« Quand le destin se mêle
du sort des hommes, il ne
connaît ni pitié, ni justice »
Charlie CHAPLIN
du sort des hommes, il ne
connaît ni pitié, ni justice »
Charlie CHAPLIN
Il y a une fausse idée avec laquelle les politiciens vont devoir rompre. C’est cette idée que les Sénégalais sont un peuple amorphe, qu’Abdoulaye Wade se permet tout parce qu’il trouve en face de lui des gens dociles. Depuis une semaine, Djibo Kâ en fait les frais. Partout où il est attendu avec sa cargaison de déchets toxiques, les populations s’organisent pour le chasser de là. Hier les marchands ambulants, aujourd’hui les sinistrés de la banlieue, les chauffeurs de taxi ou encore les pêcheurs de Soumbédioune, les populations ont bravé les interdits pour se faire entendre. Les tortures dans les commissariats, les emprisonnements et parfois les crimes de sang froid n’ont pas arrêté les populations dans leur quête effrénée d’une vie décente. Contrairement à une idée reçue, en nombre d’emprisonnements, de morts au cours de manifestations, les populations ont payé un plus lourd tribut ces dix dernières années que pendant les quarante ans de règne du Parti socialiste. Le jeune Abdoulaye Wade, battu à mort par les policiers de Yeumbeul, est le dernier d’une longue liste de patriotes sans défense qui ont sacrifié leur vie pour rendre plus audibles les complaintes de leurs concitoyens. Mes amis du journal Le Quotidien ont dressé un bilan alarmant des victimes de cette boucherie. J’ajoute à leur liste les jeunes de Kédougou, qui ont été envoyés en prison après la mort d’un des leurs par balle et les jeunes de Sedhiou, condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement pour avoir exprimé leur colère. C’est donc une opinion qu’il faut réviser au plus vite. Elle n’est pas conforme à l’histoire de ce peuple, encore moins à son tempérament. En l’espace de 50 ans d’une vie politique bien remplie, nous avons assassiné un juge, poignardé un député, mutilé des policiers en service commandé et tenté d’assassiner par deux fois un président de la République. Deux militaires croupissent aujourd’hui en prison pour avoir tenté de renverser le régime du président Abdoulaye Wade. A ceux-là s’ajoutent tous ceux qui ont été assassinés au couteau ou à la hache dans des querelles de tendance partisanes. Même dans les cours maraboutiques, des khalifes généraux ont parfois été installés les armes au poing. C’est donc un mensonge que de prétendre que nous serions un peuple de sages dans une Afrique sauvage. De ce point de vue, aucun pays ne diffère d’un autre. Quand les peuples voient leurs conditions de subsistance menacées, ils se révoltent. A chaque fois qu’un peuple a pu se libérer de l’oppression, il l’a fait. Croire qu’un peuple est naturellement voué à l’asservissement est une folie. Abdoulaye Wade aura son jour de vérité, comme Senghor et Abdou Diouf en ont eu.
Il est clair que depuis qu’ils croient aux vertus du suffrage universel, les Sénégalais se laissent peu divertir par les querelles partisanes. Ce qu’ils exprimaient dans les rues, ils attendent de l’exprimer dans les urnes. C’est ce qu’ils ont fait savoir à Karim Wade et à son père, le 22 mars 2009. Mais les questions urgentes comme les inondations et les coupures d’électricité, les populations ne les laissent pas attendre. Ce sont des conditions minimales sans lesquelles il est impossible de vivre dans la dignité. Nous sommes allés, sur ces questions, de promesses en promesses, avec un président de la République qui protège son ministre de l’Energie comme s’ils étaient liés par une entente secrète. L’opposition a aussi entretenu ce mythe du sénégalais docile pour se donner bonne conscience et justifier son inaction. Je ne sais pas ce qui s’est passé en si peu de temps, pour que l’on abomine le Sénégal du titre méprisable de « peuple malade ».
Nous avons été en réalité, au pire moment de notre histoire, partagés entre un pouvoir incapable de satisfaire les attentes des populations et une opposition incapable de les exprimer. C’est un jugement sévère que j’exprime-là, mais nous avons des chefs d’opposition qui attendent que leur destin vienne les trouver chez eux. Il y a dans cette opposition des hommes d’une qualité intellectuelle extraordinaire, on s’entend. Mais ils ne veulent pas sacrifier leur tranquillité.
Abdoulaye Wade est sans doute un homme détestable, mais il a su traduire, mieux que quiconque, les pulsions intimes du peuple sénégalais, pour être où il est aujourd’hui. Le fait de vivre au Point-E ne l’empêchait pas de bien exprimer la colère des chômeurs de Guédiawaye.
Tout ceci, pour dire qu’il souffle dans de ce pays un vent de révolte et il serait illusoire et dangereux de le prendre pour un phénomène passager. Il prend racine dans une exaspération et une colère que les populations n’arrivent plus à contenir. Ce sont des mouvements disparates et incontrôlés qui s’expriment un peu partout, mais c’est ce qui les rend dangereux. Les populations s’organisent en clans, en communautés pour se défendre des agressions répétées du régime, au détriment de réponses à l’échelle républicaine. Les communautés se braquent pour dire non, parce qu’elles savent que l’Etat n’existe plus. Les populations de Mont Rolland refusent des déchets sur leur sol, les habitants de Sébikotane disent pas chez eux. Le président de la République est le premier responsable de cette communautarisation du pays, jusque dans la nomination aux plus hautes fonctions étatiques. Quand un ministre est démis de ses fonctions, les populations de sa localité bloquent la circulation, comme s’il s’agissait d’une violation de leur souveraineté. Nous voilà dans la République de marché, vendable à ceux qui savent enchérir. Touba veut un institut, on brade le patrimoine foncier pour lui en construire. Tivaouane veut s’agrandir, on coupe des villages de tradition chrétienne pour les rattacher à la commune. Dès qu’il est arrivé au pouvoir, Abdoulaye Wade s’est attelé à diviser le pays en communautés de mourides et tidianes, femmes et hommes, valides et invalides, pour mieux le soumettre à son joug. C’est d’un machiavélisme qui mérite qu’on s’y attarde. Vous ne pouvez plus critiquer une décision gouvernementale sans passer pour l’ennemi des mourides, des femmes ou des handicapés. Il a maintenant abandonné les commandes du pays pour se livrer à ce qu’il aime le plus, les voyages. Voilà deux semaines qu’Abdoulaye Wade parcourt le monde, sans interruption, rabaissant continuellement les têtes, qu’elles se lèvent ou pas, racontant une contrevérité, puis une autre encore pour se donner de la considération. On ne le voit jamais s’exprimer sur une situation qui, tout le monde en convient, va à la catastrophe. Les Sénégalais n’attendront pas encore trois ans pour espérer d’un homme de 88 ans qu’il règle des problèmes qu’il n’a jamais pu régler. Le pays est au bord d’une implosion sociale, mais il traîne sa cour d’un pays à un autre, avec la même rage de représentation, sans se gêner d’être parfois reçu par des commis de bureau. Ses outrances dépassent maintenant les limites de la dignité humaine. Il a reçu la médaille de l’unité africaine attribuée par une lugubre organisation, sans se rendre compte qu’il s’expose à la moquerie. Cette année, même le maire de Chicago n’a pas daigné le recevoir, l’abandonnant à une de ses employées, qui était toute fière de converser « avec un chef d’Etat ». Un tel homme, Babacar Gaye a raison, il n’y en aura plus. Mais c’est mieux ainsi, Dieu fait bien les choses.
SJD
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