Le Sénégal n'a pas besoin de se salir les mains en recevant un dictateur sur qui pèsent des crimes aussi atroces et abominables. L’analyse est du président de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme. Alioune Tine soutient dans cet entretien que les organisations de défense de droits de l’Homme conjurent le président de la République de ne pas recevoir Omar El Béchir en terre sénégalaise.
Wal Fadjri : En adressant une invitation au président Omar El Béchir du Soudan à prendre part au troisième Fesman, le Sénégal pose-t-il un acte inédit ?
Alioune TINE : Nous rappelons que le Sénégal est le premier pays au monde avec le président Abdou Diouf à avoir ratifié le statut de Rome de la Cour pénale internationale (Cpi) en février 1999, juste avant l'alternance. Le monde entier et même toutes les organisations internationales avaient donné un prix au gouvernement du Sénégal. Ce jour-là, c'est moi-même qui tenais le prix avec le ministre des Affaires étrangères de l'époque, Jacques Baudin. C'était une satisfaction immense et un moment important pour la diplomatie sénégalaise. Le gouvernement de l'alternance est le premier gouvernement du Sénégal à mettre en œuvre les dispositions de la Cpi. C'est ainsi que le Sénégal s'est doté d'une loi de compétence universelle. Une des meilleures au monde, dont cinq pays africains l'ont. Le Sénégal a donc des obligations internationales vis-à-vis de la Cpi. Inédit, oui. Nous lui conseillons de faire comme ses homologues. Lorsqu'il y a eu la conférence de révision de la Cpi en Ouganda, à Kampala, comme tous les présidents du monde, Yoweri Museveni a adressé une invitation au président El Béchir, mais lui a dit : ‘J'ai une obligation internationale vis-à-vis de la Cpi. Si vous venez, je me sentirai dans l'obligation de vous arrêter’.
Est-ce que c’est un cas isolé ?
Du tout. Il y a eu également la Coupe du monde en Afrique du Sud, le président Jacob Zuma qui a adressé une autre invitation au président El Béchir. Mais, il a dit à ce dernier : ‘J'ai des engagements internationaux vis-à-vis de la Cpi, donc si vous venez ici, je me sentirai dans l'obligation de coopérer avec la Cpi pour votre arrestation’. El Béchir n'est pas venu. Il semble que vis-à-vis de ces deux pays, les obligations internationales du Sénégal sont plus fortes pour avoir été le premier pays au monde à avoir ratifié le Statut de la Cpi. C'est pourquoi, nous invitons solennellement le président de la République à signifier, avec toute la courtoisie et toute la diplomatie requise, ses obligations internationales, à les décliner au président El Béchir pour qu'il ne vienne pas.
Sur quoi se fonde le ministre de la Justice pour dire que le Sénégal n’exécuterait pas, lors du Fesman, le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale à l’encontre du président soudanais ?
Je n'ai pas à commenter cette sortie du ministre de la Justice. Mais, je voudrais donner des recommandations. Si jamais, on accepte que le président Omar El Béchir vienne au Sénégal, cela sera un scandale qui va déteindre sur le Festival mondial des arts nègres de façon globale. Aussi bien au plan national qu'au plan international, toute la campagne qui va être menée par les organisations internationales, par les organisations démocratiques, de la société civile feront que la communication du Fesman va se focaliser beaucoup plus sur Omar El Béchir, sa venue, ses scandales qu'autre chose. Le Sénégal n'a pas besoin d’être encore indexé par le monde entier pour faire un défi qui n'est pas du tout opportun. C'est un défi totalement risqué. C'est un défi qui va mettre au second plan tous les objectifs visés par le Fesman.
Cela pourrait donc avoir un impact négatif sur ce rendez-vous de la culture noire…
A l'heure qu'il est, le Sénégal doit travailler à ne pas dévaloriser le Fesman par un président qui est accusé de crimes très graves. Ce sont des crimes contre l'humanité et de génocide. Nous avons des relations tout à fait privilégiées avec le Darfour. Des liens de solidarité fondés sur la spiritualité qu'aucun pays africain n'a. Nous n'avons pas besoin d'un scandale au Sénégal. Le Sénégal n'a pas besoin de se salir les mains en recevant un dictateur sur qui pèsent des crimes aussi atroces et abominables. Nous conjurons le président de la République de ne pas recevoir Omar El Béchir en terre sénégalaise.
Que répondez-vous aux allégations selon lesquelles, la Cpi ne viserait que des dirigeants de pays africains ?
Notre point faible en Afrique, notre ventre mou, ce sont justement les institutions judiciaires. Elles ne suivent pas. Nous n'avons pas des tribunaux capables de juger les élites politiques africaines. Nous n'avons pas de tribunaux capables de juger les élites militaires en Afrique. Et selon l'article 16 du Statut de la Cpi relatif au principe de complémentarité, ou tu juges, ou c'est la Cpi qui juge. Si les autres prennent la responsabilité de juger leurs responsables militaires ou politiques, il n’y a aucun problème. Tous les jours, vous voyez des instructions qui sont ouvertes contre des présidents, des ministres, d'anciens présidents de la République. En France, il y a eu le cas Jacques Chirac. Combien de procès y a-t-il eu contre l'ancien président Chirac où les gens sont libres d'ouvrir les instructions ?
Peut-on dire que l’Afrique devra aussi relever le défi de juger ses fils qui ont commis des fautes ?
Il faut que l'Afrique, petit à petit, commence à juger ses délinquants à col blanc. Si on y arrive, il n'y a aucun problème. Et puis, il ne faut pas confondre les responsabilités du tribunal pénal international et du Conseil de sécurité des Nations unies. Je rappelle que c'est le Conseil de sécurité qui a introduit la plainte contre le président El Béchir. Et, parmi les Etats membres du Conseil de sécurité des Nations unies, il y a l'Afrique qui, elle, veut avoir une place permanente au sein de ce Conseil de sécurité.
6 Commentaires
Boys
En Novembre, 2010 (15:16 PM)Door
En Novembre, 2010 (15:17 PM)Ok
En Novembre, 2010 (15:20 PM)Ama
En Novembre, 2010 (15:33 PM)Kifpas
En Novembre, 2010 (18:35 PM)Njaccaar
En Novembre, 2010 (23:28 PM)Participer à la Discussion