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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
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[ CONTRIBUTION ] ENSEMBLE ET AUTREMENT B?TISSONS NOTRE PAYS

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[ CONTRIBUTION ] ENSEMBLE ET AUTREMENT B?TISSONS NOTRE PAYS

       Que peut-on donc souhaiter ? ce cher pays au seuil de cette nouvelle ann?e 2010 ? S?rement pas de vivre dans la peur, la haine, la pauvret?, l?indignit?. Nous ne pouvons pas ?tre ce peuple l?. Nul peuple d?ailleurs ne m?riterait de  vivre sous de telles perspectives. Ce n?est pas vrai que notre pays va bien. La mer est tomb?e dans l?eau, me dirait joliment ma maman! Mais il reste notre pays et nous l?aimons. Si nous vivions dans un monde sans ? politique ?, nous serions certainement plus heureux. Dans la conduite de la cit?, c?est la politique ou du moins la mani?re dont elle est exerc?e qui fait mal. Quand on pense que le plus grand nombre des S?n?galais a d?cid? de ne s?affilier ? aucun parti, sinon ? celui de la libert?, que ce sont les partis politiques qui nous isolent du paradis et empoisonnent notre quotidien, s?ils ne le rendent pas dangereux et inqui?tant, on mesure l?injustice subie par l?immense majorit? ! Mais ce n?est pas parce que notre pays va mal, qu?il doit en mourir. Il est de notre devoir et de notre responsabilit? de veiller sur lui, de le soigner, de l?entourer  de toute notre attention, m?me si attention ne rime pas avec privation et d?sespoir. Ces deux l? tuent maintenant chez nous, presque ? ?gale distance du sida. Le d?nuement et la honte tuent aussi, car notre peuple profond se nourrit encore de valeurs qui lui interdisent d?accepter un tel sort. C?est une mort dans le silence, quand on vous ?te jusqu?? cette dignit? qui servait de repas et de boubou. Depuis notre accession ? la souverainet? nationale, les S?n?galais, d?ethnies diff?rentes, ont donn? le plus ardent des exemples de vie en commun. Cet h?ritage sans prix a fait du S?n?gal un pays attachant. Pourquoi donc la politique et les politiciens voudraient-ils nous arracher ce si pr?cieux legs ? Pourquoi donc se d?chire-t-on autant, en brisant les amarres pour nous conduire vers des vents et un oc?an d?o? personne ne reviendra indemne ? Il est temps de d?sarmer les c?urs de la haine. Nous savons combien un tel appel pourrait para?tre surr?aliste pour certains radicaux, quand on consid?re l??tat social, ?conomique, voire psychologique et psychiatrique m?me dans lequel se trouve notre pays. Mais c?est bien pourtant l?, l?unique  voie de salut. Si nous ne pouvons pas jeter les politiciens ? la mer  - ils ont de plus en plus des calculs et non des responsabilit?s - acculons les au consensus. Pour paraphraser l?universitaire n?erlandais Ruut Veenhoven, nous ne demandons ni une soci?t? lib?rale, ni une soci?t? socialiste, ni une soci?t? social-d?mocrate, ni une soci?t? religieuse. Tout ce que notre peuple demande c?est ? d?faut de vivre heureux, de vivre tout court. Chez nous, ni la performance du discours politique, ni les sermons du vendredi n?ont cr?? un progr?s social. En un mot, le S?n?gal serait ? sec. C?est la panne g?n?rale. Nous semblons ne plus rien attendre de la politique. Des compagnonnages id?ologiques inattendus et contre-nature qui ont m?me tourn? en complicit?s amoureuses, ont fini par virer au rapport de force, ? la haine. Des blessures se sont ouvertes qui ne se refermeront pas de sit?t. Des vengeances m?rissent en silence. Notre pays m?rite t-il cela ? Devons-nous pr?parer notre avenir avec tant de couteaux qui attendent. Levons-nous tous pour dire que cela suffit. Appelons ? la mesure, ? l?honneur retrouv?. L?acte citoyen n?est pas seulement de se r?volter contre  les injustices sans nom et il faut se r?volter. L?acte citoyen consiste surtout ? ?uvrer pour la concorde. C?est ? l?Etat, le premier, de trouver les solutions justes pour freiner la course vers le chaos. Nous devons tous tenter de choisir des voies moins tragiques. Notre pays a besoin d?un nouveau souffle politique, religieux, car m?mes ceux-l? qui ont pris le parti d??tre les compagnons de l?islam, ont d?sert?, parmi les plus nombreux, les vrais chemins de Dieu et d?voy? depuis bien longtemps Sa morale et Son ?thique. L?impasse aujourd?hui est si cruelle, la rupture si totale, qu?il nous faut s?arr?ter, faire le d?compte de  nous-m?mes. Nous sommes au c?ur du vide ?thique et philosophique au profit de la tyrannie du gain. Je ne veux pas croire que la modernit? avec sa ? d?cadence morale qui frappe l?humanit? ? ainsi que  l?extr?me acuit? du poids du social, aient autant castr? notre ?lan vers le Sacr?. A penser d?sormais qu?il faut secourir Dieu et non Ses sujets ! Ce qui fait peur aujourd?hui, c?est bien le choc des ignorances. Il s?y ajoute que nombre de chefs religieux musulmans, ne para?traient plus, ? l?image de ceux d?hier, constituer des r?gulateurs de tension sociale et politique. Il existe d?sormais trop de d?lestages entre eux et nous. Par ailleurs, les S?n?galais, parmi les plus nombreux, ne sauraient ?galement ?tre vierges de toute critique. Il nous faut en effet d?inoxydables valeurs civiques que nous ne poss?dons plus. La discipline est garante du d?veloppement, de la coh?sion et de l?harmonie d?une soci?t?. Elle diff?rencie le civilis? du sauvage. Elle est le premier respect de soi avant les autres. Faudrait-il un jour  aller ? de la morale au droit ? si l?anarchie le justifiait ? La responsabilit?, note Sartre, c?est la revendication des cons?quences de la libert?. Bien s?r, le sismographe de la R?publique est le premier magistrat de notre pays. Il lui faut plus que d??tre un homme. Il doit ?tre le rep?re et l?horloge de la nation. Au sommet de la montagne, il est le premier vigile sur qui p?sent notre s?curit? et notre s?r?nit?. Mais face ? tous les maux, nous devons cultiver un esprit de grandeur et de d?passement. Pr?f?rons la r?volution ? l??meute. Posons des actes fondateurs et historiques au seul profit de notre peuple. Pour cela, il nous faut un tr?sor de s?r?nit?, une infaillible lucidit?. Il s?agit surtout de donner aux populations, parmi les plus atteintes, les plus d?sh?rit?es, la dignit? de vivre et de pouvoir chaque matin regarder leurs enfants sans baisser les yeux. Avant de penser aux fleurs, il faut penser au pain, disait Senghor. A la v?rit?, sans sourciller, nous reconna?trons tous que ce n?est pas le peuple s?n?galais qui a failli dans ses choix, mais bien ceux ? qui il a toujours confi? son avenir. Mais notre destin n?est pas scell?. Il y a l?avenir. Et c?est cela qui forge l?espoir. Aucun homme politique ne peut s?enorgueillir aujourd?hui de venir nous dire que les politiques ont rempli leur mission. La politique a stock? trop de venin dans le corps des s?n?galais. Il faut maintenant d?penser ce venin en repentance et b?tir autrement notre pays. Mon ami l?ambassadeur de Tombouctou disait paradoxalement que ? nous avons besoin des hommes politiques, et les pires, car ce sont ceux-la qui nous tiennent ?veill?s et vigilants au sein d?Etats qu?ils rendent fragiles et d?sesp?r?s ?. Allez savoir ! Le peuple s?n?galais a besoin, quant ? lui, de respect. Le respect est le premier visage de la morale. Evitons de n?avoir demain que le remords comme compagnon de notre r?volte. Nous devons ?tre tous ? la fois responsables de l?honneur de la R?publique et pas chacun, isol?ment, de son propre honneur, m?me si certains ont courageusement choisi de n??tre responsables ni de l?un ni de l?autre. C?est l? le raffinement de l?immoralit?. Cela s?appelle d?un mot : la fin de l?histoire. Notre pays a cette r?putation d??tre priv? d?or mais pas de venin. Ce n?est pas toujours du chaos que rena?t l?ordre. Force doit plut?t rester ? la loi, m?me si il arrive qu?elle soit humili?e, d?consid?r?e ; ? la justice m?me si la n?tre a ?t? accus?e, ? tort ou ? raison, d??tre install?e dans une longue sieste, sinon d??tre ? en guenilles ?. Elle se r?veillera si ce dont on l?affuble est vrai, car je garde d?elle l?image admirable et intraitable de hauts magistrats dont certains, parmi les plus nombreux, ont donn? ? notre pays son rang, d?fendu la d?mocratie au prix de leur vie, fait esp?rer ? la force de croire au droit. La justice est notre ultime recours, car elle seule ? peut montrer la limite de leur puissance aux d?tenteurs du pouvoir et donner sa dignit? ? l?organisation des soci?t?s humaines ?. Hormis Dieu, seule la justice est au-dessus de tout. Toutefois, sachons tous, o? que nous servions, qu?il est des p?ch?s pour lesquels il n?existe de pardon ni sur terre ni aux cieux. Donnons-nous un temps dans ce pays pour ne jamais arriver ? la guerre civile et appelons ce temps: l??ternit?. Battons-nous pour ce que nous construirons ensemble de beau et de grand, pour ce que nos devanciers nous ont d?j? laiss?s de solide et d?exemplaire, et non pour ce que nous allons d?truire pour longtemps en mettant le S?n?gal en p?ril. La d?mocratie n?est pas un confort, c?est un espace de d?saccords et d?adversit?s, mais pas de haine, d?appel ? la mort et au n?ant. Ne jamais oublier surtout que la plus grande humiliation que l?on peut infliger ? son peuple, c?est de laisser l?impunit? vivre et s?engraisser. Nous ne sommes pas encore un pays o? on ouvre la bouche que chez le dentiste.  Le voudrait-on, ne le pourrait-on jamais. Les forces vives de ce pays le d?montrent chaque jour dans leur combat  souffrant mais tenace  pour la libert?.

               C?est un po?te, Paul Eluard, qui nous apprenait ceci : si je suis sur la terre / c?est que d?autres y sont aussi. Ce monde est petit / petit comme une journ?e. Pour dire que personne ne na?t seul, que nous devons veiller ? ceux qui souffrent pr?s de nous, sans micro; que la vie est un a?roport, un espace de transit; que nous devons privil?gier l??thique avant le travail, car elle est le pr?alable ? une soci?t? saine, c?est elle qui r?compense et arme une conscience repos?e et propre, commande la pugnacit? qui ouvre les portes du d?veloppement. Il reste bien s?r le plus inacceptable: l?inculture ! Le S?n?gal est beaucoup trop petit, trop ?troit, et l?Afrique trop inqui?tante encore dans sa marche vers l?unit?, pour que nous nous payions le luxe d?un d?chirement sans nom. On aurait tourn? le dos ? tout ce qui avait jusqu?ici fond? notre nation et notre sp?cificit?. On aurait fait offense ? nos saints, ? nos m?res, ? nos p?res qui ont tant veill? et tant pri? pour leur pays. Ma fiert? c?est quand je suis ? Lisbonne, Tokyo, Moscou, la Havane, Johannesburg, Paris, Hano? ou Cayenne, et que l?on me demande toujours : Comment va donc ce pays o? la gaiet?  est si contagieuse et o? les femmes sentent si bon ? Faisons que nos amis du monde entier, du Sahara ? l?Antarctique, gardent de nous et de notre peuple, pour longtemps, ce sourire s?n?galais qui est le soleil du c?ur.

              Puisse Dieu pr?c?der toujours les S?n?galais, qu?Il commande leur c?ur et b?nisse ce grand petit pays  malgr? les vents mauvais, le fouet des privations. Bonne ann?e ? tous !

                                                                     

Amadou Lamine Sall
Po?te
Laur?at des Grands Prix de l?Acad?mie fran?aise



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