Que l'Afrique retrouve aussi à travers ses intellectuels et des militants comme Mamadou Dia, Senghor, Nyerere, l'orgueil et la fierté dont elle a besoin pour vire et se vivre.
Kakadoundiaye
3 Commentaires
R
En Novembre, 2010 (03:37 AM)Es
En Novembre, 2010 (09:31 AM)Yahman
En Avril, 2011 (08:21 AM)Participer à la Discussion