Il était une fois, un roi d’un des anciens royaumes qui formaient le défunt Empire du Mali. Il avait hérité d’un royaume ni trop prospère ni trop pauvre.
Le nouveau souverain bien qu’âgé, avait une ambition pour son royaume. Son arrivée donc au pouvoir avait suscité beaucoup d’espoir. Aussi, avait-il promis d’agir vite et bien pour le bonheur de ses sujets.
Je ferai appel à toutes les bonnes volontés pour venir reconstruire avec moi ce cher royaume que des mains vieillissantes avaient trop tripatouillé, avait-il dit, lors de son intronisation. Sous mon règne, accéder à une quelconque fonction ne servira pas de rampe à l’assouvissement d’intérêts personnels ou de groupes donnés, avait-il martelé. Notre royaume vivra et prospèrera.
Mais cette euphorie des premières heures du règne de ce souverain pas comme les autres n’avait duré que la vie d’un feu de paille. Le nouveau souverain commença alors à montrer son vrai visage. Oui, l’habitude est une seconde nature. Quand on est rusé, on l’est pour toujours. Il fera tout pour se débarrasser de certains de ses alliés, ceux-là même qui l’avaient aidé à écarter le souverain d’avant lui. Leur carrure et leur personnalité le gênaient manifestement.
Des mois, des années passèrent. Les sujets attendaient toujours comme sœur Anne. Oui, le nouveau souverain leur avait promis beaucoup de choses.
Il avait promis de lutter efficacement contre la corruption et la contrebande qui rongeaient le royaume de l’intérieur. Rien n’avait été fait. Il n’avait non seulement pas tenu sa promesse, mais avait surtout contribué à rendre pérennes de telles pratiques. Ses proches qui, comme lui, jadis, tiraient le diable par la queue avant d’accéder aux destinées du royaume, avaient commencé à s’en mettre plein les poches. Mieux encore, certains anciens dignitaires et proches collaborateurs du souverain de l’époque avaient été réhabilités après avoir retourné leurs vestes, alors qu’ils devaient croupir dans les geôles du royaume.
Il avait promis d’ouvrir des écoles coraniques dans tout le royaume pour que tout enfant de la Cité puisse lire le Grand Livre et mieux comprendre sa religion et la culture qui la sous-tend.
- Avait-il tenu promesse ? Questionna un auditeur.
- Eh bien ! Non. Là aussi, il n’avait pas respecté ses engagements. Il avait plutôt contribué à monter les confréries, les religions les unes contre les autres. Le Mandé et le Fouladou, faut-il le dire, n’étaient pas des aires géographiques à cent pour cent musulmanes. Des animistes étaient et sont encore parmi nous, même s’ils se font trop discrets. Ce qu’il avait mieux réussi à faire, c’était d’inciter des chefs religieux à s’intéresser plus au temporel qu’au spirituel. C’était ignorer totalement que chez les peuples croyants, les facteurs immatériels de développement sont essentiels.
Il avait promis de lutter efficacement contre la fracture et la justice sociales.
Mais, hélas, des années après, les sujets commencèrent à se mordre le doigt.
- Par ailleurs, n’avait-il pas aussi promis du travail à une jeunesse découragée ? Celle-ci n’avait-elle pas plus d’une fois exprimé sa colère sous le règne de l’ancien souverain, un souverain sans vision et ambition pour elle ? Tonna un membre de l’assistance.
- J’allais en venir. Ne me coupez pas l’herbe sous le pied.
Oui, il avait promis du travail non seulement aux jeunes abandonnés à eux-mêmes dans les grandes villes, mais aussi à ceux tentés par l’exode rural ou l’immigration. Il avait promis de les fixer et de les occuper utilement.
Là aussi, je dois vous dire que le souverain n’avait pas honoré sa parole. Les résultats ne se firent pas attendre. En témoignent l’insécurité dans les grandes villes, les crimes crapuleux et les agressions de toutes sortes.
Des hivernages s’étaient succédé. Las d’attendre, les jeunes du royaume commencèrent à aller au-delà des limites du royaume du Mali pour voir ce qui s’y passe. Ils avaient exploré les royaumes plus prospères tel que celui du Songhaï pour se développer, voire s’épanouir. Certains avaient bravé les eaux du Nil, de la Méditerranée et du Niger au prix de leur vie. Quelques-uns étaient arrivés à bon port. D’autres, harassés qu’ils étaient, avaient été secourus et reconduits à leur port de départ. Des corps seront même refoulés par les vagues d’un fleuve, d’une mer ou d’un océan en furie.
Un jour, il vint à apprendre que dans certaines cours royales comme dans la sienne, on parlait de son âge et de son incapacité à remettre le royaume sur les "starting-blocks". Oui, les sujets voulaient d’un roi capable de faire confiance et de mettre en confiance les sujets du royaume dont il présidait aux destinées. Des rumeurs persistantes disaient que quelqu’un, quelque part, n’avait d’yeux que pour son trône. On lui avait même soufflé qu’il ne s’agissait pas d’un cas isolé. C’était un groupe dûment constitué. Il craignit alors pour son siège. Cette phobie l’avait amené à verser dans le tout répressif.
Faire mention de l’âge du monarque devint un sacrilège. Parler de l’origine de la fortune de son entourage, être un proche de celui qu’il a éloigné des affaires du royaume furent des crimes de lèse- majesté.
De temps à autre, il prenait des bains de foule pour mesurer le degré de sa popularité. Le dernier en date lui avait laissé un goût amer. Il fallait s’y attendre. Il avait écarté les conseillers qui avaient toujours assisté les souverains dans les affaires de la cité. C’était l’exemple du tonitruant "Dialy Baa" plus connu sous le sobriquet de "Kumafola" . Celui-ci n’avait vraiment pas sa langue dans sa poche.
Une semaine après, le souverain fit venir le plus âgé de ses griots, Dialy Baa. Après les formalités d’usage, le roi apostropha son interlocuteur.
- Dialy Baa ! Que se passe-t-il dans ma cour ? Depuis quelques temps beaucoup de nouvelles me parviennent.
- Souverain d’ici-bas, vous avez bien fait de m’appeler. Je ne dors plus depuis des mois.
- Et pourquoi ?
Ce que j’ai vu en consultant les astres comme j’ai l’habitude de le faire depuis la nuit des temps, m’a mis hors de moi.
- Qu’est-ce que tu as vu ? Qu’est-ce que tu as vu ? Répéta le souverain.
C’était pour la première fois que ce griot dont les pouvoirs mystiques étaient sans faille avait vu le souverain dans un tel état d’excitation. Il gesticulait et avait du mal à se contenir.
- Parle Dialy Baa, parle. Je sais que tu ne m’épargneras pas. Parle. Je te prêterai une oreille attentive.
Le griot le fixa longuement et lui dit.
- Ce que je vais vous dire ne va pas vous plaire. Si vous tenez à ce que je parle, je parlerai. Mais, il ne faudra pas m’en vouloir.
- Tu es le seul à pouvoir me faire revenir sur mes décisions sans rechigner. Alors, parle.
- Prenez place, Souverain. L’avenir de ce royaume m’inquiète. J’ai vu une fin de règne.
A ces mots, le souverain sursauta. Le griot, quant à lui, garda son calme. Après quelques minutes de concentration. Le roi revint à la charge.
- Si tu le dis, je te crois. Y a-t-il un moyen de conserver le pouvoir ? Tu sais tout ce qu’il m’a coûté.
- Oui, mais vous n’avez pas fait ce qu’il fallait faire pour le garder. Vous avez déçu vos sujets. Le peuple souffre. Et c’est aujourd’hui que vous m’appelez pour me demander ce qui se passe, ce que vous devez faire pour demeurer au trône. Je ne sais honnêtement pas quoi vous dire. Je ne peux vous faire que quelques suggestions, sans savoir si elles vous seront d’une grande utilité. Le peuple, une fois de plus, est vraiment remonté contre vous. On n’a jamais vu, depuis la nuit des temps, des sujets d’un royaume du Mandé se soulever contre leur souverain. Cela risque d’arriver, et sera alors une première avec vous.
- Dialy Baa ! Parle. Dis-moi ce qu’il faut faire.
- Convoquez une rencontre avec vos frères d’armes. Vous les connaissez. Vous êtes leur aîné. Parlez-leur en langage de vérité. Mettez en avant l’intérêt du royaume. Faites vôtres les aspirations de vos sujets. Ce n’est certainement pas ce que vous avez fait jusqu’ici. C’est tout ce je puis vous suggérer.
- Comment vais-je m’y prendre ? Tu les connais mieux que moi. Certains d’entre eux sont imperméables à mes appels. Ils sont souvent prompts à me renvoyer aux cordes.
- Essayez. Cela ne vous coûte rien d’essayer. Mais, n’oubliez pas que vous avez fait trop de mécontents, que vous avez trahi certains de vos frères qui, aujourd’hui, vous en veulent et vous savez de qui je parle. N’oubliez-vous pas non plus que vous avez aussi jeté en pâture certaines personnes, humilié et/ou fait humilier d’autres sujets. Regardez autour de vous. Qui vous entourent ? Vos pourfendeurs d’hier et ceux qui n’ont pas les mains propres. Ai-je besoin de vous rappelez que vous aussi, vous n’avez pas les mains propres dans des affaires de corruption et d’autres encore ? Votre nom est mêlé aux affaires non encore élucidées d’un royaume voisin. Essayez toujours souverain. Il faut oser. Vous aurez trois ou quatre de vos frères et peut-être même plus qui seront sensibles à votre appel autour de l’essentiel. Mais, qui seront-ils ? Je ne suis pas en mesure de vous le dire. Tout ce que je sais, c’est qu’ils ne seront pas nombreux à venir taper à votre porte.
- J’ai tout compris Dialy Baa. N’en rajoute pas. Il est vrai que j’ai déçu plus d’un, à commencer par toi. Et pourtant, je croyais avoir bien commencé.
- Je suis ravi de vous entendre dire cela. Une fin de règne annoncée n’a jamais été une mince affaire pour celui qui la vit. Cependant, il faut toujours s’y préparer surtout quand un peuple se sent floué.
- Dialy Baa ! Dialy Baa! Dialy Baa! Laissez-moi seul. J’ai besoin d’être seul. J’apprécie ton franc-parler. Les contre-vérités pour ne pas dire mensonges de mon entourage sont à l’origine de ce je vis en ce moment. J’avais aussi été trop imbu de ma personne.
- Souverain adulé, comme vous le savez, vous avez toujours été premier en tout. Nous savons qui vous êtes et ce que vous valez. De grâce, donnez la chance aux autres. Il ne sert à rien de rafraîchir les institutions du royaume à des fins personnelles ou pour une personne de votre choix. Laissez le peuple décider souverainement car, comme le disait jadis un empereur, \"la grandeur n’est pas dans l’acte, elle est dans la manière de l’accomplir\". Si vous êtes un souverain de la trempe de ce dernier comme vous le laissez croire, alors agissez en homme responsable. Renoncez au pouvoir. Vous avez ici une belle occasion pour le faire. Si vous ne la saisissez pas, vous le regretterez pour le restant de vos jours. Merci de m’avoir prêté une oreille attentive.
Les mots du griot n’étaient pas tombés dans l’oreille d’un sourd.
En effet, une semaine après leur rencontre, on nota un léger changement dans la vie de la cour royale. De nouveaux visages s’étaient fait voir. C’étaient encore des vautours dont la seule ambition était d’avoir leur part de la bête en putréfaction avancée. Ils avaient été les seuls à répondre favorablement à l’appel du prince régnant. Mais, ce n’étaient pas les grosses pointures qu’il voulait. Celles-ci étaient restées sur leur position d’hier. Si l’on n’a pas ce que l’on veut, on se contente de que l’on a, devait-il se dire.
On apprendra par la suite, que face à la détermination de ses frères ennemis et à l’attitude de la jeunesse, le roi avait fini par jeter l’éponge. Il ne tenait pas à être la risée du royaume. Il avait agi en sage pour laisser aux plus jeunes le soin de mener le royaume à bon port. Il avait de ce fait suivi les conseils de celui qu’on appelait le Kumafola. Quand on n’a plus le soutien du peuple qui nous avait porté au trône, quand on a déçu certains sujets et déshonoré d’autres, mieux vaut se retirer à temps. C’est ce qu’enseigne la sagesse.
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