Pincez tous vos koras, frappez les balafons !
Sortez, accourez, venez tous contempler cet être splendide !
Sa majesté, son immensité Djinné Maimouna !
Elle a réussi tout simplement là où tout le monde a échoué lamentablement ; elle a réussi à faire comprendre enfin aux sénégalais que les rites de passage que sont les examens doivent être une entreprise collective et non une compétition égoïste.
En effet dans les sociétés anciennes, au moment des rites de passage comme les circoncisions ou les excisions, c’est toute la collectivité qui se mobilisait ensemble pour faire les mêmes incantations, pour se protéger ensemble contre les mauvais esprits et pour s’attirer la protection et la clémence des bons.
Cet aspect collectif et uni dans la recherche des faveurs comme dans la protection contre le malheur est ce qui fait cruellement défaut aux sociétés actuelles qui autonomisent les individus et les poussent à une compétition corrosive et empreinte de jalousie, et ce jusqu’aux écoles à travers les examens de passage. Alors faudrait-il déscolariser nos sociétés ?
On serait tenté de répondre par oui, si le mal n’était qu’à l’école, mais malheureusement il gangrène toute la société présente et dans tous les domaines.
Et la prouesse de Djinné Maimouna n’a été que de rappeler que face à un défi, il vaudrait mieux l’affronter collectivement et non « chacun pour soi, dieu pour certains » !
Emerveillé, je le fus et le demeure quand j’ai vu des écoles organiser des séances collectives de prières pour conjurer ensemble le sort en faisant appel aux imams et prêtres, et à tout autre recours qui pourrait apaiser l’anxiété de nos enfants.
Une anxiété qui se traduit de plus en plus par des hystéries collectives depuis que ces êtres à la fleur de l’âge sont pris en otage entre le marteau des enseignants et l’enclume de l’état. Et nous voudrions qu’ils soient zen, seuls pour affronter un avenir incertain avec une maigre monture que constitue le peu qu’ils ont pu recevoir des enseignants à cause des grèves cycliques et érosives.
Une fois de plus, merci à Djinné Maimouna ! Si elle m’entend, j’aimerais bien l’épouser !
Cela dit, ce que Djinné Maimouna révèle encore, c’est notre croyance aux forces occultes bénéfiques ou maléfiques, et face à une rivalité quelconque (examen, voyage, mariage, baptême, décès, etc.), chacun essaye d’avoir avec soi ces êtres pour arriver à ses fins.
Et cette transaction se matérialise souvent par de petits objets qu’on a par devers soi et qu’on appelle talisman, gris-gris, fétiche, amulette, eau bénite, etc.
Cependant, ici aussi il y a lieu de dire que devant cette « rivalité », chacun a besoin de se sentir accompagner, de se sentir en relation avec quelqu’un d’autre. Ainsi, peut-on dire que ces objets constituent beaucoup plus un besoin de relation, de protection, de compréhension, de compagnie qu’un besoin d’objet quel qu’il soit.
Alors, devant cette rivalité que chacun a en lui, devant et autour de lui, il urge de rappeler que le plus grand Djinn, le plus grand talisman ou gris-gris dont l’être humain a besoin et surtout les plus jeunes, c’est encore et toujours tout simplement, son semblable dans toutes les épreuves.
Si l’individu sent qu’il est laissé abandonné à lui même, comme ces élèves dans ces situations de grèves interminables, il se cherche un autre appui si ceux-là qui devaient l’appuyer pour une raison ou pour une autre, ne le font pas pour une raison ou pour une autre.
Dans cette même lignée, il y a lieu de convenir que plus que dans les autres types de société, celle qui se présente devant nous, requiert manifestement plus ce besoin de refonder les liens sociaux et de les raffermir. Des liens sociaux qui mettront en avant plus cette nécessité qu’ont les individus de se sentir accompagnés, soutenus, compris et unis pour le meilleur et pour le pire, devant le malheur comme dans le bonheur, devant l’incertitude comme dans la certitude.
Mais en soutenant que les sociétés présentes, par leur recours aux gris-gris, talismans et autres, manifestent le besoin des individus de compagnie, de relation, d’appui poussent si besoin en est à se poser la question de savoir si les sociétés d’avant, qui en faisaient plus usage, en avaient plus besoin ? Cela peut paraître paradoxal si on pense que les liens sociaux traditionnels sont plus raffermis. Cependant, il y a lieu d’attirer l’attention sur le fait que ces sociétés étaient plus irrationnelles parce qu’elles étaient plus désarmées devant les phénomènes naturels. C’étaient des sociétés à état théologique ou métaphysique pour emprunter la terminologie de Auguste COMTE. Leur irrationalité qui n’était pas du tout insensée, était aussi une marque d’un besoin énorme de compagnie, de relation, de protection. Tout ce qui arrivait ou n’arrivait pas, dépendait de le volonté de ces êtres invisibles (dieu, dieux, djinns, etc.).
Les sociétés d’aujourd’hui n’étant pas une rupture complète d’avec les sociétés d’avant, il y aura nécessairement des traces de survivance, des reproductions et parmi lesquelles cette croyance actuelle en Djinné Maimouna (forces invisibles) et cet usage d’amulettes ou de gris-gris pour manifester une quelconque transaction entre ces êtres invisibles et les êtres humains.
Toujours est-il, dans les premières comme dans les secondes sociétés, il n’est pas niable que c’est encore un besoin de relation, de compagnie, de soutien qu’un individu aurait dans sa vie de tous les jours.
Alors, puisque c’est un besoin de relation, de compagnie, quel est ce meilleur soutien que l’être humain pourrait espérer avoir dans sa vie si ce n’est celui de son semblable ?
Ce qui fait exister un individu, c’est le regard d’autrui. De ce fait, quand de concert, on engage certaines démarches, il y a lieu de croire qu’en cas d’échec, on serait moins tourmenté que si on l’avait envisagé seul contre les autres ou contre quelques uns, parce qu’il faut le dire, la compétition, c’est une entreprise égoïste ou corporatiste contre d’autres entreprises égoïstes ou corporatistes.
Et une fois de plus, le mérite de Djinné Maimouna a été de faire comprendre enfin à notre société corporatiste et égoïste qu’elle emprunte un chemin corrosif individuellement et collectivement et vice versa par ricochet.
Djinné May, un mauvais esprit, un mal, mais que ce mal est intelligent ! Il m’arrive très souvent de croire que le mal est plus intelligent que le bien, qu’il y a une « intelligence du mal ».
Je me souviens qu’un jour alors que j’étais à l’école primaire, notre instituteur nous avait fait faire une rédaction dont le sujet était : Le calme règne dans votre village. Racontez !
Et moi, peut-être que j’étais possédé par Djinné Maimouna , jugez-en par vous –mêmes !
« Un soir, Calmerégne était venu dans notre village, tout le monde avait peur de Calmerégne :
Les femmes fuyaient, les enfants criaient et les hommes couraient : tout le village était terrifié !
Sauf mon père, ah ce valeureux guerrier ! Il prit son fusil, tira sur Calmerégne. Pan, pan, pan, mais Calmerégne ne veut pas mourir. Il courait dans tous les sens en rugissant et mon père le poursuivait en sautillant de gauche à droite. Mais rien, toujours rien. Calmerégne était là et toujours là.
Tard dans la nuit, Calmerégne repartit comme il était venu, sans avertir. D’un bond, il s’est élancé dans les ténèbres.
Ah, je n’oublierais jamais ce soir là. »
Mamadou Moustapha WONE
Sociologue
BP : 15812 Dakar-Fann
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