M. Seybani Sougou avait
soutenu avec beaucoup de confusions et d’amalgames que la non-publication au Journal
officiel du décret portant nomination du président du Conseil constitutionnel
rendait ledit décret inexistant et la nomination illégale et invalide. Sollicité
par les médias afin d’apporter un éclairage scientifique sur la question, j’ai
eu à accorder des interviews à iRadio
et au quotidien Le Soleilpour
démontrer, sur la base du droit positif sénégalais, que l’acte de nomination du président du Conseil
constitutionnel n’est ni illégal ni invalide ni inexistant.
M. Seybani Sougou a réagi
à ces entretiens, non pas pour déconstruire mes arguments parce qu’il n’en a
pas les moyens, mais plutôt pour entretenir une autre confusion. Il a en effet
quitté le terrain de la nullité, de l’invalidité et de l’inexistence où il
s’était aventuré sans précaution pour emprunter un raccourci : celui de l’inopposabilité,
plus logique par rapport à la problématique qu’il agite.
Il est loisible de noter
que M. Seybani Sougou ne se contente plus de raisonner à partir de rien, mais
prend la précaution de se référer à la loi applicable comme nous le lui
conseillions dans nos différentes interventions médiatiques.
Un problème subsiste cependant
dans sa démarche intellectuelle et nous oblige à lui rappeler quelques règles
de base de l’argumentation juridique. Une bonne argumentation doit, en effet,
être contrainte par deux exigences : les prémisses énoncées doivent être
vraies et leur articulation cohérente, afin que les conclusions qui en
découlent, soient valides. Pour ce faire, il faut de la rigueur et de l’honnêteté
intellectuelle, toutes choses qui semblent faire défaut à M. Seybani Sougou. En
outre, il faut une bonne maitrise des concepts qu’on agite.
Le problème avec M. Seybani
Sougou, c’est qu’il donne aux concepts un sens qu’ils n’ont pas et tire de ses
raisonnements des conclusions qui ne s’ensuivent pas.
Dans la première partie
de sa contribution mise en ligne le 27 septembre dernier par le site
xalimasn.com et intitulée « Loi de 1970 : Un acte administratif individuel
n’est opposable aux tiers que du jour où ceux-ci en ont officiellement
connaissance », M. Seybani Sougou pose et défend un principe que je n’ai
point contesté, à savoir que « l’acte administratif doit faire l’objet de
mesure de publicité ». Cependant, dès
le début de son argumentation, Seybani Sougou donne une définition
fausse de la notion de publicité en la ramenant à la seule publication de
l’acte au Journal officiel. Il pousse l’outrecuidance jusqu’à défendre non
seulement que les actes administratifs, qu’ils soient règlementaires ou
individuels, sont soumis aux mêmes règles en matière de publicité, mais aussi
que la notification n’est pas un mode de publicité. Une telle confusion,
qu’elle procède de l’ignorance ou de la mauvaise foi, est inadmissible pour un
juriste, qui plus estdonneur de leçon et croit avoir la science infuse.
J’ai pourtant expliqué ,
à travers mes interventions dans les médias, qu’au Sénégal, le régime de
publicité des actes administratifs est défini par la loi n°70-14 du 6 février 1970 fixant les règles
d’applicabilité des lois, des actes administratifs à caractère règlementaire et
des actes administratifs à caractère individuel, modifiée, dont M. Seybani Sougou
ignorait l’existence parce que ne l’ayant jamais citée dans ses précédentes
contributions sur la question.
Parailleurs, M. Seybani Sougou
a du mal à se départir du droit français et des principes dégagés par son juge
pour apprécier une situation qui relève du droit sénégalais. C’est à peine s’il
ne nous invite pas à oublier nos lois et à arrêter de penser, puisque là-bas,
ils ont déjà « tout pensé ». Il cite la publication du décret de nomination
de M. Laurent Fabius, Président du Conseil Constitutionnel de la France et l’arrêt du Conseil
d’État du 27 mars 2019. Au Sénégal, le texte de référence en matière de
publicité des actes administratifs reste la loin°70-14 du 6 février 1970.
Si M. Sougou avait été un bon étudiant, il se serait souvenu sans doute des
cours de droit dans lesquels il est enseigné que chaque État a un système
normatif qui lui est propre. Une règle de base que tout juriste devrait
maîtriser. Ainsi,le Sénégal, qui est un État souverain et indépendant, aun
système normatif autonome et distinct du système français. Le juriste, qu’il prétend
être, devrait savoir qu’il est interdit en droit de distinguer là où la loi ne
distingue pas et qu’un texte clair ne s’interprète pas.
Pour justifier ses
références systématiques à la France, M. Seybani Sougou soutient sans ciller
que la Constitution du Sénégal est une copie de celle de la France. Même en lui
concédant ceraccourci,au demeurant historiquement et juridiquement inexact, il
reste que le régime des actes de nomination des présidents des Conseils
constitutionnels des deux pays n’est pas défini par leur Constitution
respective, mais par des lois propres à chacun d’eux
Dans la deuxième partie
de son raisonnement, M. Seybani Sougou, embourbé dans le terrain de l’illégalité,
a cherché à se rattraper sur celui de l’opposabilité, notion qu’il n’a jamais mentionnée
auparavant, sans doute parce qu’il en ignorait l’existence avant d’avoir pris
connaissance de nos explications dans les médias.
M. Seybani Sougou n’a,
visiblement, pas pris le temps d’en assimiler la signification puisqu’il
confond manifestement « opposabilité » et « applicabilité ».
Ce manque de rigueur le conduit à des affirmations absurdes ou contradictoires
telles que : « pour être applicables aux tiers, (…) les actes
individuels doivent faire l’objet de publicité ». Un acte individuel n’est
applicable qu’à l’intéressé et non aux tiers. Peut-on appliquer l’acte de
nomination du Président du Conseil constitutionnel à une tierce personne ?
Par rapport aux tiers, on parle d’opposabilité. Les deux notions ne se
confondent pas puisqu’un acte administratif individuel est applicable dès qu’il
devient exécutoire, c’est-à-dire à compter de sa notification (article 5 de la
loi de 1970). Il n’est cependant opposable aux tiers qu’au jour où ces derniers
en ont pris connaissance. C’est donc ajouter à la loi que d’induire de cette
affirmation une « obligation légale » de publication au Journal
officiel. Malgré l’absence de publication au Journal officiel de l’acte de
nomination du Président du Conseil constitutionnel, M. Sougou peut-il affirmer
qu’il n’a pas « pris connaissance » de cette nomination ? En droit
administratif, c’est ce qu’on appelle « la théorie de la connaissance acquise ».
Même si, raisonnant par
l’absurde, on concédait à M. Sougou tous
ses présupposés dont nous venons pourtant de démontrer le caractère erroné, il devra
encore nous expliquer par quelle alchimie il parvient à conclure que l’inopposabilité
« entache l’acte d’illégalité » (sic) après avoir affirmé lui-même
que l’absence de publicité a pour effet de permettre aux tiers d’exercer des
voies de recours.
Comme M. Sougou aime la
France, son droit et sa jurisprudence, je tiens à porter à sa connaissance une
solution dégagée par le Conseil d’État selon laquelle « les décisions favorables à leur destinataire
entrent en vigueur dès leur signature alors que celles défavorables à leur
destinataire n’entrent en vigueur et ne sont opposables que lorsqu’elles ont
été notifiées » (CE, sect., 29 déc. 1952, Delle Mattéi, Lebon
p. 594).
Le Sénégal, contrairement
à la France, n’a pas encore de dispositions législatives ou réglementaires qui
obligent les pouvoirs publics à publier les actes individuelsauJournal
officiel. Je maintiens que la publication des actes individuels est faite à
titre d’information.
S’agissant de la mention
« le présent décret sera publié au journal officiel » qui, selon lui
figure sur tous les décrets, M. Seybani Sougou devrait savoir qu’il s’agit là,
de ce qu’en droit, on appelle « une clause de style » : son
absence dans un acte administratif règlementaire ne dispenserait pas
l’Administration de l’obligation légale d’avoir à y procéder, pas plus que sa
présence sur un acte individuel ne crée une obligation légale d’y
procéder ; en effet, l’acte administratif ne définit pas lui-même son
propre régime juridique.
M. Seybani Sougou devra bien
comprendre un jour que « [le Droit] est comme la
Russie : pleine de marécages et souvent envahie par les Allemands ».
Cette paraphrase de la célèbre formule de Roger Nimier, à propos de la
philosophie, est une invite fraternelle à l’humilité et à plus de rigueur dans
l’analyse, afin que le Droit reste une science.
Dr Nfally CAMARA
Enseignant-chercheur
Faculté des
Sciences juridiques et politiques
Université Cheikh
Anta Diop de Dakar
9 Commentaires
Restons courtois et vigoureux. Sinon, tout est superflu.
Dans un Etat organisé et responsable, la dénonciation de l'inexistence publique du decret de reconduction de Mr Sakho devait recevoir une réponse simple : un communiqué du conseil constitutionnel ou de la présidence ou du sécrétariat général pour dire ce qu'il en est. Le plus simple étant de publier le decret. Mais tout cela n'a pas été fait. Donc raisonnablement, un citoyen est plus porté à croire que Mr Seybani à raison plutôt que l'inverse.
C'est cela qui est important. Répondre à l'interpellation citoyenne justifiée d'un citoyen, reprise par Mr Abdoul Mbaye. Et non une polémique sans queue ni tête dont l'objet est plus de chercher à ridiculiser qu'à répondre à la question simple : Ou est le décret de nomination de Mr Sakho Président du conseil constitutionnel ? S'il n'est pas présent dans le journal officiel, c'est déjà un problème. S'il a été pris et notifié à l’intéressé, publiez le décret. Cela aussi c'est de la transparence et de la reddition élémentaire.
Juste en passant.
Salimto
En Octobre, 2019 (20:23 PM)Meissa Paris
En Octobre, 2019 (20:34 PM)Kine
En Octobre, 2019 (20:37 PM)Albert Ndiago
En Octobre, 2019 (20:51 PM)Keyti
En Octobre, 2019 (21:43 PM)Mais titre déplacé et ton un peu trop méprisant à mon goût,quoique assumé par l'auteur.
J'avais appris que l'humilité était de mise dans une joute entre juristes comme le montre à l'envi des décennies de débats entre praticiens. L'auteur lui-même pourrait avoir tort sur certains points, sans que cela enlève à la qualité de sa contribution
Baye
En Octobre, 2019 (11:12 AM)Participer à la Discussion