« Les partis sont ingrats envers leurs vedettes,
ils abandonnent volontiers leurs enfants perdus.
Surtout en politique, il est nécessaire à ceux
qui veulent parvenir d’aller avec le gros de l’armée »
H. de BALZAC
Il est incorrigible, Abdoulaye Wade. On pensait que la visite de son marabout l’obligerait à une réflexion sur le sens de son action. Non. On espérait qu’une journée sans presse éveillerait l’humain qui sombrait en lui. Mais non. Sa main n’a pas chômé. Son encre a séché sur le perron du palais de la République, au moment de raccompagner son hôte avec de nouvelles promesses. Le retour en fonction que nous souhaitions tant la semaine dernière, même avec la voie enrouée et l’écharpe nouée au cou, ne fera pas notre bonheur. Le Léviathan-président tenait à assurer qu’il était encore vivant. Il a zébré ses feuilles blanches de nouvelles intentions « constitutionnelles ». Parmi les projets de loi qui ont été présentés cette semaine au « Parlement », une au moins constitue une offense à la Nation. C’est le retour de la « troisième chambre parlementaire », le Conseil économique et social. Nous savions maître Abdoulaye Wade très peu sensible à la commisération de ses concitoyens. Mais là, c’est l’homme qui était en lui qui l’abandonne, pour laisser la place au monstre. Depuis un an maintenant, le président de la République nous jure qu’il comprend notre mal-vivre, qu’il a pris conscience de la cherté de la vie. Il nous disait, à quelques encablures de l’année finissante, que les salaires des ministres, ceux des députés, allaient baisser par solidarité pour les plus démunis. Nous savons maintenant que c’était un château de brouillard. Les salaires n’ont jamais baissé. Dans bien des cas, ils ont été revus à la hausse avec des enveloppes spéciales remises tous les mois aux ministres et aux députés. Ce n’est pas juste, quand on sait qu’aucun membre de sa famille n’achète le riz. Son fils, complice de la mégalomanie qui a ruiné l’économie du pays, se cache derrière d’épaisses vitres teintées à l’épreuve des balles et des regards affamés. Il ne connait rien de la misère de ses « frères » de banlieue.
Mais pour passer outre la souffrance des ménages et nous imposer une institution de plus, il faut être un je-m’en-foutiste radical. On ne peut pas toujours se prévaloir de la passivité de ses sujets pour procéder impunément. Le chef de l’Etat ajoute à la deuxième chambre parlementaire dont nous ne voulons pas, une troisième dont nous ne « pouvons pas ». Depuis huit ans, quand il en sort une par la porte, il en fait revenir deux par la fenêtre. Les purges opérés dans son propre parti ont laissé partout des postes vacants, mais il n’y en a jamais assez pour s’attacher le service de laudateurs aux frais du contribuable.
Pour arriver à ses fins, le président de la République se livre à des pratiques qui relèvent du vandalisme institutionnel. Il ne peut pas, en tant que chef de l’exécutif, définir les règles qui régissent le fonctionnement du Parlement. C’est une violation d’un principe sacré, l’autonomie des Assemblées. Mais il a décidé de se passer du peuple et de l’Assemblée nationale. Les députés ne sont là que pour servir d’essuie-pied au chef de clan. Ils sont les exécuteurs de sales besognes. Quand le président de la République doit reporter des élections, libérer des assassins, il passe par eux. Mais s’il doit procéder à une modification de la Constitution, il passe par lui-même. Point besoin de déranger les « honorables » députés. Il a inventé le « Congrès du Parlement » avec une incongruité manifeste : le président du Sénat sera le président du Parlement et le bureau du Sénat le bureau du Parlement. La nouvelle règle du jeu est à elle seule un exploit individuel du maître à penser. Dans l’ordre de « préférence », Macky Sall arrive bien loin derrière Sokhna Dieng et Ahmed Bachir Counta, qui ne se sont jamais soumis au suffrage universel.
Et si des contrevenants au suprême désir du chef de « l’Etat » s’aventuraient à contester les règles établies, le chef de l’Etat n’a rien oublié. Le président du Sénat peut décider, in situ, de les faire sortir de la salle. C’est à lui et à lui tout seul que revient la prérogative de déterminer le nombre d’officiers de police nécessaires au maintien de l’ordre dans « le Parlement ».
Nous n’avons plus une Assemblée nationale et un Sénat, nous avons un « Parlement ». S’il y a une nouveauté scandaleuse, c’est bien celle-là. La fonction parlementaire de s’est pas seulement précarisée. Elle s’est mercenarisée. Et depuis la rébellion des « mackysards », un vote coûte quatre à cinq millions pour une loi organique, le double s’il s’agit d’une loi constitutionnelle. A la veille de chaque élection, la présidence de la République ne s’en « cash » pas. Elle s’assure de la docilité des députés moyennant quelques « paquets de sucre ». La présidence de la République l’a si bien compris qu’à la veille de chaque échéance majeure, les mallettes d’argent circulent jusque dans les coins les plus reculés du pays pour acheter le vote alimentaire. Le président de la République, malgré l’absence de l’opposition significative, se retrouve minoritaire dans sa propre majorité, obligé de quémander chaque voix pour accomplir ses réformes honteuses. Le « Parlement » est un moyen d’éviter ce pari risqué, du moins pour les modifications constitutionnelles. C’est la parade magistrale trouvée par le président Wade pour contrer les velléités d’indépendance des poilus de la place Soweto. Tant que le Congrès se réunira, l’exécutif pourra compter sur la loyauté de 100 sénateurs. Les menaces et la corruption feront le reste.
Wade a prostitué la République. C’est sans aucun doute le plus grand mal qu’il nous fait. Mercredi à Chicago, les responsables libéraux ont fait le tour de la ville pour recruter des candidats à l’accueil du président de la République, moyennant 100 dollars. Les journalistes noirs qui l’ont invité dans la capitale de l’Illinois en étaient scandalisés. Mais la loi du plus friqué ne justifie pas la capitulation honteuse de Macky Sall. Le président de l’Assemblée nationale avait là un honneur à défendre. Ce n’est pas une question de plans joués ou déjoués, c’est une question de principe. Quand, il y a un an, le président de la République a voulu le contraindre à la démission, c’est au nom de la République et de ses valeurs qu’il a refusé. C’est pour cette même république qu’il devait refuser de s’aplatir devant Abdoulaye Wade. Macky Sall a déçu ceux qui le prenaient pour le dernier rempart contre le fascisme ambiant. Mais il révèle l’ampleur des mauvais choix de l’opposition. On n’a pas l’expérience du possible, mais abandonner l’Assemblée nationale à Abdoulaye Wade, quelle qu’en soit la raison, n’était pas un acte raisonnable. Il en profite pour faire ce qu’il veut. C’est un peu comme la journée sans presse. Au lieu de boycotter le président de la République, les journalistes ont boycotté les populations. C’est pour une bonne raison noble, entendons-nous bien. Mais Abdoulaye Wade ne s’est jamais mieux senti que ce jour-là. Il vivait l’angoisse au Quotidien. Il s’en passerait bien le restant de ses jours.
SJD
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