La Caisse nationale de crédit agricole du Sénégal, créée en avril 1984 avec un capital de 2,3 milliards de francs Cfa par l’Etat du Sénégal ainsi que des privés sénégalais et étrangers, a comme mission principale la promotion des activités économiques, surtout en milieu rural, grâce à une distribution efficace du crédit. Elle est inscrite sur la liste des banques en juin 1985 afin de lui permettre de mobiliser l’épargne intérieure, et ainsi disposer de plus ressources pour fournir des activités bancaires universelles.
Ainsi, depuis 1984, le réseau de la Cncas s’est développé pour se rapprocher davantage de sa clientèle avec actuellement un peu moins de vingt agences et bureaux dans le territoire national pour un total du bilan estimé à 88 milliards francs Cfa en 2004, soit au 7e rang dans le classement des banques, en terme de taille du bilan, loin derrière la Sgbs et la Cbao qui sont à plus de 300 milliards de francs Cfa. Cette faible performance se constate également dans les rubriques (Ressources collectées, concours à l’économie, produit net bancaire et résultat net….) où la Cncas est à la traîne. Dans le site Internet de la Cncas, on y lit que sur 5 ans, la banque a alloué un total de 171 milliards de francs Cfa en crédits à l’économie, beaucoup moins que la Sgbs, par exemple, qui sur une seule année (2004), a injecté plus de 250 milliards de francs Cfa dans les activités économiques.
L’examen des ratios (Roa : Return On Assets : rendement des actifs, Roe : Return On Equity: rendement des capitaux propres, la Productivité : Frais Généraux/ Revenus) montre qu’il y a des choses à améliorer dans la gestion de la banque.
Cette faible performance de cette institution financière, ayant le statut de banque et en plus recevant des fonds publics, s’explique en grande partie par un management inapproprié. Le mode de management de la Cncas est caractérisé par un laisser-faire très visible dû à une absence de vision claire, compréhensible et partagée qui se traduit dans le comportement quotidien des employés. Ce leadership anachronique et défaillant impacte négativement sur l’ensemble des activités de la banque.
Aujourd’hui, la Cncas ressemble beaucoup plus à une grosse bureaucratie inefficace qu’une véritable banque soucieuse de bonnes performances et de création de valeur pour ses actionnaires et ses clients. En effet, pour un service financier, le personnel de première ligne, c’est-à-dire les agents en contact quotidien et direct avec la clientèle, constitue un véritable indicateur du type de management et surtout du management du service à la clientèle en vigueur au sein de l’organisation. Dans une banque, la plupart des produits sont des services intangibles qui sont livrés et consommés en même temps. Les clients en évaluent la qualité à partir de la prestation, d’où l’importance du rôle de ce personnel de première ligne qui constitue le premier agent de commercialisation de la banque et souvent, il n’y a pas de seconde chance. D’où la très grande valeur des relations entre les clients et ceux qui les servent. Un client satisfait est plus facile à fidéliser et un client fidèle constitue une source de revenus. C’est pourquoi Peter Drucker explique : ‘The purpose of the business is to create a satisfied customer.
Profit is not the objectif, it is the reward. Among the stakeholder in any company, the customer comes first because all the others are served best when the customer is satisfied’. En un mot, Drucker dit que l’objectif pour une organisation, ce n’est pas le profit, c’est la satisfaction de la clientèle. Le profit n’est que la récompense.
Il suffit d’entrer au siège de la Cncas, à la Place de l’Indépendance, pour constater rapidement la qualité des ressources humaines et le piètre service qu’elles livrent aux clients. On se croirait dans un centre d’état civil ou un commissariat de police. Les informations reçues laissent entendre que le recrutement du personnel s’opère de façon légère et sous le contrôle du Drh qui apparemment est loin de maîtriser les secrets et les outils nécessaires à la dotation et à la gestion des ressources humaines dans les services financiers. Les nombreux stagiaires de sexe féminin dans l’ensemble du réseau de cette institution qui, souvent, n’ont aucune formation requise pour travailler dans une banque, mais qui, en raison de relations personnelles et privilégiées avec des responsables, se retrouvent rapidement avec un Cdi ou Cdd, contribuent à rendre la Cncas pléthorique et inefficace.
Cette négligence dans le management se retrouve également dans la gestion des opérations bancaires. Certains employés dénoncent régulièrement et sans succès le laxisme dans le contrôle interne. Les détournements d’argent sont fréquents dans cette banque et restent souvent longtemps sans être détectés par les contrôleurs. Les employés manipulent comme ils le veulent les chèques et autres ordres de paiements des clients, les caisses connaissent souvent des manquants et même les stagiaires dans beaucoup d’agences accèdent à des informations sur les comptes des clients sans véritable contrôle.
Et le plus scandaleux, le Top management de la Cncas tolère les détournements fréquents qui sont le fait d’agents de la banque. Comme cet agent B. S. qui aurait détourné de façon banale 600 millions dans une agence régionale, comme une employée qui s’est servie sur une longue période jusqu'à un montant de 50 millions francs Cfa dans une autre agence régionale ainsi qu’un autre détournement mené par un agent à hauteur de 14 millions. Et ces faits constituent la partie visible de l’iceberg scandalo-financier de la Cncas que les dirigeants s’empressent d’étouffer sans engager les poursuites pénales nécessaires dans ces situations.
Face à tout cela l’actuel Directeur général adopte la stratégie d’évitement, en refusant de prendre les décisions que ses responsabilités lui imposent en tant protecteur des fonds des déposants et surtout garant de la bonne utilisation des deniers publics affectés à cette banque (…) Les représentants du personnel de la banque restent également muets sur la véritable situation de l’organisation en raison de leur connexion avec la Direction. Le dernier renouvellement du bureau s’est opéré de façon peu catholique sans la participation de la grande partie du personnel de la banque.
Et pourquoi l’Etat, en l’occurrence le ministère de l’Economie et des Finances qui assure la tutelle de la Cncas, observe et ne dit rien ? Difficile de l’accepter pour une institution qui normalement devait être parmi les premières, sinon la première banque au Sénégal.
Un rapide coup d’œil sur le système actuel de gouvernance de la Cncas explique certaines choses. En effet, la personne qui assure la présidence du conseil d’administration de cette institution donne un début de réponse. Un ancien cacique du régime socialiste très connu à Kaolack et qui avait fait une déclaration qui continue de choquer les Sénégalais et qui a déposé ses baluchons dans le camp libéral au lendemain de la défaite de son parti pour sauver sa tête. Les autorités actuelles lui donnent un pâturage idéal pour qu’il continue à brouter tranquillement les bonnes herbes de la République. Il est clair qu’une telle personne ne peut pas contribuer à développer une bonne gouvernance et une transparence au sein d’une institution dont il contribue actuellement à faire déraper les dépenses de prestige pour le Pca.
De plus, les agronomes sont plus nombreux que les financiers dans le top management de cette banque comme si l’on croit qu’en raison de sa spécificité, la Cncas doit être confiée à des spécialistes du monde rural plutôt qu’à des experts du monde financier. Grosse erreur, car les services financiers exigent des compétences critiques que l’on doit posséder pour comprendre l’importance et la délicatesse du métier, surtout dans un environnement de forte concurrence où il faut savoir mobiliser son personnel de façon appropriée et lui fournir le soutien organisationnel nécessaire afin que son rendement soit maximal. Certes, les agronomes sont nécessaires comme conseillers, mais la Cncas a besoin d’experts financiers capables de concevoir des produits et services financiers attractifs et compétitifs, des stratèges capables de lire l’environnement économique et financier et de voir les opportunités rapidement en vue d’y engager la banque pour collecter plus de ressources en vue qu’elle remplisse de façon importante sa mission.
Ces directeurs et chefs de service ou d’agences sont gracieusement payés et bénéficient d’avantages qui ne s’expliquent aucunement en raison des faibles performances de la banque. La motivation des cadres et des autres employés est nécessaire, mais elle doit se faire suivant des critères de rendement basés sur des évaluations périodiques et objectives du rendement Il est plus qu’urgent de procéder à la reprise en main de cette institution financière en commanditant une mission d’audit externe qui fera le diagnostic complet de la banque, aussi bien ses ressources humaines que ses stratégies et activités. Sinon la Cncas risque d’exploser un jour en causant beaucoup plus de dégâts collatéraux en raison de ses interventions dans un secteur économique actuellement fragile, mais stratégique pour le pays.
C’est pourquoi au nom de l’intérêt supérieur des parties prenantes, je demande aux autorités de s’intéresser davantage à cette institution financière avant qu’elle ne touche le point fatal.
Doudou CISSE Consultant en management des organisations
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