Le président de la République nous est apparu lundi dernier tout nouveau, tout beau, tout sage, tout modéré, tout respectueux, tout humble. On nous l’a bien changé mais dans un sens positif. Un amour de président ! En tout cas, Macky Sall était à l’opposé du chef de l’Etat que nous avons vu ces dernières années, non pas sûr de lui et dominateur comme avait dit le général de Gaulle à propos du peuple juif mais un dirigeant arrogant, suffisant, condescendant envers son peuple qu’il écrasait de sa morgue. A ses yeux, de citoyens ses compatriotes étaient devenus des sujets sur lesquels il avait pratiquement droit de vie et de mort.
Et pas de cuissage heureusement ! Surtout, surtout, Sa Majesté sortait la cravache à tout-va, admonestait à tout-va et emprisonnait à tour de bras de préférence ses principaux opposants, ceux susceptibles de compliquer sa réélection. Entouré par des courtisans zélés, vanté par thuriféraires et des flagorneurs, notre homme avait fini par se considérer comme un demi-dieu. Et se comportait comme l’émir d’une pétromonarchie que le Sénégal n’est pas encore devenu, malgré les découvertes prometteuses de pétrole et de gaz à sa frontière avec la Mauritanie. Bref, le président était juché dans son Olympe et regardait de haut ce peuple qui l’a élu triomphalement en 2012 avant de lui accorder un nouveau bail en 2019. Un nouveau et dernier bail mais voilà qu’encouragé par ses zélateurs, il envisageait déjà de jouer les prolongations comme ses pairs Alpha Condé et Alassane Dramane Ouattara, refusant d’emprunter la voie de la sagesse empruntée par ses autres collègues Mahamadou Issoufou du Niger et Mohamed Oud Abdel Aziz de Mauritanie.
Les « Trois Glorieuses »
Mais tout cela, c’était avant. Avant les « Trois Glorieuses » qu’a connues le Sénégal à partir du mercredi 03 mars 2021 lorsqu’il a tenté de faire emprisonner Ousmane Sonko, son principal opposant du moment. Certes, il n’a pas connu le sort du fantoche abbé Fulbert Youlou, chassé par le peuple congolais (Brazzaville) en 1963 mais on peut dire qu’il a senti passer de très près le vent du boulet. Des pans entiers du peuple sénégalais, jeunesse en tête, ont déferlé dans les rues de plusieurs villes manifestant pacifiquement ou saccageant, incendiant voire pillant. On a assisté à des batailles rangées avec les forces de l’ordre que l’on croyait inimaginables dans un pays aussi pacifique que le Sénégal. Un déchaînement de violence et de colère tel que, très vite, policiers et gendarmes, pourtant suréquipés par le président Macky Sall depuis son arrivée au pouvoir, ont été débordés. A l’arrivée, plus de 10 morts à l’issue de ces « Trois Glorieuses » journées.
Pendant huit ans, le président de la République a pris la passivité des Sénégalais pour de la mollesse voire de la peur et voilà qu’une tentative d’emprisonnement de trop a fait déborder une colère trop longtemps retenue. Surpris, désarçonné par cette éruption, il a d’abord envoyé des féaux pour essayer d’éteindre le feu. Hélas, ils n’ont fait que jeter de l’huile sur le brasier, le rendant incandescent. Finalement, après une intervention — suscitée — de forces religieuses qu’il avait envoyées superbement paître pendant huit ans à chaque fois qu’elles intercédaient en faveur de détenus comme Karim Wade et Khalifa Sall —, il a accepté de s’adresser à son peuple.
En faisant preuve d’humilité et en lançant aux Sénégalais un « Je vous ai compris ! » gaullien. D’ores et déjà, quelques leçons peuvent être tirées de la crise que notre pays vient de traverser. Commençons par ce qui a mis le feu aux poudres et a failli embraser complètement le Sénégal. Il s’agit de la défaillance grave de la justice, un des piliers de l’Etat de droit. Pour plaire au président de la République, des magistrats carriéristes, opportunistes, zélés et couchés ont voulu emprisonner un opposant tout simplement parce que ce dernier risquait de compromettre la réélection du chef de l’Etat pour un troisième mandat. Tout le monde savait dès le départ que l’affaire « Adji Sarr/Ousmane Sonko » était cousue de fil blanc et que le dossier « était vide », comme disent les juristes. Malgré tout, nonobstant la présomption d’innocence d’un homme, député du peuple qui plus est, le procureur de la République Serigne Bassirou Guèye, le doyen des juges Samba Sall et leurs patrons dans la hiérarchie judiciaire ont décidé d’emprisonner Ousmane Sonko parce que c’est ce que Macky Sall voulait.
Si le peuple sénégalais n’avait pas bougé de la manière admirable dont il l’a fait, le leader de Pastef serait en prison à l’heure actuelle au moment où nos magistrats couchés se feraient mousser. De par leur irresponsabilité, couardise et soumission à un homme jusque dans ses désirs les plus irraisonnables, ces juges ont failli brûler notre pays. C’est le comportement d’hommes comme eux qui fait que la majeure partie des citoyens de ce pays ne font pas confiance en leur justice. Cela, nonobstant l’existence dans leur corps de magistrats valeureux et intègres qui jugent en toute équité. Hélas, l’arbre des juges soumis cache la forêt des magistrats honnêtes. C’est bien simple d’ailleurs : si l’Union des Magistrats du Sénégal (UMS) a éprouvé le besoin de sortir un communiqué pour demander à ses membres de juger en toute impartialité, c’est parce que la situation de la justice est grave !
Un complot minable de pieds-nickelés
Pour en revenir à cette affaire Adji Sarr/Ousmane Sonko, maintenant que les langues se délient, on constate qu’il s’agit d’in complot minable ourdi par des « pieds-nickelés » soucieux de plaire au président. Lequel a fauté gravement en refusant de demander qu’on arrête toute cette histoire dès qu’il a été mis au courant de ce qui se tramait. Il ne l’a pas fait et a laissé sa machine judiciaire broyeuse d’opposants se mettre en branle pour écraser Ousmane Sonko après avoir taillé en pièces Karim Wade et Khalifa Sall. Plus encore que ses juges aux ordres, le président de la République est le premier responsable des événements qui se sont produits en ce que, de par son silence et son inaction, il a béni un complot sordide qui visait son principal adversaire. S’il ne l’a pas encouragé. Un complot qui, encore une fois, a failli brûler le Sénégal. L’absence de contrepouvoirs. Malheureusement, comme je l’ai toujours déploré, le Sénégal ne dispose plus de contrepouvoirs. Le président de la République est omnipotent et peut faire à peu près tout ce qu’il veut sans rencontrer d’opposition ou de limites à ses trop nombreux pouvoirs.
L’Assemblée nationale, outrageusement dominée par son parti et la coalition qui le soutient, est une chambre d’enregistrement, un Parlement couché qui ne défend guère les intérêts des populations. La justice, elle, est carrément aplatie et sous la botte du président. Son attitude servile et ubuesque constitue le facteur déclenchant direct de la crise que nous venons de vivre. La propension du duo constitué par le doyen des juges d’instruction et le procureur de la République à exécuter sans hésitation ni murmure toutes les volontés répressives de Sa Majesté Macky Sall ne pouvait que conduire aux événements de mercredi, jeudi et vendredi dernier. Les rares tentatives d’émancipation des magistrats menées courageusement par l’UMS sous la houlette du juge Souleymane Téliko ont été durement réprimées par la vieille garde de la magistrature !
Quant aux syndicats, qui auraient aussi pu s’opposer aux dérives du pouvoir en place, en tout cas défendre tout simplement les intérêts de leurs adhérents, ils se sont livrés pieds et poings liés au président en échange de quelques présidences de conseil d’administration ou de sièges dans des institutions comme le Conseil économique, social et environnemental, le Haut Conseil du Dialogue social, le Hcct et autres. Les seules exceptions sont les syndicats des secteurs de l’éducation et de la santé. Les religieux eux-mêmes, à coups de financement de leurs événements comme les magals et autres gamous, se sont tus.
Pour ce qui est de la presse, on me permettra de ne pas juger un secteur auquel j’appartiens et sur lequel il y a sans doute tant de choses à dire ! Bien évidemment, le premier des contrepouvoirs aurait dû être constitué par l’opposition. Mais voilà, ainsi qu’il avait menacé de le faire, le président de la République l’a réduite à sa plus simple expression. A coups de débauchages, de scissions suscitées, d’étouffement financier, de noyautage et autres, l’opposition a été très affaiblie sous le magistère du président Macky Sall. Un jeu dangereux pour ce dernier car, on l’a vu, en l’absence d’opposition forte c’est la rue qui se fait entendre ! La situation économique catastrophique. Oh certes, le gouvernement se gargarise de taux de croissance mirobolants et d’une « émergence » de notre pays mais, même si la croissance est là, elle ne bénéficie pas aux Sénégalais. Grands groupes français, chinois, turcs, marocains et autres se partagent les gros marchés d’infrastructures et d’équipement tandis que les entreprises nationales sont laissées en rade.
Les milliers de Pme-Pmi, voire de Tpe, sont exclues de ces marchés et ne bénéficient même pas de contrats de sous-traitance. Il en est de même pour la commande publique dont la part du lion va aux groupes étrangers tandis que les hommes d’affaires locaux sont laissés en rade. Or, c’est cette myriade de très petites, petites et moyennes entreprises qui emploient les jeunes Sénégalais, et qui, à la manière des vaisseaux sanguins, irriguent le tissu national, participent aux événements sociaux. Des Tpe-Pme-Pmi dont les dirigeants assurent un rôle de filet social très important. L’argent qu’ils gagnent, pour l’essentiel, reste dans le pays tandis que les profits faramineux, ou même scandaleux dans certains cas, des firmes étrangères sont rapatriés ou prennent le chemin de paradis fiscaux. Résultat : un chômage sans précédent et une très grande pauvreté dans le pays et en particulier dans nos gigantesques banlieues d’où est venue l’explosion de colère et où la charge contre le régime a été particulièrement rude.
Last but not least, la gestion clanique du pays. Dans son discours à la Nation de lundi dernier, le président de la République a dit que nous sommes tous une famille et que nous avons pris place à bord de la même barque. A la bonne heure, il était temps qu’il s’en souvienne ! Car, ces dernières années, on a eu la fâcheuse impression qu’il n’était plus le président de tous les Sénégalais mais celui du clan APR-Bennoo à qui étaient réservés tous les privilèges, toutes les prébendes, tous les emplois, toutes les sollicitudes, toutes les protections. En face, il y avait les citoyens qui avaient commis le crime de ne pas avoir fait allégeance au parti-Etat ! La Patrie avant le Parti, la bonne blague ! Pour compter, il fallait avoir la carte marron-beige ou, à tout le moins, militer au Ps, à l’Afp et autres partis satellites. Ce sont ces millions de citoyens entièrement à part, ostracisés et punis parce que n’appartenant pas à l’APR, qui se sont révoltés durant les « Trois Glorieuses ». Bien sûr, ils n’ont pas tous manifesté mais même ceux d’entre eux qui n’étaient pas dans la rue se sont retrouvés dans le combat des jeunes émeutiers. Il y a évidemment bien d’autres causes à l’éruption de violence mais voilà, c’est le maximum que je pouvais dire dans une page de journal !
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