Ce n’est plus un secret pour personne dans notre pays, même les oiseaux le chantonnent : les scandales sont consubstantiels à l’infecte gouvernance libérale, qui nous en a fait voir de toutes les couleurs depuis bientôt dix longues années. Mais, avec cette lamentable affaire de mallette bourrée de fric (87 millions de francs Cfa seulement !) remise à Monsieur Alex Segura, c’est le comble de l’humiliation pour notre pays. D’après les échos qui nous en parviennent, nos compatriotes de la diaspora ont plus honte encore que nous : ils sont dans leurs petits souliers et rasent les murs.
L’homme qui nous vaut tous ces scandales n’en est pas pourtant le moins du monde gêné. Il est coutumier des faits. Il entretient, nourrit, banalise sans état d’âme la corruption, dont il considère d’ailleurs les actes comme « des accidents de parcours qui finiront par être digérés dans l’évolution du pays ». Et il persiste et signe puisque, malgré le caractère exécrable des faits, il s’en sort toujours à si bon compte avec notre penchant coupable à vite oublier. Cette fois-ci quand même, le forfait est d’une rare gravité et nous devrions refuser de tomber dans son jeu. Comme je l’ai suggéré dans une contribution antérieure, nous devons le dénoncer avec la plus grande vigueur, encore le dénoncer, toujours le dénoncer, l’expliquer et l’expliciter dans les différentes langues nationales et dans les coins les plus reculés du pays.
D’ores et déjà, le chef de l’église catholique a pris une position nette et publique par rapport à la honte nationale qui nous vaut aujourd’hui d’être la risée d’une bonne partie du monde. « L’inquiétude et la tristesse » qu’il a exprimées sans ambages a été largement relayée et commentée par toute la presse nationale (orale, écrite, télévisée). Je n’aurai pas besoin, partant, de m’y appesantir outre mesure. En tout cas, les mille courtisans du prince mis à part, tout le reste du peuple s’est vivement félicité de cette position responsable et courageuse de l’église. Ce n’est pas la première fois d’ailleurs que celle-ci et ses chefs nous honorent en se rangeant résolument du côté du peuple dans certaines circonstances.
Tout le monde se souvient encore de cette grosse bourde du Chef de l’Etat, qui avait consisté à adresser une malheureuse et maladroite lettre de mise en garde aux évêques du Sénégal, parce qu’ils s’étaient simplement alors permis de donner, dans une déclaration publique, leur point de vue sur la conduite des affaires du pays. Dans cette lettre incendiaire au chef de l’église chrétienne, notre très imprudent et très spontané président politicien exprimait ce qu’il appelait toute sa peine et reprochait sans fard aux prélats sénégalais d’avoir « fait preuve de beaucoup d’injustice en son endroit, en celui du gouvernement et du Sénégal ». Non sans noter avec force que « le Sénégal est notre pays commun » et que, partant, les hommes d’église n’avaient pas le droit de « le (le Sénégal) présenter comme une terre d’apocalypse au milieu d’une mer tranquille ».
Rappelons, - puisqu’avec cette hideuse gouvernance libérale il convient de toujours rappeler - que, du 24 au 30 novembre 2003, les évêques du Sénégal ont tenu, à Tambacounda, leur conférence épiscopale. C’était en présence de leurs pairs de la Mauritanie, des Iles du Cap-Vert et de la Guinée-Bissau. En marge de cette rencontre, ils font, comme pour tirer la sonnette d’alarme, la fameuse déclaration qui a suscité le terrible courroux de notre président politicien. La déclaration pertinente et venue à son heure, s’adressait à toutes les composantes de la société sénégalaise, pour le souci du « bien commun d’abord ». Elle faisait état, à juste titre, d’un ciel « chargé de nuages » et de « dangers rampants ». Plus précisément, les évêques du Sénégal affirmaient ceci: « Nous sommes témoins de violences verbales et physiques, de menaces de mort, de tentatives d’assassinat, d’agressions de toutes sortes, de violation de la loi, voire de la Constitution du pays. » Plus loin, ils poursuivaient : « Le Sénégal connaît aujourd’hui des crimes sans criminels : crimes économiques, crimes de sang blanchis par des procès favorisant l’impunité, laissant croire que la justice dans ce pays n’est pas totalement indépendante. » Et nos très courageux prélats de se poser la question de savoir dans quelle démocratie nous étions, avant de poursuivre, plus explicites encore : « Le ciel de notre pays est chargé de nuages qui ne présagent pas de lendemains de paix, de joie et d’épanouissement pour tous nos citoyens, ni de consolidation pour notre démocratie. » Ils exprimèrent ensuite leur légitime inquiétude devant « les menaces de conflits latents, voire d’implosion et d’embrasement » qui pesaient lourdement sur notre pays. Ils en appelèrent aussi à la nécessité de « restituer au débat politique sa vraie place, en le recentrant sur le bien commun », et mirent en garde contre les « intérêts de parti », « les intérêts de terroirs, de clans, de familles religieuses, etc (…) »
Waaw, y avait-t-il vraiment de quoi fouetter un chat dans cette déclaration qui campait exactement le climat politique malsain et délétère que connaissait notre pays ? Peut-on reprocher cette déclaration salutaire à des prélats, à des pasteurs, à des bergers dont l’un des rôles, et non des moindres, est de veiller sur la paix civile et de prévenir, chaque fois que de besoin, certains soubresauts qui ont transformé certains pays en enfer permanent ? Il faut vraiment être un Me Wade pour oser s’y aventurer, et de la manière dont il s’y était pris.
La déclaration des prélats avait fait à l’époque l’objet de plusieurs commentaires et inspiré des contributions dont l’une portait le titre « l’Église sort du ghetto ». Je réagissais à ce titre pour relever que celle-ci ne s’est jamais enfermée dans un ghetto et que les hommes d’église, les chefs religieux en général, qu’ils soient musulmans ou chrétiens, ne devaient pas constituer un monde à part. Ils font partie intégrante de ce grand ensemble qu’est le Sénégal. Ce sont des citoyens à part entière et ont, partant, des droits et des devoirs. Même au-dessus de la mêlée, ils gardent un droit de regard sur la vie politique, économique, sociale et culturelle du pays. L’Église sénégalaise n’a jamais été, en tout cas, indifférente à cette vie-là. Elle a toujours pris ses responsabilités citoyennes.
Il en a été ainsi quand l’antenne de SUD FM de Ziguinchor diffusa une interview du chef rebelle Salif Sadio. A titre de représailles immédiates, les Forces de Police envahirent les locaux du « Groupe Sud Communication » (la maison mère).L’Archevêque de Dakar, Monseigneur Théodore Adrien Sarr, a alors pris une position très nette par rapport à cette affaire inutilement exagérée : Il trouvait parfaitement normale la diffusion de la fameuse interview. C’est de telles attitudes qu’on attend de temps en temps d’un chef religieux, d’un pasteur. Nous avions d’autant plus apprécié la position exprimée officiellement par Monseigneur qu’elle levait toute équivoque : ce n’est pas parce que le Président de la République venait de faire réfectionner la grande Cathédrale de Dakar et d’envoyer quelques chrétiens en pèlerinage en Terre Sainte, que les évêques devaient être irrémédiablement condamnés au silence. Ils ont refusé de se laisser corrompre ou acheter aussi facilement. Pour cela, ils ont toute notre considération.
L’illustre prédécesseur de l’actuel archevêque de Dakar, le très regretté Monseigneur Hyacinthe Thiandoum, leur avait déjà tracé la voie. Il me revient que, en janvier 1983 déjà, à un mois donc de l’élection présidentielle de cette année-là, un séminaire, qui regroupait, à Kaolack, les diocèses de cette ville et celle de Tambacounda, concluait ainsi ses travaux : « En dépit de leur confession, les chrétiens doivent s’intéresser à la vie politique du Sénégal, en militant activement au parti de leur choix. » Les séminaristes s’étaient gardés, bien sûr, de leur donner quelque autre indication que ce fût. Depuis lors, les chefs religieux chrétiens sont restés fidèles à cette honorable position de neutralité, sans s’aventurer jamais à donner une consigne de vote à leurs ouailles. Mais, ils ne se sont jamais privés, comme vient de le faire avec fermeté et élégance Monseigneur Sarr, de donner leurs points de vue sur certaines questions d’intérêt national. Ainsi, dans une interview au Soleil des samedi 09 et dimanche 10 septembre 1995, feu Monseigneur Thiandoum, après avoir regretté « qu’on ne travaille pas assez au Sénégal », martelait : « Le bien commun n’appartient pas à une personne, mais à tout le monde, à la nation tout entière. Ces détournements qui continuent de se produire, c’est une gangrène, un cancer qu’il faut extirper de la société sénégalaise… » Le même archevêque déclarera plus tard, à propos de la qualité de nos dirigeants, ce qui suit à Jeune Afrique n° 1991 du 15 mars 1999 : « Les instances dirigeantes, économiques ou politiques, sont envahies de gens incompétents ou corrompus, et certains efforts pour nettoyer la maison ont été réduits à néant…. » Ces différentes déclarations n’avaient jamais fait l’objet d’un quelconque commentaire de la part des gouvernants d’alors, à plus forte raison d’une maladroite mise en garde à l’archevêque. Pourtant, elles n’ont rien à envier, sur le plan du ton, à celles de novembre 2003, qui avaient soulevé l’ire incontrôlée de notre président politicien.
La place des hommes d’église, des chefs religieux en général, doit être plus à côté des démunis que des prédateurs repus, qui ont pillé et continuent impunément de piller nos maigres ressources nationales et consacrent le plus clair de leur temps à travailler à se maintenir le plus longtemps au pouvoir. C’est pourquoi, je rends ici, solennellement, un vibrant hommage à l’église sénégalaise et à ses chefs. Je résiste difficilement, cependant, à la tentation de les interpeller sur un point. N’est-ce pas que c’est l’adage qui dit que « qui aime bien châtie bien » ? En outre, le pays vit l’une des heures les plus graves de son histoire, qui ne s’accommodent plus de la langue de bois. Je comprends difficilement leur attitude passive par rapport à cette censure déguisée que nous imposent les sbires de Me Wade. Aujourd’hui, les services de la Douane et de la Police confisquent tous les livres dont les auteurs refusent de se transformer en vulgaires laudateurs du prince. Même ceux édités sur place – encore s’ils trouvent un imprimeur – ne sont pas distribués par les principales librairies de la place, Clairafrique notamment. Pendant ce temps, les panégyriques consacrés au monarque passent sans encombre et sont en très bonne place (aux premiers rayons) dans toutes les librairies. Pourquoi l’église accepte-t-elle ce fait accompli, en l’absence de toute base légale, d’un arrêté d’interdiction du Ministère de l’Intérieur notamment ? Ce pays n’est pas la propriété de Me Wade. La liberté d’expression est inscrite en bonne place dans notre Constitution, comme le droit au travail.
Cette interpellation ne faiblit en rien pas l’hommage que j’ai rendu à l’église et à ses chefs. Je ne pourrais pas, cependant, rendre le même hommage aux chefs religieux musulmans, aux chefs de confréries en particulier. On les entend davantage couvrir Me Wade de louanges et inciter leurs disciples à voter pour lui et pour son parti. On les entend rarement se prononcer sur la vie chère, sur les délestages intempestifs, à plus forte raison sur des actes graves de corruption, comme cette gênante mallette remise à Alex Segura. Ils sont présents à toutes les manifestations folkloriques et politiciennes les plus insignifiantes organisées par le parti gouvernemental et son chef. Ils s’aventurent dans des médiations entre le « père » et le « fils » qui sont seuls, avec Dieu, à connaître les vraies raisons de leurs différends. On fait état dans la presse de ce jour (09 / 11 09) de tentative, par un chef de confrérie, de réconcilier Me Wade et Macky Sall, faisant ainsi facilement table rase de l’humiliation et de la honte dont le premier a publiquement couvert le second pendant plusieurs mois, au profit de son fils. Comme si Macky n’était le fils de personne et était tombé d’une autre planète !1
Il est vrai que notre Crésus national les inonde de dons et de présents : mallettes d’argent, 4x4 et autres véhicules rutilants, passeports diplomatiques, billets et devises consistantes pour le pèlerinage à la Mecque, etc. Se posent-ils, un seul instant, la question de savoir d’où lui viennent ses immenses possibilités ? En d’autres termes, s’intéressent-ils à l’origine licite ou illicite de cette immense fortune avec laquelle l’homme se montre si généreux avec eux ? Ne savent-ils pas, ou plus, que leur bienfaiteur qui tire plus vite que Lucky Luke, était presque sans le sous à quelques mois de l’élection présidentielle de février 2000 ? Ont-ils déjà oublié qu’ils ne le portaient pas dans leur cœur et ne voulaient point en entendre parler, pendant cette période de vaches maigres ?
S’ils font facilement table rase du passé et se ne posent pas toutes ces questions-là, les disciples eux, doivent se les poser et prendre leurs responsabilités. Lequel d’entre eux peut-il lever la main droite et jurer qu’il a bénéficié une seule fois des nombreux dons que Me Wade fait « généreusement » à son marabout ? Le temps n’est-il pas venu donc qu’ils refusent d’être de simples moutons de panurge, de vulgaires girouettes qu’on fait tourner au gré des vents du pouvoir ?
Je termine cette contribution en citant le très regretté Maodo, l’illustre et honorable patriarche Mamadou Dia, qui rappelait avec force (dans son livre « Corbeille pour l’an 2000 », page 69), que l’homme est une créature privilégiée de Dieu, une créature faite à Son Image. Il insiste sur la prééminence de cet homme qui a vu, sur injonction de Dieu, les anges se prosterner devant lui. Pour illustrer cette prééminence sur toutes les autres créatures, les anges y compris, le vieux Maodo cite un verset du Saint Coran qui proclame : « Dieu a honoré l’homme et l’a placé au-dessus de toutes les créatures. » Il est le vicaire de Dieu sur terre et est, à Son Image, libre et responsable.
Nous devons donc être conscients de ce que nous sommes et refuser de nous laisser facilement manipuler : le ndigël politique n’a rien de commun avec l’Islam, ni par ailleurs avec les confréries bien comprises. Il ne nous garantit aucun avantage spirituel, ni matériel d’ailleurs. La carte d’électeur est un attribut hautement citoyen, un bien précieux et individuel, qu’on ne devrait accepter de brader sous aucun prétexte.
MODY NIANG, e-mail : modyniang@arc.sn
0 Commentaires
Participer à la Discussion