"Maître (s), vous pouvez nous laisser avec les parties pour la tentative de conciliation !"
Telle est la ritournelle, la phrase toujours gentiment prononcée par le juge et toujours entendue par les avocats, lorsque pour la première fois (en affaire nouvelle) ou après un renvoi, un dossier de divorce est évoqué. Nous sommes alors, si un procès en divorce peut être divisé en phases, dans la première partie, obligatoire, de la procédure. Il faut dire que l'essentiel de la procédure, à l'exception du délibéré ou du prononcé de la décision, se déroule en chambre du conseil. En effet l'article 171 du Code de la Famille dit que " la cause est instruite en la forme ordinaire et débattue en audience non publique." Et à l'alinéa 2, l'article de préciser que 'le jugement est rendu en audience publique". Autrement dit, le procès a lieu à huis clos, "en intimité" dans le bureau du juge ou dans tout autre lieu qui peut préserver la discrétion, qui est recherchée, dans la gestion de tous les dossiers et particulièrement, ceux de divorce.
En parlant, comme écrit au tout début, le juge ne fait, en vérité, qu'une application exacte de l'article 169 alinéa 1 du Code de la Famille qui dit : " A l'audience indiquée, les parties comparaissent en personne HORS LA PRÉSENCE de leurs conseils éventuels".
Les conseils sont alors, pendant le temps que dure la tentative aux fins de réconcilier les parties, respectueusement invités à sortir du bureau du juge. Et si je prends pour illustrations le Tribunal d'Instance Hors Classe de Dakar, les Tribunaux d'instance de Pikine et de Guédiawaye, les avocats attendent alors, souvent debout, dans des couloirs mal aérés et exigus. Il n’est pas exagéré de les assimiler (les couloirs) à de véritables fours crématoires tellement, il y fait chaud. D'ailleurs, il y a eu, par le passé, quelques cas d'évanouissements. Les couloirs noirs de monde, et qui par la force des choses font office de salles d'attente, s'il en existe, sont de capacité réduite et souvent, éloignés du bureau où les dossiers sont traités. Les justiciables préfèrent alors être à côté ou tout près, de peur de rater l'appel de leur dossier et de voir la cause être évoquée en leur absence alors qu'ils sont bel et bien présents au palais de justice. Devant ce nombre important d'individus, et dans un espace très réduit, un démographe parlerait de forte densité de personnes au mètre carré. Et cela pose le lancinant problème des conditions difficiles, inacceptables et dangereuses de travail, auxquelles sont exposés tous les jours les justiciables, les avocats et autres acteurs de la justice surtout en cette période de pandémie du ou de la covid-19. Je défie quiconque de dire que les mesures barrières, notamment la distanciation physique, sont observées. D'ailleurs, il n’est même pas possible de respecter les gestes barrières malgré les efforts faits, dans certaines juridictions, pour que tous les juges ne tiennent pas leurs audiences le même jour. Et donc, nonobstant tout cela, il y a foule. Les individus qui sont dans les couloirs à attendre, forment ou sont comme des "grappes de mouches". Ils sont collés, se touchent, se frottent, font des coudes pour passer. Et même les juges, s'ils n'arrivent pas tôt, sont contraints de faire les coudes pour se frayer un chemin jusqu'à leur bureau. Et comme des essaims abeilles, les personnes s'agglutinent devant la porte des magistrats où leurs dossiers doivent être évoqués. C'est un spectacle désolant et triste à voir. Une vraie bombe sanitaire à retardement et dont le coronavirus peut, malheureusement, être un puissant détonateur. Que c'est tellement vrai que par note en date du 12 février dernier dénommée "INFORMATION", repris in extenso, il a été décidé ce qui : "En raison de la recrudescence des cas suspectés (sic!) de COVID 19 et compte tenu de la nature spécifique des audiences au niveau du Tribunal d’Instance Hors Classe de Dakar, les audiences des Affaires Civiles et Commerciales (audiences publiques en (sic!) Cabinet) prévues
pour la période allant du 15 février au 16 mars sont prorogées à des dates ultérieures.
Le nouveau calendrier et les modalités de tenue desdites audiences vous seront communiqués ultérieurement. "
Je ne veux surtout pas jouer les Cassandre mais, c'est cela la vérité même si, de tout cœur, je souhaite lourdement me tromper.
Et puisque tout le monde attend dehors, l'attente, selon la complexité du dossier, la détermination des époux, mais surtout le tempérament et l'expérience du juge, peut être rapide (15 minutes), raisonnable (40 minutes), longue (60 minutes) et même très longue (90 minutes à plus de 02 heures). Avec la précision, que plusieurs affaires, qui passent en conciliation, peuvent être évoquées le même jour ou durant la même audience. Le désir de sauver un mariage peut expliquer et même justifier que du temps, et même beaucoup de temps, soit consacré à la tentative de conciliation. Il faut œuvrer à sauver le couple. Il convient cependant d'admettre que les difficiles conditions de travail font que le temps d'attente, tant pour les justiciables que pour les avocats, passe pour une éternité. Il faut le vivre (une fois par semaine pour les avocats) ou l'avoir vécu (à l'occasion d'un procès pour les justiciables), pour le comprendre. Ne me démentiront pas, les jeunes confrères, contraints de subir la belle et redoutable règle de l'ancienneté. Règle qui veut que l'avocat le plus ancien (non pas, par l'âge mais relativement à la date de prestation de serment ou dans l'ordre de prestation de serment pour ceux issus de la même promotion) fasse appeler son dossier dès qu'il arrive, même si un confrère plus jeune, était à attendre devant la porte du juge, bien avant lui, et ce durant plusieurs minutes voire des heures. C'est dur d'assurer ou de prendre les audiences de divorce. C'est pénible! D'ailleurs, beaucoup d'avocats, qui pourtant excellent dans le domaine, ne prennent plus, hésitent à le faire ou se constituent rarement dans les dossiers de famille, notamment les dossiers de divorce, tellement c'est stressant mais surtout, physiquement éprouvant. Les justiciables qui n'ont pas de conseils sont encore physiquement plus éprouvés, obligés qu'ils sont d'attendre que les avocats finissent d'appeler leurs dossiers avant l'appel de leurs affaires par le greffier. D'ailleurs, un système "D", que j'apprécie, a été imaginé avec, selon l'ordre d'arrivée, une inscription sur une liste accrochée à la porte du juge. Liste que le greffier prendra comme "rôle d'audience", pour appeler, dans l'ordre, les dossiers.
La non présence des conseils, outre le fait qu'elle est une manière très élégante d'écarter les avocats considérés, à tort ou à raison, comme "des empêcheurs de se concilier", constitue un procédé pas forcément efficace et qui présente des insuffisances.
Pas forcément efficace car, il n'a jamais été démontré, dans la pratique, que "le blocage des avocats à la porte du juge" a facilité ou favorisé les retrouvailles entre époux et ce, au regard du taux important d'échecs enregistrés à l'issue de la tentative de conciliation.
Cette disposition présente des insuffisances. En effet, les échanges, parfois passionnés et très houleux, sont normalement consignés sur le plumitif. Que toutefois, tout ce qui a été dit ne pourra être retenu et encore moins écrit par le greffier malgré toute sa bonne volonté. Plumitif, qui est normalement mis à la disposition des parties et avocats pour consultation sur place sous le contrôle et la responsabilité du greffier. Ainsi, les avocats peuvent, après l'audience ou les jours qui suivent, demander au greffier, après autorisation du juge, la délivrance d'un extrait du plumitif. Et cela, en vérité, peu d'avocats le font par manque de temps. Et même dans l’hypothèse où ils le consulteraient, ils peuvent ne pas y trouver ce qu'ils cherchaient. Des éléments intéressants, ne figurant pas au plumitif, peuvent ainsi échapper aux avocats. Éléments qui, pris en compte par les avocats, auraient été déterminants dans la défense des intérêts des parties. Cela est d'autant plus vrai que certains juges ne font pas aux avocats (puisque le code ne leur en fait pas obligation), le résumé de ce qui a été dit. Ils se limitent à dire, au retour des conseils : " Maître (s), malgré tous les efforts faits, les parties n'entendent pas se concilier". Le juge d’ajouter : "Aucune des parties ne veut lâcher prise" ou encore, "L'un des conjoints ne veut rien comprendre, il ne veut qu'une chose : "que la procédure continue et le divorce prononcé". Ce sont souvent les phrases prononcées, même s'il existe, des cas, très peu nombreux mais à saluer, de conciliation.
Dès lors, pourquoi ne pas admettre les avocats, et simplement, en qualité "d'observateurs" ou "auditeurs" ?
Ainsi, durant la phase de conciliation, les avocats seraient, contrairement à ce qui se fait aujourd'hui, présents sans toutefois avoir, et je m'empresse de le dire, le droit d'intervenir dans le débat ou de prendre la parole. Ils garderaient le silence, observeraient le mutisme le plus complet, à l'image de l'avocat qui assiste son client lorsqu'il est auditionné par les policiers, les gendarmes et douaniers (Règlement 05 de L'OHADA ) .
Bien que "spectateurs", leur présence aurait l'avantage de leur permettre de vivre la chose en "live", de ne rien rater de ce qui se dit (tout est important dans un procès) mais surtout, d'être au même niveau d'information que le juge et les parties. Car, bien de choses peuvent se dire ou se passer durant la phase de conciliation.
Et c'est seulement à l'issue ou au terme de la phase de conciliation, c'est-à-dire lorsque l'échec aura été constaté et la phase contentieuse déclarée ouverte, qu'ils (les avocats) retrouveront avec bonheur la parole et ce, pour intervenir dans le débat relatif aux mesures provisoires. Et même pour plaider les mesures provisoires, il n'est, en effet, pas sans intérêt que les conseils soient imprégnés des tous derniers développements, notamment ceux fraîchement discutés lors de la tentative de conciliation et qui peuvent avoir des incidences sur les demandes ayant trait à la résidence séparée, la garde des enfants, l'organisation du droit de visite et/ou d'hébergement, la fixation du quantum de la pension alimentaire etc.
Il faut repenser, même si elle doit être maintenue, la tentative de conciliation. Je vais même plus loin.
Pourquoi, après l'ouverture de la phase contentieuse ou échec de la tentative de conciliation et la prise des mesures provisoires, ne pas renvoyer le dossier, pour la mise en état ou l'échange des écrits et éléments de preuve, en audience publique et désigner un juge à cet effet ?
Déjà, cela soulève le problème du nombre insuffisant de magistrats recrutés et affectés dans les tribunaux, du nombre de bureaux et de salles d'audience disponibles (1 seule, la salle 7, pour TOUTES les audiences du TIHCD : en matière civile, correctionnelle, de flagrants délits, d'état-civil. A Pikine et Guédiawaye : 1 seule salle pour chaque tribunal d'instance ou TI et ce, pour toutes les audiences. Salle que les juridictions doivent partager avec le TGI de Pikine/Guédiawaye).
Aussi, loin de jeter un pavé dans la mare, je ne fais que lancer le débat pour une réflexion en profondeur sur la question.
AVEC LA SECONDE VAGUE, RESTONS ENCORE PLUS VIGILANTS !
OBSERVONS LES GESTES BARRIÈRES SANS QU'ON AIT A NOUS LES IMPOSER !
RETENONS CECI : EN NOUS PROTÉGEANT, NOUS PROTÉGEONS LES AUTRES !
Me Joseph Etienne NDIONE
Avocat à la Cour
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