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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
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[ Opinion ] Pleure notre Sénégal bien aimé par Me Jacques Baudin

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[ Opinion ] Pleure notre Sénégal bien aimé par Me Jacques Baudin

Lorsqu’en 2000, les Sénégalais ont majoritairement opté pour l’alternance politique, à l’occasion d’élections libres et transparentes, je ressentais certes un regret pour la perte du pouvoir de mon parti, le Ps, et le départ de la scène politique sénégalaise de son président sortant, Abdou Diouf, mais je ne pouvais m’empêcher d’être quelque part fier de notre pays et du peuple sénégalais, qui avait montré au monde entier un exemple de démocratie africaine.
Grâce à «cette exception sénégalaise» du moment, notre pays était souvent cité comme «le phare africain de la démocratie», motif pris que ce transfert de pouvoir était exemplaire. L’Afrique tout entière avait gagné, aux yeux de tous, un pari : oui, nous Africains, nous sommes capables d’assurer une alternance politique sans affrontements sanglants, dans le respect des règles démocratiques. Ainsi, le peuple sénégalais a su  faire apprécier son génie créateur et son originalité. Aussi, la défaite électorale du Parti socialiste est-elle devenue pour le peuple sénégalais, épris de démocratie et de liberté, une victoire politique dans toute l’acception du terme.
Dès lors, malgré un certain sentiment d’amertume, nous acceptions le verdict des urnes, car si ensemble avec les militants et les responsables du Ps, nous nous sentions – et que l’on nous pardonne cette faiblesse - quelque part incompris, voire abandonnés, par ceux que nous avions servis ou essayé de servir de notre mieux dans des conditions pas toujours faciles, pour ne pas dire extrêmement difficiles, notamment dans un environnement sans état d’âme d’ajustement structurel, nous nous disions que finalement, c’était le pouvoir socialiste, qui, profondément attaché aux valeurs de la démocratie, avait mis en place l’ordonnancement juridique qui a permis l’alternance. Ainsi, les responsables du pouvoir socialiste ont soutenu des principes qui s’opposaient à leurs intérêts politiques, car ils n’ont pas pu résister au courage de s’engager dans cette voie pour assurer la liberté au peuple sénégalais, son indépendance et sa dignité. Aussi, ont-ils mis en place les bases nécessaires pour consolider la démocratie : le multipartisme intégral, les radios libres, le respect de la liberté de parole et d’association, le non-recours à des tripatouillages électoraux et la recherche, avec toutes les parties concernées, d’un consensus positif devant garantir des élections non-contestées. Ces principes fondamentaux nous sont tellement chers que rien, et certainement pas la volonté de nous maintenir au pouvoir ou de le réacquérir, n’aurait pu et ne pourra jamais nous les faire renier, même si certains soutiennent que le reniement est le principe actif de la victoire en politique.
Alors,  ceux des socialistes, qui sont restés fidèles à leurs idéaux,  se sont inscrits dans ce qui leur semblait être la meilleure voie à suivre dans le respect du verdict des urnes : l’opposition républicaine. Respectant la volonté de la majorité du peuple sénégalais, nous voulions donner au président de la République, nouvellement élu, et à son gouvernement l’opportunité, et le temps, de démontrer qu’ils pouvaient faire mieux que nous dans l’intérêt des Sénégalais, tout en nous réservant le droit d’apporter des contre-propositions, voire de critiquer objectivement certaines de leurs décisions ou de rappeler les acquis du passé. Ayant dû faire face, alors que nous étions au pouvoir, à des manifestations violentes, nous avons toujours voulu éviter ce genre de débordements, qui ne font que causer chagrin, désolation et meurtrissures dans le cœur des humbles citoyens. Peut-on, pour cela, nous accuser de mollesse ou d’être des pleutres ? Une opposition, pour qu’elle soit crédible, doit-elle nécessairement pousser ses militants à des affrontements sanglants afin de conquérir ou de reconquérir le pouvoir ? Ce n’est pas notre option de démocrates convaincus.
Tant que ce sera possible, nous privilégierions le dialogue sans condescendance ni servilité ou esprit d’entrisme. Cette démarche nous permettra d’éviter des affrontements de rue dont personne, sauf la Pythie de Delphes,  ne peut prévoir l’issue, ni les dégâts qu’ils pourraient causer. Mais à l’impossible, nul n’est tenu et le dialogue, auquel nous appelons de toutes nos forces, ne peut se faire que dans le respect de toutes les parties concernées, ce qui implique l’équité, et non l’égalité. Ce qui suppose que l’on ne mette pas les parties concernées devant des faits accomplis et que l’on respecte les décisions prises d’un commun accord.
Aujourd’hui, l’on peut dire, sans dépasser les bornes de l’outrecuidance, que nos valeurs républicaines sont en danger. L’impunité et la violence s’installent et veulent s’accrocher à une pérennité ; des droits, pourtant inscrits dans notre nouvelle Constitution, ne sont pas respectés. Face à cette triste réalité, nous restons interdits. Les Sénégalais doivent-ils être réduits à n’opposer à cette situation que ce qui reste à l’homme contre l’injustice du pouvoir : la patience à souffrir ? Question pertinente, car une défiance excessive et sourde à tout raisonnement est toujours prête à dicter les résolutions les plus étranges. Il faut éviter en conséquence de donner au peuple l’once d’un prétexte.
Pleure notre Sénégal bien-aimé si cela peut te soulager ; tes droits sont si évidents, tes réclamations si simples et si légitimes et l’inaction du gouvernement si irrégulière et sa démarche si incertaine qu’il est aisé de te comprendre et de te soutenir. Il est vrai que le peuple est très loin de connaître le système de ses droits et la saine théorie de la liberté. Toi, peuple vaillant du Sénégal, tu ne veux que des soulagements ; tu ne peux plus respirer sous la pesanteur du faix qu’on t’impose. Malgré cette situation tu acceptes de payer ce que tu peux et de porter paisiblement et dignement ta misère. Somme toute, comme ton attitude le fait croire, tu veux te confier à cette providence éternelle  qui veille sur les peuples ; avec nous, démocrates du Sénégal, elle te remettra sur la voie lactée afin que tu puisses retrouver le chemin du bonheur, de l’indépendance, de la liberté et de la dignité et tu seras à nouveau fier d’être un peuple où tout le monde à la pleine conscience d’être animé par cette volonté de vivre en commun l’avènement d’un avenir meilleur, afin de redonner au Sénégal la place qui est la sienne dans la communauté internationale.  
Aujourd’hui, de plus en plus, des Sénégalais subissent les dures réalités d’un régime insensible. Aussi, sont-ils fatigués. Ils sont fatigués des délestages, du manque d’eau, de la pénurie de riz, de gaz, de gasoil, de pétrole ; ils sont fatigués de la flambée des prix des denrées alimentaires de première nécessité. Certes, ils savent que leur pays est confronté à un phénomène mondial et, très patients et très indulgents, ils pourraient avoir une certaine compréhension pour les difficultés de gestion auxquels sont confrontés leurs gouvernants. Mais ce qu’ils acceptent difficilement, c’est l’abondance des uns et la misère des autres, l’impunité des uns et les poursuites pénales inconsidérées des autres. Ce qu’ils acceptent difficilement, c’est l’improvisation dont fait preuve le pouvoir, qui, pour les aider à venir au bout de leur peine, annonce régulièrement des plans ambitieux, qui laissent pantois plus d’un, mais qui, jusqu’à preuve du contraire, n’ont jamais réussi. Les promesses, ils n’y croient plus, même si la bonne volonté y est ; d’ailleurs, ils ne les entendent même plus, car selon un adage bien approprié : ventre vide n’a point d’oreilles.
Ce qu’ils n’acceptent pas non plus, c’est la légèreté avec laquelle le pouvoir en place gère les deniers de la République ; les récents débordements budgétaires, dénoncés d’abord par nos bailleurs de fonds avant de faire l’objet d’une demande d’éclaircissements au niveau du Conseil des ministres, en sont une preuve incontestable.
Tenter de museler la presse, afin qu’elle ne puisse sonner le tocsin pour dénoncer certaines situations,  n’y changera rien. Le constat de la gravité de la situation n’est pas le  fait de la presse ; il est ressenti au jour le jour par la grande majorité de nos concitoyens.
Il est impératif de retenir, pour paraphraser Corneille, que le cœur des Sénégalais, désespéré de tant de promesses non-tenues, ne peut plus de son sort souffrir l’incertitude. Les gouvernants, peuvent-ils ignorer qu’ils doivent verser dans le cœur des Sénégalais inquiets le baume adoucissant de l’espérance et les apaiser avec la puissance de la persuasion et de la raison ?
Alors, parce que j’aime «notre Sénégal bien aimé» - et je ne suis pas le seul - et parce que je ne voudrais jamais le voir «pleurer sans répit» -et je ne suis pas le seul-, je m’associe à tous ceux qui veulent encore lancer un appel au dialogue entre l’opposition et le pouvoir, entre les responsables politiques, la société civile et les organisations socioprofessionnelles, entre les femmes, les hommes et les jeunes sénégalais de bonne volonté, et ils sont nombreux. L’heure est grave et ceux qui refusent de le reconnaître par cécité ou surdité volontaires seront seuls comptables des conséquences de leur infirmité planifiée.
Il est vrai que quand un peuple est opprimé ceux qui ont la charge de ses intérêts vitaux sont proscrits ; cela est d’autant plus vrai dans la mesure où l’alternance de 2000 n’a fait qu’amollir les espoirs des Sénégalais pour leur assurer un mieux-être. Aussi, faut-il chercher à mettre en place une République qui, selon Saint Juste, et j’adhère à sa définition, serait une «confédération sainte» d’hommes qui se reconnaissent semblables et fiers, d’hommes égaux, indépendants et sages, ne reconnaissant de maître que la loi émanée de la volonté générale librement exprimée par les représentants de la République entière. Dès lors, acceptons tous ensembles l’esprit et la lettre des Assises nationales qui ne sont rien d’autre qu’une contribution citoyenne à une sortie de la crise que notre pays affronte et doit résoudre. Une réflexion commune ne peut que nous être bénéfique et nous préserver de lendemains qui ne chanteront pas et qui ne connaîtront pas d’apothéose.

Me Jacques BAUDIN - Secrétaire national du Ps aux Relations extérieures et à l’Intégration africaine
     
1 Paraphrase du titre du livre du sud-africain Alan Patton Cry my beloved country, (Pleure mon pays bien aimé)



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