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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

[ CHRONIQUE ] Portez vos scandales !

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[ CHRONIQUE ] Portez vos scandales !
« Personne n’ose envisager les vicissitudes  
du temps, quand il a rejeté la loi  
et se complaît dans l’iniquité »
EURIDIPE


On ne peut pas dire de la presse occidentale qu’elle déteste Abdoulaye Wade. Elle avait fait la réputation outre Atlantique de celui qui proclamait, après son élection, que « l’ère des coups d’Etat est terminée en Afrique ». Cette rareté africaine était célébrée partout. Le mérite revenait aux Sénégalais en premier. Ce sont eux qui se sont mobilisés dans tous les coins du pays pour rendre possible l’alternance. A Abdou Diouf aussi, qui s’était soumis au résultat des urnes. Mais Abdoulaye Wade avait fait du mérite de tout un peuple, son mérite personnel. Les plus grandes télévisions du monde recevaient ce nouveau Mandela, léchaient littéralement « la vitrine » africaine. Dans un de ces entretiens qui a disparu depuis de youtube, le créateur du défunt Plan Omega déclarait au journaliste qui devait avoir son âge, qu’il a rédigé son dernier livre sur les Mathématiques économiques quand il était « enseignant » à Boston, en 1967. Les reporters consentants lui baisaient la main et consommaient cette bouillabaisse mensongère sans aucun discernement. Au point que, quand la presse de son pays a commencé à dénoncer ses premières dérives, Abdoulaye Wade s’est détourné d’elle, pour s’amouracher avec les éditorialistes de Paris et de Washington. Il leur réservait l’exclusivité de sa politique intérieure, la primeur de ses initiatives à l’étranger. Mais avant de se retourner contre sa propre presse, il eut fallu un premier acte : le successeur d’Abdou Diouf s’était retourné contre son propre peuple. Ceux qui l’accueillaient en héros à Diamagueune ou à Guédiawaye ne l’apercevaient plus qu’à travers Le Figaro ou Le Monde, en train de passer des jours heureux aux abords du lac Leman.  
On savait bien que tout cela finirait mal. Ces mêmes journalistes se sont maintenant retournés contre leur héros d’hier. Ils ne connaissaient de l’homme que son masque de démocrate gentilhomme, et voici son visage de monocrate godillot. Les mots ne sont plus assez durs pour dénoncer la corruption de Wade, qui fait maintenant l’unanimité dans les rédactions et les opinions occidentales. Quand vous tapez le nom d’Abdoulaye Wade sur un moteur de recherche, déferlent les propos les plus indignés et les tons les plus moqueurs de journalistes qu’on ne peut malheureusement pas accuser de parti-pris. Son fils, qu’il ambitionnait de porter à la tête du pays, est devenu le symbole d’une gestion patrimoniale du pouvoir. Pas un seul mois ne passe sans qu’une nouvelle « affaire » vienne alimenter les commentaires les plus acerbes des journaux étrangers. Abdoulaye Wade se réveille maintenant en essayant de deviner quelle main va le frapper.  
Nous aurions crié à la calomnie s’il n’y avait pas, accompagnant cette furie médiatique, les imprécations de son propre peuple. Les journaux sénégalais se sont transformés en relais zélés de ce lynchage médiatique. Je dois dire, pour ce qui me concerne, que je vis chacun de ces moments avec un certain bonheur. Karim Wade avait juré, lors de notre procès très médiatique diffusé en exclusivité à la RTS, qu’il ne s’occupait de rien en matière monétaire, que le ministre des Finances s’occupait de tout. Il vient de prouver qu’il s’occupe de tout et que le ministre des Finances ne s’occupe de rien. J’avais dit au juge que mon peuple me jugerait et que l’Histoire me donnerait raison. Que n’ai-je pu faire endurer à ce royaliste condescendant les blessures que cause chez chaque sénégalais les humiliations qu’il lui fait subir !  
La dépravation de ce régime n’épargne plus aucun secteur de l’administration. Il n’existe plus de société nationale, d’organisme de l’Etat qui ne soit touché par la corruption. Pour devenir riche, il suffit d’être malhonnête. Les liens étroits qu’entretiennent le monde de la lutte et celui des finances, évoqués cette semaine par la presse, sont assez édifiants sur ce point. Vous pouvez vous réveiller le matin les poches vides, aller voir des directeurs de sociétés nationales, leur demander de prendre des engagements financiers pour sponsoriser un combat que vous comptez organiser. Ils acceptent moyennant des pots-de-vin. En une journée, vous avez des engagements pour un total d’un milliard. Vous allez avec ces engagements rencontrer votre banquier, qui vire à votre compte la moitié de cet argent. Vous voilà devenu riche en une demi-journée. Vous accordez des avances à vos lutteurs, et sa part à votre bienfaiteur. C’est ainsi que les sociétés nationales -non les spectateurs- assurent la prospérité des promoteurs et la richesse des lutteurs. Un lutteur peut ainsi gagner en quelques secondes, sans connaître les ardeurs du soleil, ce qu’un travailleur honnête ne pourra pas gagner en travaillant toute sa vie.  
Cette forme d’enrichissement sauvage est une des nouveautés induites par le libéralisme d’Abdoulaye Wade. Or, si nous voulons bâtir une société plus juste et plus démocratique, il nous faut définir une limite à deux choses : le pouvoir et l’avoir. A défaut, nous devons empêcher ceux qui veulent s’enrichir de le faire sur le dos du pauvre contribuable.  
Le divorce entre le nouveau régime et les populations tient à ce fait-là. Nous avons toujours été, nous autres sénégalais, sensibles à l’argent. Mais nous n’avons jamais été insensibles au sort de ceux qui n’en ont pas. La pudeur avec laquelle nous avons toujours caché notre fortune ne venait pas du fait que nous étions indifférents à notre propre bonheur, mais que nous étions sensibles au malheur des autres. Depuis l’alternance, les choses ont changé. Dès qu’un politicien compte parmi les nouveaux milliardaires, il envoie son épouse en faire la démonstration à Sorano. D’où cette situation intenable : au lieu que le riche se sente honteux de s’être enrichi si vite, c’est le pauvre qui se sent coupable de s’être appauvri si vite. Il doit cacher sa misère et subir mourir de rage le sourire aux lèvres.  
Les responsables de la Fao avaient élaboré la saison passée, un plan pour venir au secours de certains paysans touchés par la disette. Mais c’était sans compter avec la susceptibilité du régime, qui ne veut pas que l’opinion assimile cette aide à un échec de la « Goana ». Il vient de refuser un plan de secours similaire avec le Pam. Les responsables de la Santé ont voulu, de la même manière, passer sous silence le retour en force de la poliomyélite. Ce serait avouer l’échec d’Abdoulaye Wade. Or, le Génie du peuple ne peut échouer. Du fond de son bureau à double porte capitonnée, son esprit débordant combine des plans de survie de son régime. Il veut donner l’impression qu’il est l’instigateur de cette opération mains propres, qu’il ne savait pas qu’en banlieue, les populations vivaient encore sous les eaux. Le problème est que plus personne ne le croit. Il existe maintenant entre Abdoulaye Wade et ceux qui avaient commis l’erreur de voter pour lui, un fossé infranchissable. Sa ruse habituelle ne trompe plus personne. Les sénateurs américains, toutes tendances confondues, les ambassadeurs et les multinationales ne mettent plus de gants pour dénoncer son régime corrompu. Ils réveillent malheureusement chez nombre de concitoyens, y compris des journalistes, cette susceptibilité du sous-développé, qui consiste à penser que tout ce que les occidentaux nous disent, ils nous le disent parce que nous sommes pauvres. Nous ne voulons pas dire ce que Wade a été pour nous ces dix dernières années, les autres le font brillamment  à notre place. J’ai dit qu’en ce qui me concerne, l’affaissement de notre système de Santé suffisait comme bilan. J’ai entendu Karim Wade sur cette question dire, pour justifier l’érection d’un nouvel aéroport, que celui de Yoff est un aéroport colonial. Qu’en est-il de l’hôpital le Dantec, de l’hôpital Principal, construits il y a plus d’un siècle ? Le président de la République, conscient de la dégradation de son image, consent à quelques sacrifices, pour faire bonne figure en 2012. Nous devons nous féliciter de sa décision d’investir cinq milliards de francs en infrastructures de santé. Mais il investit pour la santé de 14 millions de sénégalais, près de dix fois moins que ce que lui a coûté son colosse de bronze. Voilà comment le président de la République nous fait payer l’audace que nous avons eue de le porter au pouvoir. Tout son volontarisme de ces dernières semaines n’est que de la cosmétique de façade pour accueillir le financement du Mca. Quand les caisses du Trésor seront à nouveau remplies, la bamboula présidentielle reprendra bruyamment, jusqu’au bal final. Opposant, Abdoulaye Wade savait ce qu’est la volonté générale. Depuis qu’il est là, il n’exécute que la sienne propre.

SJD

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