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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

[ Chronique ] Le virus Wade1N1

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[ Chronique ] Le virus Wade1N1

« Les révolutions n’ont généralement 
pour résultat qu’un déplacement de servitude »
Gustave LE BON

  
 
La presse nationale s’est dite outrée par les dépenses de « madame Awa Ndiaye ». Ses cuillères, ses couteaux et ses fourchettes ont fait le tour de tous les foyers du Sénégal. J’ai accompagné ce mouvement d’indignation, mais c’était avant d’avoir lu le rapport du cabinet Mamina Camara en entier. Les difficultés qu’ont eues les auditeurs pour avoir un premier rendez-vous avec les responsables du ministère de « madame Awa Ndiaye » passent pour un détail, maintenant qu’ils ont accompli ce travail salutaire, financé par la Banque mondiale. Ce que j’ai trouvé d’une révoltante frivolité, c’est cette histoire de « sacs à main de luxe en cuir ». Toute cette longue terminologie pour justifier le prix faramineux inscrit en bout de ligne. Madame a fait payer au contribuable, la main dans le sac, pour 245 000 francs l’unité, ces objets de luxe. Le montant peut choquer, mais c’est surtout le pourquoi de cet achat qui intrigue. On ne sait pour quels besoins, un ministère chargé de la Famille et de la Solidarité nationale peut trouver le besoin d’acheter des « sacs en cuire de luxe » avec l’argent du contribuable. Elle n’en a pas acheté un ou dix, elle en a acheté 50. Pour qui ? Les auditeurs eux-mêmes n’en savent pas plus, comme ils ne pourront jamais nous dire si ces sacs ont été achetés chez Gucci ou chez Versace. Il se trouve que dans la Commission des marchés chargée de les éclairer sur le pourquoi de ces achats, des noms, des signatures apparaissent et disparaissent au gré des commandes. Pendant la même période, l’institut de cancérologie de l’hôpital Le Dantec avait organisé une émission sur le cancer à la télévision nationale. On y voyait une femme, en sanglots, expliquer comment sa mère a été obligée de vendre ses boubous de valeur pour prendre en charge ses soins médicaux.
La scène, pathétique, se déroulait sous le regard de « madame Viviane Wade », parée de ses plus beaux bijoux. Elle a fini par faire l’effort louable, figurez-vous, de prendre en charge les 200 000 francs nécessaires aux soins de la pauvre dame. L’audit nous apprend que pendant ce temps, le ministère de la Famille et de la solidarité achetait 50 « sacs de luxe en cuir », alors que chaque sac acheté pouvait sauver la vie d’une femme. Tout ce que la femme aux lunettes de soleil trouve à dire, c’est qu’elle n’a pas eu copie du rapport, ce qui est un mensonge. Elle n’a rien à dire, punto finale. 
J’avais, à la suite de cette émission, demandé à des amis établis en Europe de parrainer certaines femmes pour leur venir en aide. Ce qu’ils ont accepté de faire avec l’accord des responsables de l’institut de cancérologie de Dakar. Ces généreux contributeurs ont pris en charge quelques femmes, dépistées lors de la journée du cancer organisée le 25 octobre 2008 à Pikine. Mais c’était quelques vies de sauvées parmi des milliers de désespérés. Nous avons découvert tout de suite que la gravité de la situation nécessitait une intervention de l’Etat. La santé des sénégalais s’est détériorée du fait de la pauvreté et nos hôpitaux, très endettés, n’arrivent plus à faire face à l’afflux massif de malades. Les chiffres que vient de publier le vaillant docteur Diop sont consternants. Tous les ans, quelque 800 enfants et près de 20 000 adultes sont diagnostiqués du cancer. A côté d’eux, se trouvent des milliers d’anonymes qui n’accèdent pas aux structures sanitaires et qui meurent dans l’indifférence générale. Nous savons déjà que le cancer tuera cette année plus que la malaria, le sida et la tuberculose. Dans les années à venir, nous aurons à faire face à des cas de cancer de plus en plus nombreux, du fait de la dégradation de notre cadre de vie, de la pauvreté pour parler court.
Face à la situation, le président Wade s’était lui-même engagé à octroyer une subvention de deux milliards de francs à l’institut de cancérologie, porté à bout de bras par le Docteur Diop. Il n’a jamais tenu parole. Alors que nous comptons des milliers de malades par an, l’institut de cancérologie ne compte que 21 lits ! Les coûts des traitements varient entre 200 000 francs Cfa et un million de francs, selon la gravité des cas. Un vrai luxe pour la plus grande majorité des sénégalais, qui ont du mal à manger à leur faim. Le cancer a maintenant élu domicile chez les pauvres. Dans les quartiers entourés d’immondices, d’eau contaminée au mercure et au plomb, se comptent des colonnes de malades du cancer qui prennent les chemins des mouroirs du pays. C’est quand même révoltant d’apprendre que pendant que les femmes de Guédiawaye vivaient avec la peur de mourir faute de prise en charge, la ministre de la Famille et de la Solidarité nationale s’achetait des sacs en cuire. A « madame Awa Ndiaye » qui crie à l’acharnement, nous disons que nous ne la jugeons pas sur sa réaction, nous la jugeons sur son action. Nous ne la jugeons pas sur sa vie privée, nous la jugeons sur sa vie publique. Après un tel fait d’armes, elle aurait mieux fait de se cacher. Dans n’importe quel pays sérieux, une aurait été jetée en prison. Elle était, parmi les membres du gouvernement, la plus acharnée, quand il s’était agi de jurer de ne rien révéler des délibérations du Conseil des ministres. Elle épiait ses collègues du regard pour déceler chez eux la moindre mauvaise foi. Au lieu de jurer de ne jamais rien dire, le chef de l’Etat aurait été plus avisé de lui demander de jurer de ne jamais voler. Mais cette femme aux pratiques douteuses bénéficie de la sainte absolution d’Abdoulaye Wade. 
J’ai dit ailleurs qu’en ce qui me concerne, nos  hôpitaux sont à eux seuls, les témoins privilégiés des 50 ans d’indépendance qu’Abdoulaye Wade s’apprête à célébrer pompeusement. Depuis la construction de l’hôpital Principal par les français en 1880 et de l’hôpital le Dantec, construit en 1913 pour accueillir les indigènes, nous avons été incapables d’élever la moindre infrastructure hospitalière digne de ce nom. Le Building administratif, la présidence de la République et l’Assemblée nationale sont des édifices construits par la France coloniale. Mais nos hôpitaux portent le mieux les stigmates de notre échec collectif, qui est d’abord celui de nos élites politiques. Nous avons même été incapables d’entretenir ce qui nous a été légué. Le chef de la radiologie de l’hôpital le Dantec confiait récemment, la mort dans l’âme, que l’hôpital le Dantec, du nom du médecin des troupes coloniales françaises qui y officiait, était devenu « un mouroir ». Mais nous aimons, comme toujours, élever des monuments pour célébrer notre propre honte. Tout ceci parce que nous avons voulu faire de personnages secondaires des personnalités de la République.
Alors que nous manquons de tout, le chef de l’Etat voudrait,  comble du ridicule, inaugurer son monument de la renaissance, qui a englouti plusieurs dizaines de milliards de francs, alors qu’à côté de lui, les Sénégalais meurent dans les hôpitaux, faute de soins. Nous avons tous vu dans quel état d’abandon se trouve l’hôpital Ibrahima Niasse de Kaolack. On ne peut pas voir de telles souffrances et soutenir les folies de grandeur d’Abdoulaye Wade. C’est pourquoi, dans la profusion des soutiens qui se sont manifestées jusqu’ici concernant ce monument, celle du professeur Djibril Tamsir Niane est la plus incompréhensible. Il ne peut pas avoir le passé militant qui est le sien et finir en souteneur de ce Napoléon en grand-boubou. Le virus H1N1 et le cancer occupent toutes nos pensées. Mais à tous ceux qui les attendent la peur au ventre, je voudrais dire ceci : Wade est, à lui tout seul, une pandémie.

SJD



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