Le 24 mars 2024 est venu sacraliser la troisième alternance de l’histoire politique du Sénégal en ayant parmi ses objectifs la création et la réalisation des conditions d’une rupture systémique ou transformation systémique dont notre pays a urgemment besoin. Les alternances des 19 et 25 mars respectivement de 2000 et 2012 nous font rappeler la légende de l’empereur romain qui, ayant à juger un concours opposant deux chanteurs, n’écouta que le premier et attribua le prix au second, supposant qu’il ne pouvait pas être pire. Le peuple sénégalais a, lors de ces deux premières alternances, plus sanctionné les turpitudes des pouvoirs précédents que la recherche de rupture ou de transformation systémique, ce qui est loin d’être une forme de décision optimale. La population sénégalaise a adhéré en masse aux thématiques développées par les nouveaux dirigeants politiques axées sur les questions de souveraineté et de lutte contre l’inefficacité et l’inefficience des politiques publiques.
La révolution démocratique survenue le 24 mars 2024 annonciatrice de rupture systémique devrait être d’abord économique , ensuite sociale et enfin politique. En effet, l’urgence ne se trouve pas dans la réforme des institutions judiciaires ou politiques, mais plutôt dans la recherche de solutions au décalage qui existe entre la démocratie économique et la démocratie politique dans la société sénégalaise. La sphère économique exige un changement radical voire une interruption complète du système existant en remettant en question les bases et les structures fondamentales du développement économique et social. La destruction créatrice attendue implique un changement de paradigmes, la croyance à de nouvelles valeurs. Il est important de se poser les questions fondamentales suivantes : Le regroupement de plusieurs ministères sectoriels est-il cohérent ? quelles sont les forces et faiblesses de l’actuelle configuration gouvernementale ? la composition du nouveau gouvernement est-elle adaptée pour inscrire l’économie sénégalaise dans une dynamique de haute et durable période de croissance ? Un nouvel espoir est né, il est réaliste et réalisable. Il suffit de se donner les moyens d’y parvenir en créant un cadre robuste de FORCE DE PROPOSITION matérialisée par un cadre stratégique programmatique face à la communauté internationale .
LE TEMPS DE L’ÉCONOMIQUE N’EST PAS LE TEMPS DU POLITIQUE. L’excès de politique auquel nous avons assisté à travers la recherche quoique cela coûte pour se maintenir au pouvoir a longtemps hypothéqué le développement économique et social du Sénégal. Cela s’est accentué dans les années 2000, date à partir de laquelle la politisation outrancière de l’administration, notamment de l’administration centrale, a poussé à l’adoption de politiques publiques inefficaces et inefficientes. Les décideurs politiques de l’État ont plus poursuivi leur intérêt propre ou celui de leur classe sociale puisqu’étant en permanence confrontés à des contraintes politiques telles que les dates et modes d’élection. L’économie de distribution issue de ce modèle s’est réservée la possibilité d’une discrimination entre les différentes catégories de gens. A cet effet, l’intervention de l’État est devenue partiale et arbitraire en créant des biais dans l’allocation des ressources. La distribution n’a jamais bénéficié aux plus faibles mais à ceux qui ont été capables de créer un groupe d’influence pour que les interventions de l’État leur soient profitables. L’orientation et la gestion des ressources rares n’ont jamais été une préoccupation majeure dans la décision publique. Pourtant l’administration a eu à développer des outils et instruments avec des procédés et techniques avérés permettant de pouvoir effectuer les meilleurs choix en matière d’aide à la prise de décision. Or il était coutumier des faits de retenir dans les critères de sélection des actions publiques, les projets et programmes du Président de la République même si ces derniers dégageaient des taux de rentabilité économique se situant en deçà des taux d’actualisation de la période de programmation. Les choix économiques issus d’une mauvaise allocation des ressources participent, également, à un mauvais profil d’endettement. Si la corruption constitue une véritable cause de surcoût, la mauvaise allocation des ressources l’est davantage.
Le modèle de développement économique de notre pays reste caractérisé par une extrême sensibilité de la croissance aux variations de la production et des exportations limitées à quelques produits, une utilisation improductive et une mauvaise allocation des ressources, et enfin une faible densification de la sphère productive. Les problèmes de productivité et de production par-delà de croissance continuent ainsi de traverser le processus de développement du Sénégal. Est-il donc judicieux, face à de telles problématiques économiques, de reconduire aujourd’hui les architectures gouvernementales des régimes qui se sont succédés et ayant mené, en partie, aux résultats économiques actuels ? La forme d’éclatement, de dispersion et de cloisonnement des structures administratives s’occupant des missions relevant de l’économie doit être déconstruite pour aller vers une organisation gouvernementale pouvant créer les conditions de maximisation voire d’optimisation de la productivité et de la production.
À effet, l’approche agronomique du développement agricole qui a prévalu depuis le lendemain des indépendances jusqu’à nos jours a montré ses limites. Cette approche a conduit à la mise en place de stratégies efficaces de captation des ressources par des lobbies (bénéficiaires de quotas de semences, d’engrais…) et d’une agriculture à faible productivité. Le problème de l’agriculture sénégalaise demeure encore plus ÉCONOMIQUE qu’agronomique.
Quelle valeur ajoutée peut-on attendre du regroupement d’une part de l’INDUSTRIE et du COMMERCE et d’autre part des INFRASTRUCTURES et des TRANSPORTS TERRESTRES et AÉRIENS ? Le présent couplage de l’INDUSTRIE et du COMMERCE ne semble pas être conçu dans la même logique que celle du MITI du Japon. Il s’oriente plus vers la recherche de solution aux entraves commerciales qui se présentent pour l’écoulement des produits industriels sénégalais. Or ces derniers, non seulement sont peu diversifiés mais également peu sophistiqués. Le Sénégal n’arrive pas à capter les produits bas de gamme des chaînes de valeurs mondiales délaissées par la Chine, faute de compétitivité. La faible attractivité de l’économie constitue un frein pour l’industrie sénégalaise qui est plus confrontée à un problème de recapitalisation, de capitalisation, de capital humain pour faire face à l’innovation et à l’adaptation technologique. Le problème de l’INDUSTRIE sénégalaise est plus ÉCONOMIQUE que commercial.
L’option consistant à rapprocher les infrastructures aux transports terrestres et aériens est une forme de politique infrastructurelle initiée depuis la fin des années 90 à travers le Programme d’Ajustement sectoriel des transports (PAST) et dont l’objectif était plus axé sur la circulation des personnes et la mobilité urbaine (surtout à Dakar). Elle est loin de faciliter la résolution des problèmes liés à l’accroissement de la productivité et de la production de l’économie sénégalaise. La faiblesse des infrastructures économiques continue de constituer un obstacle important à l’expansion de l’offre de production (agricole et industrielle). La transformation économique et sociale attendue exige d’aborder les problèmes infrastructurels de l’économie dans toute sa globalité afin de créer l’écosystème susceptible d’accroitre sensiblement la productivité et la production. Pour cela il s’agira de repenser l’approche des infrastructures en leur imprimant une dynamique plus économique et les faire porter par une seule et unique entité.
La création d’un côté du MINISTÈRE de l’économie, du plan et de la coopération (MEPC) et de l’autre côté du MINISTÈRE des finances et du budget (MFB) ne plaide pas pour créer les conditions d’une croissance économique forte et de meilleure qualité. Pourquoi ? En cédant sa souveraineté monétaire à l’UMOA, le Sénégal ne dispose que de l’instrument budgétaire et des réformes pour mener à bien sa politique économique à court et moyen terme. Entre le MEPC et MFB, à qui incombe-t-il de prendre en charge la politique économique ? La lecture du décret déclinant les attributions des ministères ne permet pas de lever cette ambiguïté. Depuis l’avènement de cette séparation en 2019, le constat est qu’Abdoulaye Daouda Diallo et son successeur Mamadou Moustapha Bâ ont plus parlé ÉCONOMIE qu’Amadou Hott, Oulimata Sarr et Doudou Kâ, qui se sont plus cantonnés à faire de la coopération et à signer des conventions de financement. La cacophonie risque de continuer à persister. Or le MEPC garant du niveau et de la qualité de la croissance, ne dispose d’aucun instrument d’opérationnalisation pour pouvoir peser sur la politique économique, bien que structuré et outillé pour mener à bien cette mission. Les directives de l’UEMOA ont, certes permis l’instauration des budgets programmes , cependant, elles sont restées muettes sur les mécanismes d’ALLOCATION des RESSOURCES publiques. La fusion des fonctions FINANCES et ÉCONOMIQUES à travers le Ministère de l’économie, des Finances et du Plan (MEFP) a vu la consécration de la logique financière sur la logique économique, base de la perpétuation du modèle économique de distribution. La déconstruction de ce modèle participe à la rupture systémique annoncée. Pour ce faire, la séparation de la fonction ÉCONOMIQUE de celle des FINANCES s’impose pour une amélioration avérée des politiques publiques.
Le réseau complexe des dynamiques économiques révèle l’existence d’un éventail de défis et d’opportunités entre le PIB réalisé et le potentiel de l’offre de production. Comprendre les implications politiques de l’écart de production est primordial, en particulier dans le contexte de lutte contre l’oisiveté des jeunes. Ceci doit inciter les décideurs publics à déployer une combinaison d’outils de politiques économiques et de réformes structurelles pour faire face aux problèmes de développement économique. En revisitant l’histoire récente des faits économiques il se dégage des traits communs fréquemment soulignés dans les pays de forte et durable croissance, c’est la qualité de l’architecture gouvernementale et le rôle des hauts fonctionnaires. De là à établir un lien de causalité entre haute croissance et haute administration il n’y a qu’un pas. Une réponse est apportée par la qualité des hommes composant le présent gouvernement, et ce dernier trouve en place une administration avec de hauts cadres très bien formés.
La dispersion des objectifs de développement économique entre plusieurs ministères cloisonnés entrave la robustesse de la sélection et par-delà la priorisation des actions de développement. Chaque département ministériel privilégie sa propre stratégie et l’absence d’articulation, ainsi que le constat d’une coordination très élastique en somme de gouvernance ne permettent pas de régler les problèmes naissants. La volonté d’imprimer une dynamique plus économique pousse à créer un MINISTÈRE du DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET DU PLAN (MDEP) aux côtés du MINISTÈRE des FINANCES (MF). Cette innovation organisationnelle peut faciliter la dynamique de rupture systémique. L’expérience historique nous apprend que le maintien du cap des réformes, pour être efficace, doit être porté par une et seule entité, cependant avec un dispositif de suivi/évaluation de très haut niveau de pilotage. Le MDEP organisé autour des déterminants de la fonction de production et de son résidu , voit ses missions partir de la formulation de la politique économique à court, moyen et long terme jusqu’à la définition des schémas de financement de l’économie en passant par la confection des lois de programmations telles que les lois de programmation des infrastructures et celles du capital humain, etc. La systématisation de l’évaluation des projets/programmes dans une telle organisation s’appuyant sur, entre autres, des outils d’analyse usuels de projets/programmes facilite leur classement par ordre de priorité et permet d’en estimer les taux de rendement social prévisibles.
Une fois le schéma de financement arrêté et les lois de programmation adoptées, le MINISTÈRE DES FINANCES (MF) prend en charge la mobilisation et la gestion des ressources publiques et en conséquent fait voter les lois de finances. L’exécution des missions du MF est facilitée par la disponibilité des plans prévisionnels annuels de travail de tous les ministères, de leurs plans de passation de marchés ainsi que du plan prévisionnel de trésorerie de la DGTCP.
DIOSSY SANTOS
Conseiller en planification à la retraite
Conseiller en planification à la retraite
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Pms
En Mai, 2024 (16:31 PM)Pms
En Mai, 2024 (17:47 PM)Participer à la Discussion