Les colonisateurs ont substitué l’agriculture vivrière à l’agriculture de rente en Afrique. Ce système a été maintenu après les indépendances, dans un premier temps pour assurer « l’intégration » de cette partie du monde au commerce international, et plus tard pour « payer la dette extérieure ».
Pour se nourrir, les états africains importent les céréales qui sont moins coûteuses que les produits locaux. Le contexte mondial actuel a occasionné la flambée des prix des céréales alors que les pays africains n’ont prévu aucune mesure pour y faire face. Devant l’impuissance des états, ce sont les « émeutes de la faim » qui se développent dans beaucoup de pays du continent. Mais quelles sont les véritables causes de cette situation ? Comment sortir de la faim en Afrique ? Nous tentons de répondre tour à tour à ces questions.
Les signes de la faim apparaissent au grand jour dans le monde. Mais ce n’est pas nouveau. Les médias occidentaux montrent souvent des enfants africains sous alimentés dans des zones de conflits. Ces zones n’ont pas le monopole de la sous alimentation. Le Sénégal n’est pas une zone de crise armée[1]. Là-bas aussi les enfants meurent de faim. Les structures sanitaires reçoivent à longueur de journée des parents conduisant leurs enfants atteints de malnutrition. Le Sénégal, comme beaucoup de pays du continent africain, importe ce que sa population mange et exporte sa production agricole.
En effet, depuis la colonisation, les pays africains réalisent une agriculture de rente (coton, arachide, cacao, café, etc.). Le riz, le blé, et les autres céréales consommées (riz, blé, mil, etc.) par les populations sont importées des zones où les coûts de production sont les plus bas (principalement l’Asie pour le riz, l’Europe et l’Amérique). Il faut parcourir des milliers de kilomètres pour les acheminer dans les zones de consommation. Avec la crise pétrolière caractérisée par le prix du baril qui ne cessent d’augmenter (plus de 114 $ le baril de pétrole le 16 avril 2008), les coûts d’importation des céréales s’accroissent logiquement entraînant la hausse des prix de ces produits dans les marchés des pays les plus pauvres (34 pays parmi les 50 les moins avancés au monde sont africains[2]). Le renchérissement des prix du pétrole est donc une cause de l’augmentation des prix des produits céréaliers. Il faudrait alors trouver une alternative au pétrole pour résoudre le problème et faire d’une pierre deux coups (en réduisant la destruction de la couche d’ozone qui risque de précipiter la fin du monde selon les militants écologistes). Pour réduire l’impact du pétrole, on fait la promotion des « biocarburants ». Autant pour moi des « agro-carburants » pour ne pas offenser les défenseurs de l’agriculture biologique. Pour la production des fameux « agro-carburants », il faut mobiliser des terres fertiles. C’est le cas aux Etats-Unis. Certains pays africains se proposent même de produire des « agro-carburants ». Le Sénégal a ainsi lancé en fin d’année 2007 la production d’éthanol dans les champs de la compagnie sucrière sénégalaise[3].
Le choix est de faire « marcher les voitures ». Au même moment, des hommes meurent de faim. Les organisations non gouvernementales (ONG) interpellent de plus en plus la communauté internationale sur « ce choix » de « nourrir les voitures » et non les hommes. Si l’argument « sauvons l’environnement » pour un développement durable est noble, faudrait t’il oublier qu’il y a des hommes, en particulier des enfants à une écrasante majorité, qui meurent de faim. Les enfants concernés n’auront pas la possibilité d’avoir des enfants. Pour eux « le droit des générations futures d’hériter d’un monde qui leur permettent de satisfaire à leurs besoins » n’est que fantaisie. Déjà, eux ne pouvant pas satisfaire à leurs besoins actuels, les plus élémentaires : « se nourrir ». Il est donc clair que le choix des « agro-carburants » pour faire face à la crise pétrolière et pour la protection de l’environnement n’est pas du tout la bonne solution. C’est même une mauvaise solution, osons le dire. La crise pétrolière n’est pas la seule cause de la cherté des prix des produits céréaliers.
Le développement économique de pays peuplés, anciennement sous-développés, est une autre cause de la crise alimentaire actuelle. Même si tous les individus en Chine et en Inde n’arrivent pas encore à se payer tout ce qu’ils veulent, un bon nombre de chinois et d’indiens ont vu leurs conditions de vie s’améliorer considérablement. Ces gens aspirent à une vie de meilleure qualité. Ils consomment plus de viande qu’auparavant. Il faut plus de bœufs et de porcs pour satisfaire aux besoins des chinois et des indiens. Ces animaux sont à nourrir. Il faut plus de céréales pour la nourriture de ces bêtes. Dans ce contexte, la demande de céréales a considérablement augmenté. Une des lois économiques les plus populaires est « la loi de l’offre et de la demande ». Selon cette loi, si l’offre est supérieure à la demande, les prix augmentent. Nous sommes clairement dans une telle situation, compte tenu de la flambée des prix du pétrole et la production d’ « agro-carburants ». Faudrait il alors demander aux chinois et aux indiens de réduire leur consommation de viande pour maintenir la demande de céréales dans une situation équilibrée par rapport à l’offre? La morale humaine ne saurait excuser une telle demande. Des populations qui se sont autant privées et battues pour arriver à cette situation, mériteraient d’en profiter et de se faire plaisir. Dès lors comment sortir de la faim en Afrique ?
Voilà une question à 1000 milliards de dollar. Ce n’est pas une exagération quand on voit défiler dans les chaînes de télévision des pays occidentaux les « émeutes de la faim ». Le gouvernement haïtien a été renversé par ces soulèvements populaires contre la vie chère. Au Sénégal, cette vague a en partie emportée avec elle le ministre de l’intérieur. Dans certains pays, on note des morts d’hommes. C’est le cas en Egypte. Au même moment des personnalités de la communauté internationale s’élèvent contre la vie chère dans les pays pauvres. Jacques Diouf, président de la FAO (organisation des nations unies pour l’alimentation), Dominique Strauss Kahn, président du FMI (fonds monétaire international), Jean Ziegler, Rapporteur spécial de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU pour le droit à l’alimentation et auteur de « L’empire de la honte », Jacques Chirac, ancien président de la France. Les ONG ne sont pas en reste : Action contre la faim, Oxfam, et d’autres encore se mobilisent pour trouver des solutions à la faim dans le monde. Malgré leurs bonnes intentions, force est de constater que la solution ne peut pas provenir directement de ces acteurs. Ce sont les pays occidentaux et l’Afrique, oui l’Afrique, qui doivent s’engager fermement dans la recherche de solutions durables contre la faim dans le monde.
En exerçant un vrai dumping social, les pays occidentaux ont grandement participé à l’aggravation de la situation actuelle. L’Europe et les Etats-Unis subventionnent leurs productions agricoles destinées à l’exportation de sorte à écraser les producteurs locaux dans leur propre marché. Jean Ziegler cite à juste titre, dans le film « We feed the world » ou le Marché de la faim, l’exemple du marché Sandaga où plus de 90% des fruits et légumes qui y sont vendus proviennent de l’occident. Les agriculteurs sénégalais qui « travaillent plus de 12 heures » ne peuvent pas faire face aux produits importés dont leurs coûts sont absorbés par les subventions des pays occidentaux. Face à cette concurrence déloyale, à cette iniquité du commerce international, les producteurs africains ont tout simplement abdiqué préférant tourner le dos au monde rural. Les plus jeunes préférant investir les zones urbaines où ils vivent dans des situations de déchéance humaine incommensurable, s’ils ne payent pas de leur vie les tentatives pour rejoindre l’Europe avec le fameux slogan « Barça mba barsaax » ou « l’Europe ou la mort ». L’Afrique est donc sans bras pour cultiver ses terres et nourrir son peuple. L’appel d’Abdoulaye Wade pour un retour vers l’agriculture dénommé « Plan REVA » est tombé dans des oreilles de sourds. Les jeunes ayant répondu par une intensification des tentatives d’émigration clandestine. Les subventions des produits agricoles destinés à l’exportation par les pays occidentaux ont ainsi occasionné l’exode rural, signant la mort de l’agriculture africaine. Dès lors, une attitude sincère des pays occidentaux serait l’abandon pure et simple de l’exportation de produits agricoles vers les pays africains, un appui considérable pour la réhabilitation de l’agriculture africaine et la transformation des produits agricoles sur place en Afrique grâce au développement d’une petite et moyenne industrie. Malheureusement, ce n’est pas l’orientation que semble prendre l’Union européenne qui demande aux pays ACP de signer les accords de partenariat économique (APE) qui consistent à enrayer les seules barrières (déjà très impuissantes) qui freinent une totale inondation des marchés africains par des produits venant d’Europe. Toutefois la responsabilité n’incombe pas totalement aux pays occidentaux.
Les états africains ont aussi une grande responsabilité dans le contexte actuel. L’Afrique peut être accusée de manque de vigilance en optant d’importer ce qu’elle mange et non de privilégier la production locale. Après les indépendances, les états africains ont préféré maintenir une agriculture de rente espérant prendre part ainsi au commerce international. Le choix était d’exporter des produits de base sans transformation. Ces produits, à faible valeur ajoutée, génèrent de faibles revenus incapables de financer les dépenses sociales (santé, éducation, sécurité), économiques (infrastructures, recherche, industrialisation, etc.). Pour financer quelques uns de ces postes, notamment la santé, l’éducation, les salaires de la fonction publique (la principale source d’emploi pour les populations africaines après les indépendances), l’Etat s’endette d’abord auprès des anciens colonisateurs et des Etats-Unis, et ensuite auprès des institutions de Bretton Woods, le FMI (fonds monétaire international) et la BM (banque mondiale). Pour le remboursement de la dette, les bailleurs de fonds demandent aux états africains de maintenir l’agriculture de rente pour payer le service de la dette. Malgré les remboursements, la dette est toujours dans un état tel qu’elle entrave toute perspective d’investissement dans d’autres secteurs. Même si de plus en plus on se pose la question de la légitimité de cette dette dont le principal est depuis plus de 10 ans composé de pénalités pour retard de paiements et d’accumulation d’intérêts non payés[4]. L’évidence est que l’agriculture de rente ne peut pas régler la question de la dette, encore plus au moment où les pays occidentaux choisissent de substituer aux produits de base africains des produits génétiquement modifiés moins coûteux et plus rapide à produire. Ainsi, l’Afrique ne produit pas pour vivre. Elle ne peut plus vendre ce qu’elle produit. L’Afrique file droit vers une pauvreté encore plus forte qui se manifeste par les images des émeutes de la faim et par les corps de jeunes africains échouant dans les plages espagnoles, marocaines, et sénégalaises.
La solution est que les africains, notamment les gouvernants, reprennent le destin de l’Afrique en main. Joseph Ki Zerbo a raison de dire que le développement économique de l’Afrique passera par trois voies : assurer le minimum vital aux plus pauvres, l’intégration africaine pour la mutualisation des ressources humaines, naturelles et financières de l’Afrique (seul moyen pour mobiliser des investissements endogènes importants et servir de débouchées suffisantes pour la production africaine), et enfin renforcer le rôle de l’état pour lui permettre de défendre les plus démunis face à la volonté des plus riches d’écraser tout ce qui peut entraver leur enrichissement individuel. Quand on traduit les recommandations de Ki-Zerbo dans le cadre de la crise alimentaire, cela pourrait se traduire par une politique agricole plus ambitieuse des états africains.
Une telle politique viserait à abandonner purement et simplement l’agriculture de rente, et se tourner exclusivement vers l’agriculture nourricière. Autrement dit, les états africains choisiraient dans un cadre d’unité africaine de produire, en fonction des avantages comparatifs des différentes parties du continent, les céréales nécessaires pour la nourriture de l’Afrique. La politique agricole de la Chine, après la révolution est une bonne source d’inspiration en l’adaptant au contexte mondial actuel. En effet, on inciterait les familles africaines à retourner vers l’agriculture, mais dans une perspective qui dépasse largement le « plan REVA » d’Abdoulaye Wade. Au Brésil, le président Loula a instauré ce qui est appelé la « bourse familiale ». C’est un revenu minimal qui permet aux familles brésiliennes même les plus pauvres de se nourrir, d’éduquer et de veiller sur le plan sanitaire les enfants. Voila des exemples réels auxquels il faut s’inspirer pour résoudre la faim en Afrique. Nous pensons qu’un réel service public de l’agriculture est une solution pertinente. Cela va passer par une réforme agricole qui consistera à faire des agriculteurs des « fonctionnaires » de l’état qui sont assurés de percevoir des salaires en contrepartie d’un travail effectif dans l’ensemble de la chaîne de valeur agricole.
On peut se poser dès lors la question du financement d’une telle politique. Aujourd’hui, nul n’ignore que des montants considérables sont injectés dans la lutte contre la pauvreté et les pandémies qui lui sont associées (santé, éducation, état civil, etc.) aussi bien par des acteurs internes qu’externes, en particulier les bailleurs de fonds internationaux et les partenaires au développement de l’Afrique. Toutes ces parties prenantes sont interpellées et ont l’occasion de procéder à une orientation plus efficiente des ressources. La résolution de la faim en Afrique, est le départ de toute perspective de développement durable. Pour éviter un embrasement des émeutes de la faim et une accélération de l’immigration clandestine qui à terme entraînera l’envahissement des pays européens, il est temps d’agir mais avec sincérité. Les intérêts des entreprises transnationales, vecteurs de la mondialisation sauvage, inégalitaire, et antisociale, doivent passer après la « sécurité mondiale ». Oui, la sécurité mondiale car le prix Nobel de la paix octroyé à Muhammad Yunus en 2006, est un signe que la pauvreté est un vecteur de conflits et de tensions au niveau mondial. L’incapacité de satisfaire aux besoins humains de base, l’alimentation, n’est elle pas la manifestation la plus parfaite de la pauvreté ?
Birahim GUEYE
Enseigant-Chercheur IAE de Lille
Membre du LEM (Lille Economie et Management)
UMR CNRS 8179
Président de l’association pour la valorisation des initiatives de la diaspora africaine (AVID)
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