Une catégorie de femmes africaines
raffole de crèmes éclaircissantes. Elles ont un seul slogan : Blanche à
tout prix ! Pour autant, parviennent-elles à leurs fins ?
Abidjan Gare nord, 17h. Trois jeunes femmes, entre 35 et 40 ans, montent
dans un bus. L’une d’elles, portant une robe en lin beige, raconte à
ses amies que son fiancé, un Européen, arrive en août prochain, et
qu’elle doit dès à présent commencer à éclaircir sa peau. Elle connaît
une boutique où elle pourrait s’acheter ce genre de produits. Jamais
elle ne commettrait l’erreur de 2007 : elle était partie en vacances
avec son teint naturel. Elle avait beau se vêtir de grandes marques,
personne ne la regardait, ni ne parlait d’elle. Pis, son propre père ne
croyait pas qu’elle revenait de Paris, tant « les Parisiens et
Parisiennes » ont la peau claire. L’une de ses amies approuve de la
tête. D’origine sénégalaise, elle non, plus n’imagine pas un retour au
pays, le teint sombre. Son visage est clair ; ses doigts en revanche ont
du mal à s’éclaircir. Sanglée dans un pagne, ses bras traînent des
bijoux. La troisième, elle, ne dit mot. Mais, bientôt, son sourire se
déploie sur son visage. C’est presque une naïade inclassable. Une ligne
d’une netteté parfaite. Elle porte un jean délavé et un polo. Ses
cheveux sont coupés à la garçonne et partagés par une raie. En elle,
c’est la beauté typiquement peulhe. Elle est d’origine guinéenne et
s’exprime sans retenue. Elle dit à ses amies qu’elle ne touche pas à ces
produits.
Ce qui pousse les jeunes filles à se dépigmenter
Les vendeurs de produits éclaircissants, au vu et au su de tout le
monde, en toute légalité en Côte d’Ivoire, font fortune. Dans toute
l’Afrique, ces vendeurs égayent les femmes et les hommes en mal de
visibilité. Pour ceux ou celles qui effectuent des voyages en Europe,
ils n’ont qu’une phrase « il n’est pas bon de revenir de France avec un
teint naturel ». Parce que pour eux, avoir une peau claire, c’est la
garantie du succès. Ainsi, les fabricants de produits imaginent-ils des
cocktails explosifs, du Diprosone mélangé à du ciment au Topsyne, en
passant par l’eau de javel, l’hydroquinone, le Jaribu, etc. En Côte
d’Ivoire, certaines jeunes filles ne sont pas prêtes à renoncer. Bien au
contraire, elles y sont attachées. Le leur interdire, c’est comme si
elles perdaient un peu d’elles-mêmes. Une jeune tresseuse, qui a requis
l’anonymat, nous a confié que son copain la préfère claire. Et chaque
fois qu’elle laisse son teint s’assombrir, il lui dit : « tu es devenu
vilaine ces derniers temps, où est passé ton teint rayonnant ? ». Elle
est donc obligée de faire le mélange de plusieurs savons éclaircissants
pour se laver et d’utiliser les tubes comme ‘’24 heures’’, ‘’72 heures’’
pour vite devenir claire. « Depuis qu’on s’est rencontrés, il dit que
mon teint est ‘’kpata’’ ‘(clair, joli à voir en nouchi ivoirien). Pour
cela, il me donne toujours de l’argent pour que mon teint reste comme
cela », a-t-elle poursuivi. Pourtant, son teint n’est pas uniforme. On
voit que les orteils et les doigts refusent de blanchir. Tout autour de
ses yeux, il y a des phares noirs et le visage est entaché de gros
boutons. Et c’est ce qu’elle appelle ‘’être clair’’ !
La beauté, c’est le naturel
La femme noire est belle lorsqu’elle est débarrassée des accessoires de
mode, de maquillage avec un teint naturel. La beauté, la vraie, réside
dans le naturel. Or, il n’est pas un clip, un film ivoirien ou africain,
sans un corps féminin au visage éclairci et aux doigts à deux tons. Il
en est de même dans les hôpitaux, les hôtels, les écoles, etc. Il faut
dire qu’aujourd’hui, les hommes se disputent les pommades de leurs
femmes. Ils cherchent à rendre propre leur corps pour séduire. L’heure
est maintenant aux hommes ‘’choco’’ (propres et stylés dans le jargon
ivoirien), comme ils aiment à le dire. Ces personnes, adeptes de cette
pratique, sont les congolais et les zaïrois. Ils sont plusieurs en Côte
d’Ivoire qui sont ‘’clairs forcés’’.
La dépigmentation : un complexe ?
Répugnant à l’université de « l’amour de soi », les Africaines (et
Africains) bicolores ont opté pour le lycée de « l’amour-propre ». Et il
serait faux de prétendre que la dépigmentation est un complexe. Cela
est peut-être vrai pour Michael Jackson, le plus célèbre des
dépigmentés. Mais pour les Africaines (et Africains), ça ne l’est pas.
Que dire alors de ceux qui se font tatouer le corps ou de ceux qui
portent le piercing ? Des Massaïs qui percent leurs oreilles ?
A la recherche d’amour, gloire et beauté
D’ailleurs, les Africaines bicolores sont férues de magazines « people
». Dominique K., une jeune ivoirienne de 32 ans, assistante de
direction, ne s’en cache pas : « Je suis comme une actrice montant les
marches à Cannes ; j’ai besoin de ce que pensent les autres de mon
teint, mon corps, mes seins, mes rondeurs pour vivre. » Les yeux
fatigués par ‘’Amour’’, ‘’Gloire’’ et ‘’Beauté’’, elle passe des heures
au téléphone à ses heures perdues avec son amie, Fatima, une malienne
mariée à un congolais. Toutes deux ne parlent que des feuilletons et des
produits éclaircissants. Elles les font venir d’autres pays africains
et ils contiendraient des matières plus puissantes que l’hydroquinone.
Mais cela ne marche pas à tous les coups. Si le visage s’éclaircit
facilement, les orteils, les genoux, les coudes et les doigts, eux,
résistent en revanche au badigeonnage de la cortisone. Sur le plan de la
beauté, l’Europe réussit d’autant moins à ces femmes qu’elles y perdent
souvent la notion même de la ligne. Celles qui étaient des bombes en
Afrique, deviennent des calibres en Europe. Les bicolores, elles, se
réfugient dans les pantalons et chemisiers larges, pour masquer les
dégâts causés par la dépigmentation.
Une campagne de sensibilisation contre cette pratique ?
La police peut souvent faire des descentes dans les boutiques vendant
des crèmes de beauté pour saisir les produits qui détériorent la peau.
Il faut dire que l’Union européenne a interdit, dès l’année 2000, la
vente des produits contenant de l’hydroquinone. Et, en France, la vente
illicite de ces produits peut entraîner jusqu’à 1000 Euros d’amende et
une peine d’emprisonnement. Alors pourquoi ne pas faire comme la France ?
Les effets néfastes de cette pratique sur la peau
Le cancer est le premier danger de ces produits, hormis les brûlures et
la maladie du foie ou des reins. Badigeonner son corps, c’est comme si
on explosait un gisement d’or. Ceux ou celles qui sont friandes de ces
produits ne supportent pas la chaleur. Ils transpirent à tout bout de
champ et dégagent une odeur nauséabonde. Sans parler de la peau qui se
déchire avec l’apparition des vergetures. Et c’est bien dommage ! Il y a
des pratiques que même nos ancêtres, s’ils revenaient à la vie,
trouveraient caduques et dépassées. Une femme est décédée à
Yamoussoukro, à l’âge de 47 ans. Aux obsèques, son époux veuf a accusé
sa belle-famille de sorcellerie. Une bagarre a éclaté. Or, la défunte,
dès l’âge de 15 ans, était friande de cortisone et du sel de mercure :
elle est, en vérité, morte d’un cancer de la peau. C’est dire qu’on a
beau se dépigmenter, tôt ou tard, les séquelles se feront sentir.
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