Le Sénégal, avec une population jeune où 75 % des individus ont moins de 35 ans, se trouve à un carrefour déterminant. Bien que le pays ait connu une croissance économique soutenue, le chômage des jeunes demeure préoccupant, atteignant des niveaux alarmants. Dans ce contexte, le président Bassirou Diomaye Faye a récemment réaffirmé son engagement envers le renforcement de la formation technique et professionnelle (FTP) lors du Conseil des ministres du 11 décembre 2024. Il a souligné la nécessité d'une territorialisation des politiques de formation en cohérence avec les besoins du marché. Cette dynamique soulève une question essentielle : comment aligner efficacement la formation proposée par l'État avec les besoins réels du marché ?
La question centrale réside dans le décalage entre les compétences enseignées et les exigences du marché. Chaque année, environ 300 000 jeunes entrent sur le marché du travail, mais beaucoup d'entre eux se retrouvent sans emploi ou dans des emplois précaires. Comment peut-on garantir que les programmes de formation professionnelle soient adaptés aux compétences requises dans des secteurs en pleine expansion ?
Pour répondre à cette problématique, faisons d’abord l'état des lieux de la formation professionnelle au Sénégal. Ensuite, nous proposerons des solutions pour un alignement efficace pour bâtir un avenir économique durable pour la jeunesse sénégalaise.
I-Etat des lieux
A- Inadéquation entre l'offre de formation et les besoins du marché
Le système de formation professionnelle au Sénégal fait face à une inadéquation préoccupante entre les compétences enseignées et les besoins du marché de l'emploi. Selon le Bureau international du travail, seulement 3% des travailleurs sénégalais ont accès à une formation professionnelle, un chiffre alarmant qui souligne le manque d'opportunités, surtout dans les zones rurales où les centres de formation sont rares.
Cette situation est exacerbée par des programmes souvent obsolètes qui ne répondent pas aux exigences des employeurs, rendant difficile l'insertion des diplômés sur le marché du travail. Les besoins en compétences évoluent rapidement, mais les formations ne s'adaptent pas en conséquence. De plus, il existe un manque de dialogue entre les institutions de formation et les entreprises, ce qui contribue à un décalage entre les qualifications acquises et celles requises par le marché.
Des secteurs clés comme l'énergie renouvelable et la gestion de l'eau, qui nécessitent une main-d'œuvre qualifiée, souffrent particulièrement de cette inadéquation. La Loi d'orientation de la formation professionnelle et technique souligne la nécessité d'aligner les programmes de formation sur les besoins du marché pour garantir une main-d'œuvre compétente. Par ailleurs, la perception négative associée à certains métiers techniques dissuade les jeunes d'envisager ces carrières, aggravant ainsi le problème.
B-Manque de ressources humaines qualifiées
Un défi majeur est le déficit d'enseignants qualifiés dans le domaine de la formation professionnelle. Ce manque d'encadrement affecte directement la qualité des formations offertes. Des initiatives doivent être mises en place pour recruter des enseignants et améliorer la qualité de l'enseignement dispensé dans les Instituts Supérieurs d’Enseignement Professionnel (ISEP). En outre, le rapport de l'UNESCO-UNEVOC (Base de données sur l'EFTP dans le monde Sénégal Février 2015) indique que le financement et le soutien institutionnel sont essentiels pour renforcer les capacités des formateurs. Ce constat reste d’actualité, car sans un investissement substantiel dans la formation et le développement professionnel des enseignants, la qualité de l'éducation ne pourra pas être améliorée.
D’ailleurs, le président Faye a appelé à un programme spécial de recrutement d'enseignants sur trois ans (2025-2027) pour renforcer la qualité de l'enseignement dispensé dans les universités et les Instituts Supérieurs d’Enseignement Professionnel (ISEP). Ce programme vise à cibler les spécialités et matières prioritaires afin de renforcer l'encadrement éducatif.
C- Absence de mécanismes d'apprentissage adaptés
Le système d'apprentissage traditionnel au Sénégal, qui se déroule principalement dans le secteur informel, présente des lacunes significatives. Les formations sont souvent dispensées par des maîtres artisans qui n'ont pas reçu de formation pédagogique formelle. Cela entraîne un manque de structuration et de reconnaissance des acquis, rendant ce modèle peu adapté aux besoins du marché du travail. En conséquence, il ne fournit pas les compétences nécessaires pour une insertion professionnelle réussie.
Les jeunes qui quittent prématurément le système éducatif se retrouvent souvent sans options viables pour acquérir des compétences professionnelles. Cette situation est particulièrement préoccupante pour ceux issus de milieux défavorisés ou ayant abandonné leurs études. Sans formation adéquate, ces jeunes sont confrontés à des difficultés accrues pour trouver un emploi stable et satisfaisant.
II- Propositions pour un alignement efficace
A- Renforcement des partenariats public-privé
Le développement des compétences au Sénégal nécessite une collaboration étroite entre le secteur public et le secteur privé. Les partenariats public-privé (PPP) sont essentiels pour adapter les formations aux besoins du marché du travail, en particulier pour les jeunes qui cherchent à entrer sur le marché de l'emploi. Les PPP permettent d'identifier les lacunes en matière de compétences dans le marché du travail. En collaborant avec les entreprises, le gouvernement peut mieux comprendre les exigences spécifiques du secteur et ajuster les programmes de formation en conséquence.
L'intégration de stages en entreprise et de programmes d'apprentissage est nécessaire. Ces expériences pratiques offrent aux jeunes la possibilité d'acquérir des compétences directement applicables tout en poursuivant leur éducation. Cela renforce leur employabilité et facilite leur transition vers le monde professionnel. Les PPP favorisent également l'innovation dans les méthodes pédagogiques. En combinant l'expertise des institutions publiques et la flexibilité du secteur privé, il est possible de développer des programmes de formation plus efficaces, adaptés aux évolutions technologiques et aux besoins du marché.
B - Diversification et actualisation des offres de formation
Le président Faye a récemment souligné l'importance de diversifier et d'actualiser les programmes de formation pour qu'ils soient en phase avec les évolutions du marché. Cette nécessité se justifie par plusieurs facteurs clés :
-Évolution des compétences demandées : le marché du travail connaît des changements rapides, notamment avec la montée en puissance des secteurs comme l'énergie renouvelable et le numérique. Les programmes de formation doivent donc intégrer des compétences techniques spécifiques à ces domaines pour répondre aux besoins émergents.
-Compétences transversales : en plus des compétences techniques, il est capital d'inculquer des compétences transversales telles que le leadership et la gestion de projet. Ces compétences sont essentielles pour préparer les apprenants à des rôles variés et à des environnements de travail dynamiques.
-Réponse aux besoins du marché : les organismes de formation doivent réaliser des études de marché pour identifier les tendances actuelles et anticiper les besoins futurs en compétences. Cela inclut l'analyse des données disponibles et la reconnaissance des niches prometteuses dans le secteur de la formation.
La diversification permet d'attirer un public plus large, ce qui est essentiel dans un marché hyper concurrentiel où les entreprises réduisent souvent leurs budgets de formation. En diversifiant leur offre, les organismes peuvent réduire leur dépendance à un seul domaine de formation, ce qui limite les risques économiques en cas de baisse de la demande dans un secteur particulier. Enfin, une offre diversifiée favorise l'innovation et permet aux organismes de s'adapter rapidement aux tendances du marché, renforçant ainsi leur position concurrentielle.
C - Sensibilisation aux métiers porteurs
Le président de la République a souligné l'importance d'une redéfinition des objectifs et des règles d'établissement des contrats aidés dans le cadre de la Convention nationale État-Employeurs (CNEE). Cette initiative vise à mieux cibler les secteurs qui sont de forts créateurs d'emplois.
Parmi ces secteurs, il est important de souligner que l'énergie, l'assainissement, l'eau, l'éolien, la protection de l'environnement et les nouveaux métiers du numérique se distinguent par leur potentiel de croissance et leur capacité à répondre aux besoins croissants de la population.
Dans le domaine de l'énergie, le Sénégal s'engage vers une transition énergétique en augmentant la part des énergies renouvelables. Les métiers liés aux énergies renouvelables, tels que les ingénieurs en énergie solaire et éolienne, ainsi que les techniciens de maintenance, sont en forte demande. Cela répond non seulement aux besoins énergétiques du pays, mais contribue également à la lutte contre le changement climatique.
L'assainissement et l'eau sont primordiaux pour améliorer la santé publique et la qualité de vie. Le pays investit dans des infrastructures pour garantir un accès adéquat à l'eau potable et à des systèmes d'assainissement efficaces. Les métiers dans ce secteur incluent des ingénieurs en gestion des ressources en eau et des techniciens spécialisés en assainissement.
La protection de l'environnement est devenue une priorité face aux défis écologiques. Les métiers liés à cette thématique, tels que les biologistes environnementaux et les spécialistes en gestion des déchets, sont essentiels pour promouvoir des pratiques durables et préserver les ressources naturelles du pays.
Enfin, les nouveaux métiers du numérique connaissent également une croissance rapide au Sénégal, soutenue par une population jeune et dynamique. Les domaines comme le développement logiciel, la cybersécurité et le marketing digital offrent des perspectives prometteuses. Ces professions sont vitales pour accompagner la digitalisation croissante de l'économie sénégalaise.
D - Prise en compte des alternatives éducatives
L'étude « L’Education en débats : analyse comparée » de Koffi Adjimon et Jocelyne Rakotondrazafy (2016) met en lumière les enjeux des alternatives éducatives en Afrique de l'Ouest, en particulier pour les enfants et jeunes non scolarisés. Dans ce contexte, il est important d'explorer comment ces alternatives peuvent être intégrées dans le cadre du renforcement de la formation technique et professionnelle (FTP) au Sénégal.
Les alternatives éducatives en Afrique de l'Ouest, et plus particulièrement au Sénégal, jouent un rôle déterminant dans la lutte contre le chômage des jeunes et l'exclusion scolaire. Ces initiatives visent à offrir des solutions d'apprentissage adaptées aux besoins spécifiques des enfants et jeunes non scolarisés, en leur fournissant des compétences pratiques et directement applicables sur le marché du travail. Dans un contexte où 75 % de la population sénégalaise a moins de 35 ans et où le chômage des jeunes atteint des niveaux alarmants, il est impératif d'intégrer ces alternatives dans les politiques éducatives. Les programmes d'éducation non formelle, tels que les écoles satellites (pour les enfants éloignés de l’école formelle), les écoles passerelles (offrant une formation accélérée pour réintégrer le système formel) et les centres préprofessionnels (axés sur l’apprentissage de métiers), permettent d'accueillir les jeunes qui ont quitté le système scolaire traditionnel, leur offrant ainsi une seconde chance d'acquérir des compétences. De plus, ces alternatives favorisent la flexibilité, permettant aux apprenants de suivre des cours selon leur disponibilité tout en répondant aux exigences du marché. En collaborant avec le secteur privé, ces initiatives peuvent également s'aligner sur les compétences recherchées par les employeurs, garantissant ainsi une meilleure insertion professionnelle.
En définitive, le renforcement de la formation technique et professionnelle au Sénégal est un impératif pour réduire le chômage des jeunes et stimuler le développement économique du pays. Les initiatives récentes du président Bassirou Diomaye Faye montrent une volonté forte d'améliorer ce système, mais leur succès dépendra d'une mise en œuvre efficace et d'une collaboration étroite entre tous les acteurs impliqués.
Pour assurer un alignement efficace entre la formation proposée par l'État et les besoins réels du marché, il est important d'organiser des assises sur la formation professionnelle. Ces assises devraient rassembler tous les acteurs concernés (gouvernement, entreprises, établissements éducatifs) afin d'élaborer une stratégie cohérente qui répond aux exigences du marché tout en intégrant les nouvelles réalités économiques. En agissant ainsi, le Sénégal pourra transformer ses défis en opportunités pour bâtir un avenir économique durable pour sa jeunesse.
AUTEURS:
AUTEURS:
Alassane Mbaye
PCA CICE
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Mactar Silla
Président Conseil de régulation CICE
DG Sunu label TV
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