La rue, dernier recours pour la jeunesse de résister, s’émanciper et réclamer la justice sociale
Le Sénégal incarne en Afrique de l’Ouest, la stabilité et la sécurité, avec des institutions traditionnellement ancrées dans la démocratie et l’ouverture au monde. Ce pays, où il fait bon vivre alliant traditions et une certaine modernité impulsée par des élites intellectuelles et un système éducatif qui attire aussi bien les étudiants d’Afrique que ceux du Maghreb.
Un pays dynamique
Cette réputation positive a permis à ce petit pays d’Afrique de l’Ouest de sortir du lot en matière de stabilité institutionnelle. Et pour preuve, bon nombre de pays et d’organisations internationales telles que Nations Unies ont fait le choix d’installer leurs sièges et ambassade au Sénégal.
L’ouverture du peuple sénégalais au monde, ainsi que son tempérament de peuple accueillant et de paix a fait du Sénégal une terre d’accueil pour des centaines de milliers de réfugiés politiques africains. Sa diplomatie jugée crédible et son leadership sur les grandes questions de développement ont fait du cette nation, le premier pays de concentration de plusieurs programmes de coopération des pays occidentaux, du Moyen Orient et d’Asie. A titre indicatif, le Sénégal, tout petit pays africain qu’il soit, est, depuis 1960, le septième plus grand contributeur aux missions de paix des Nations-Unies, dans le Monde.
Les alternances politiques successives qui se sont faites, toutes, de façon démocratique et le comportement professionnel et régalien des Forces armées nationales renforcent l’idée selon laquelle, le Sénégal est le noyau stable de la région Ouest africaine.
Ce noyau va-t-il résister à la colère populaire de son peuple ?
C’est ce noyau de stabilité semble être, à sont tour, secoué et déstabilisé par des émeutes, occasionnées par l’arrestation d’un opposant politique. Et pourquoi donc ?
Les sources du mal
Aujourd’hui 70% de la population sénégalaise a moins de 30 ans. Ces jeunes, dont beaucoup sont diplômés, vivent dans la pauvreté et affrontent le chômage chronique. Ils deviennent d'autant plus vulnérables que marginalisés, et ils sont des milliers chaque année à emprunter le chemin de la mer au péril de leurs vies pour conquérir l’eldorado européen.
Ce désespoir tragique est imputable à l’incompétence de la classe politique dirigeante, qui d’alternance en alternance, démontre à chaque fois son incapacité à relever le défi du développement. Une classe politique qui est quasiment la même depuis 60 ans puisqu’elle transhume de régime en régime malgré les alternances annoncées et qui étaient sensées amener des ruptures. Le cas le plus illustratif de cette transhumance successive est celui de Moustapha Niasse, actuel Président de l’Assemblée nationale sous le règne du Président Macky Sall, qui, autrefois fut le directeur de Cabinet du Président Senghor, ministre des affaires étrangères du Président Abdou Diouf et Premier Ministre sous le Président Abdoulaye Wade.
Les alternances piégées
Ainsi, le peuple qui a été abusé et trahi à toutes les alternances ne croit plus à la classe politique classique. Ce sentiment de trahison profite au succès et à la popularité de l’opposant politique Ousmane Sonko qui incarne cette jeunesse et l’antisystème au point de déclarer que tous ces politiciens méritent d’être fusillés. Les jeunes qui n’ont plus rien à perdre et qui, avec l’Internet et les réseaux sociaux peuvent mieux s’informer, se mobiliser et se battre pour changer le système ont décidé d’en découdre avec le régime en place.
Quelques soient donc les alternatives de changements de gouvernance que le Président Macky Sall pourrait proposer, la jeunesse sénégalaise ne veut plus rien savoir des politiciens professionnels. Ce qui renforce l’opposant Ousmane Sonko, qui incarne un leadership qui correspondrait à ce que les jeunes, à tort ou à raison, veulent voir émerger. C’est pourquoi, toute initiative de l’Etat qui leur semble aller dans le sens d’un affaiblissement de la force d’attraction de Sonko est fortement combattue. Si, en plus, cela arrive coïncide avec cette période de crise sanitaire liée au Covid-19, qui a engendré une perte de revenus chez la majorité des jeunes sénégalais, avec son lot de restrictions drastiques des libertés à cause notamment du couvre-feu, la contestation publique de l’arrestation de Sonko devient, alors le déversoir de toutes les frustrations cumulées, depuis très longtemps.
La gouvernance problématique
La question centrale qui se pose est l’amélioration de la gouvernance. Les régimes successifs au Sénégal comme en Afrique de l’Ouest sont marqués par une caporalisation du bien public par une caste de politiciens sans compétence particulière, qui nomme aux postes de responsabilité des courtisans, sans aucun pedigree, et sans obligation de résultats ni de rendre des comptes. Quelques soient les progrès qu’on peut constater par ci ou par-là, les gens ne voient nulle part le décollage et ne sentent pas de progrès social ou humain à leur endroit. Le pire est que, rien dans les politiques publiques en cours ne tienne compte du fait que l’immense majorité de la population à moins de 30. Rien ne permet d’entrevoir, dans un monde si ouvert, que nos dirigeants soient à la hauteur des enjeux auxquels le Monde et l’Afrique sont confrontés. C’est ce qui fait que les jeunes, plus conscients aujourd’hui qu’hier et mieux outillés pour se mobiliser et défendre leurs points de vue grâce aux réseaux sociaux. Ils ne sont plus impressionnés par la classe dirigeante ni par les vertus du comportement républicain. Pour eux, vouloir les amener à faire la bataille politique à l’intérieur du cadre institutionnel, républicain, serait une façon de les enfermer dans le cadre légal tracé par le pouvoir, jugé illégitime, qu’ils combattent.
Renforcer la gouvernance du futur pour mieux canaliser les jeunes
Le grand défi du Sénégal, s’il veut maintenir son leadership en tant que noyau stable de l’Afrique de l’Ouest, serait d’ajouter à sa stabilité une gouvernance qui soit de nature à préserver et à renforcer les acquis démocratiques, sans quoi ce sursaut de révolte et de résistance des jeunes sénégalais pourrait entrainer une remise en cause sans précédent de tous les acquis démocratiques et institutionnels.
De deux choses l’une : soit le Sénégal adopte une nouvelle gouvernance qui puisse s’appuyer sur les valeurs qui constituent les fondements de tous les progrès humains, à savoir la valorisation du capital humain de cette jeunesse, l’intégrité dans la gestion des affaires publiques, la distribution des richesses par le travail et le mérite, ainsi que le respect et la préservation de l’intérêt général. A défaut d’un changement de mode de gouvernance, le statut quo actuel pourrait précipiter la chute du mythe du noyau stable de l’Afrique de l’Ouest, qui comme une déferlante, fera tomber ce qui reste de digues de stabilité en Afrique de l’Ouest.
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