Le tonitruant et très activiste Serigne Mbacké Ndiaye, ministre « conseiller » spécial auprès du président de la République, a la fâcheuse habitude de chanter sur tous les toits que le président Wade « se porte merveilleusement bien » et est « le candidat idéal pour 2012 ».
Je ne me prononce jamais sur l’état de santé du président de la République. Je m’en garde bien parce que je ne suis pas médecin, comme le courtisan Serigne Mbacké Ndiaye. Je n’ai pas non plus, comme lui, le dossier médical du président sortant sous les yeux. Je lui souhaite d’ailleurs une très longue vie, une excellente santé et une retraite dorée à passer à Besançon, sur les bords du Lac Léman, à Andorre, au Lichtenstein, dès l’immédiat lendemain de février ou de mars 2012. Si tant est qu’il peut se résoudre encore à quitter le pouvoir et ses ors.
En tout cas même si, par extraordinaire, il était en excellente santé et avait bien travaillé, j’aurais de sérieuses réserves par rapport à sa candidature en 2012. L’homme n’a aucun respect pour ses engagements, ni pour la Constitution qu’il avait pourtant juré solennellement de défendre. Rappelons que, dans la préface du programme du Front pour l’Alternance (Fal) qui avait porté sa candidature au second tour en mars 2000, il s’engageait fermement en ces termes :
« (…) Nous nous sommes mis d’accord sur les futures institutions qui définissent clairement la place et le rôle du Chef de l’Etat et du Gouvernement. Nous avons envisagé une transition d’une année pour démanteler les structures de ?Parti-Etat? qui plonge ses racines dans les entrailles de notre pays afin d’installer définitivement des institutions démocratiques, modernes répondant aux normes internationales de la démocratie. Dès le lendemain des élections, en cas de victoire, un Gouvernement de large union nationale sera mis en place avec un Premier Ministre désigné par consensus. Sa mission sera, en coopération avec les partis de la Coalition, d’élaborer un projet de nouvelle constitution dont les grandes options sont :
- régime parlementaire avec un Gouvernement responsable devant l’Assemblée nationale,
- suppression du Sénat,
- renforcement de l’indépendance de la Magistrature.
Et ce n’est pas tout. Suivons toujours les engagements notre candidat d’alors :
« Le peuple sénégalais, parce qu’il sera sous la direction des autorités qu’il se sera choisies démocratiquement, ne sera plus en campagne électorale permanente et pourra, enfin, pendant toute une législature, travailler, imaginer, créer, produire, se développer, bref prendre son destin en main. »
« Le présent programme emporte mon adhésion », conclura-t-il, avant de le signer.
Il est triomphalement élu le 19 mars 2000 et installé officiellement dans ses nouvelles fonctions le 1er avril. Devant le Conseil constitutionnel, le Sénégal, l’Afrique et le reste du monde, il fait le serment suivant :
« Devant Dieu et devant la Nation sénégalaise, je jure de remplir fidèlement la charge de Président de la République du Sénégal, d’observer comme de faire observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution et des lois, de consacrer toutes mes forces à défendre les institutions constitutionnelles (…). »
Il est donc « le gardien de la Constitution, le premier protecteur des Arts et des Lettres du Sénégal », comme le précise un article de la Loi fondamentale. « Il incarne, au terme du même article, l’unité nationale ».
Voilà quelques engagements de l’opposant et du président Wade. Je pourrais en donner mille autres. Je ne m’attarderai vraiment pas sur les premiers, ceux souscrits dans la préface du Fal. Que le lecteur compare ce que le candidat promettait et ce que le président élu nous fait vivre depuis le 1er avril 2000 ! Tous ses engagements sont volatiles et aussi fongibles que le personnage. Il ne protège point la Constitution. Il en est, au contraire, le plus grand bourreau. Il la viole allègrement et sans état d’âme. Il la viole dans les scandales gravissimes qui jalonnent sa gouvernance meurtrie, il la viole à travers son refus de faire une déclaration de patrimoine. Rappelons qu’au terme de cette Constitution, « Le Président de la République nouvellement élu fait une déclaration écrite de patrimoine déposée au Conseil constitutionnel qui la rend publique ».
L’homme qui nous dirige n’est surtout point le protecteur des Arts et des Lettres. Il est plutôt le refuge des délinquants notoires comme les casseurs de L’AS et de 24 heures Chrono et leur commanditaire Farba Senghor, la ministre d’Etat Awa Ndiaye qui achète des couteaux de table à 40000 francs l’unité, les commanditaires de la tentative d’assassinat perpétrée sur la personne de Talla Sylla, Baïla Wane qui maquille les comptes de la Lonase et lui présente un faux bilan, son fils friand de milliards et qui dépense sans compter les milliards du contribuable sans jamais rendre compte, etc).
Il n’est point le père de la Nation, encore moins l’incarnation de l’unité nationale. Il est plutôt un politicien pur et dur, un homme de clan et de coterie, qui a ses entrepreneurs, ses journalistes, ses chefs religieux, ses écrivains. Tous les autres, comme Bara Tall, Serigne Mansour Djamil ou Youssou Ndour, qui refusent de s’aplatir devant ses mallettes bourrées de fric et de devenir ses affidés, sont considérés comme des ennemis à abattre. Pour nous en convaincre, rappelons que, le samedi 30 mai 2008, veille du lancement officiel des travaux des Assises nationales, il tenait, chauffé à blanc par ses mille courtisans, les propos qui suivent, dans les salons d’honneur de l’Aéroport L. S. Senghor :
« Ils ont tout tenté pour me faire partir (…). Que tous ceux qui se disent mes amis ne se rendent pas à cette manifestation. Je parle des chefs de partis politiques, des chefs religieux qui sont proches de moi, des chefs d’entreprises, etc. » Et il intimait formellement l’ordre à ses intimes de s’éloigner du Méridien-Président, en ces termes particulièrement menaçants :
« J’invite donc mes amis à ne pas s’y rendre. Que personne ne vienne me dire après que je ne savais pas. »
Voilà le père de la Nation, qui divise le pays en deux entités différentes et antagoniques, confortant ainsi le Pr Iba Der Thiam qui, rendant compte d’une tournée effectuée à Kaolack avec Doudou Wade, tranche qu’il « existe deux Sénégal, celui fictif dont parle l’opposition et le Sénégal réel qui est avec son champion ».
Un tel président parjure, et dont le nom est intimement lié à des scandales aussi graves les uns que les autres et étalés sur la place publique, peut-il raisonnablement être le candidat idéal à sa succession ? Dans toute autre démocratie avancée, le président Wade aurait bien d’autres préoccupations que de solliciter un troisième mandat. Pas même un second d’ailleurs, puisqu’il serait entre temps destitué, et peut-être même traduit devant la Haute Cour de Justice. Le président américain Richard Nixon et le sénateur Ump Charles Pasqua ont fait bien moins que lui. Face à ses graves forfaits, les maigres emplois fictifs de la Mairie de Paris et l’Affaire Cleastream sont une peccadille.
Si même, par extraordinaire, il avait respecté ses engagements, était épargné par les scandales et avait bien travaillé, sa candidature poserait toujours problème. Cet homme est quand même déjà, avec Robert Mugabe, le plus vieux président du Monde. En 2012, il aura officiellement 86 ans. Il en aura en réalité 88 car, c’est lui-même qui a révélé à une émission de la Rts, « Confidences autour d’un micro », qu’il est bien né à Kébémer en 1924, et que la naissance sera déclarée deux ans plus tard à Saint-Louis. C’est ce qui explique la fixation de sa date officielle de naissance au 29 mai 1926. Cette information a été livrée, dans sa rubrique « Quelques lignes », par « Nouvel Horizon » n° 496 du 11 au 17 novembre 2005, page 8.
Comment peut-on raisonnablement, à cet âge-là, solliciter un nouveau mandat de 7 ans ? C’est vraiment inédit, inouï et insensé, un candidat à une élection présidentielle à 88 ans ! Le président Wade n’aurait-il pas plutôt intérêt à s’inspirer de l’exemple de deux grands hommes, dont il se réclame d’ailleurs bruyamment de l’héritage du second : le général de Gaulle et le président Senghor. L’illustre général faisait remarquer avec sagesse qu’il « vaut mieux partir cinq ans trop tôt qu’une minute trop tard ». Quant au premier président de la République du Sénégal, il répondait ceci à certains de ses compatriotes qui l’incitaient à rester au pouvoir (je cite bien sûr de mémoire) : « A 74 ans, je ne me sens pas déjà très mal sur le plan de la santé. Cependant, à cet âge-là, on n’est plus maître de tous ses reflexes. Or, gouverner un pays, ce n’est pas rien. »
Tout indique, malheureusement, que Me Wade n’est ni l’un ni l’autre, et ne s’inspirera de l’exemple d’aucun d’eux : ils ne boxent vraiment pas dans la même catégorie, ils ne sont pas taillés dans la même roche.
Les présidents de Gaulle et Senghor ont pourtant bien raison, si on a en mémoire l’exemple du président tunisien Habib Bourguiba, destitué le 7 octobre 1987 pour incapacité physique, intellectuelle et psychologique, à l’âge de 83 ans. Comment peut-on donc nous convaincre facilement que le président Wade, que nous connaissons et pratiquons depuis bientôt 11 ans, est le candidat idéal pour 2012 ?
De cet homme qui nous dirige, on peut retenir et affirmer haut et fort – et je le fais solennellement ici – que :
1) il n’a aucun respect pour sa parole et ses engagements qui ne valent plus un sou ;
2) c’est un spécialiste de la violation et du tripatouillage de la Constitution, qu’il a fait modifier au moins 15 fois en 8 ans, pour les seuls besoins de l’atteinte de ses objectifs politiciens ;
3) il inspire la crainte, la peur et le rejet, avec les silences lourds et assourdissants qu’il oppose imperturbablement aux accusations gravissimes d’assassinat, de corruption et de détournements d’importants fonds publics qui pèsent sur lui, accusations de plus en plus assimilables à des mensonges d’Etat ;
4) il a désacralisé nos institutions au point que le palais de la République est devenu le « poulailler de la République » et les ministres des « ministrons », qui s’insultent et se donnent des gifles au cœur de la République ;[1]
5) il écrase sous sa tutelle pesante l’Assemblée nationale, la Justice et les différentes structures de contrôle qui ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes ;
6) par ses choix confrériques et ses déclarations souvent hasardeuses et sans retenue, il met toujours en péril la cohésion sociale et l’unité nationale, qu’il avait pourtant pour mission de consolider ;
7) ce bourreau de nos institutions l’est aussi de nos valeurs cardinales qu’il a détruites au profit de contre valeurs comme la course effrénée derrière l’argent, les honneurs, les promotions faciles ;
8) il manque surtout manifestement de grandeur et de magnanimité, et nous en administre la preuve dans cette affaire qui l’oppose à Youssou Ndour, notre fierté nationale. Ce prétendu chèque qu’il brandit à titre de preuve n’existe, jusqu’à preuve du contraire, que dans son imagination.
Non, cet homme vieillissant ne peut être en aucun cas le candidat idéal à sa succession. Il ne peut, et ne devrait même pas être candidat tout court. Pour paraphraser l’autre, il a bien plus de jours derrière que devant lui. Le plus grand service qu’il peut rendre à son pays, à son fils et à lui-même, c’est de s’abstenir de se présenter en 2012, de nous organiser une élection libre, démocratique et transparente, et de nous laisser choisir librement son successeur, comme ou mieux que nous l’avions choisi le 19 mars 2000. Tout autre choix pourrait être suicidaire pour nous tous, y compris pour ses minables courtisans qui l’incitent à solliciter un troisième mandat, et dont la seule préoccupation est en réalité de continuer de jouir sans vergogne des « délices » immérités de l’infect régime libéral.
[1] Lui-même est devenu Me Weddi, c’est-à-dire l’homme passé maître dans l’art de se dédire sans état d’âme.
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