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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

Le commandant d’abord

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Le commandant d’abord

« L’opinion pardonne facilement
tous les vices, sauf la lâcheté »
Claude TAITTINGER

Quand il sera jugé au tribunal de l’histoire, Abdoulaye Wade trouvera au banc des accusés deux grands complices : Adjibou Soumaré et Abdoulaye Diop. Personne n’est allé aussi loin avant eux, dans l’allégeance aveugle. Ils ont été au cœur de toute la vendetta économique de ces dernières années. Leur longévité dans le gouvernement est un honneur rendu à leur loyauté ringarde. Le premier est un zélé irréfléchi. Il sait le président de la République près de le démettre. La semaine dernière, n’eut été une intervention de dernière minute pour le raisonner, Wade aurait changé de Premier ministre… sans changer de gouvernement. Il reproche à Adjibou Soumaré tous les malheurs qui lui arrivent, depuis qu’il a mis cet « homme de la situation » en orbite. « Dafa aay gaaf », répète-t-il à ceux qui ne comprennent pas sa colère. Tout lui retombe dessus, et naturellement, ce fonctionnaire « sans ambition » en rajoute toujours, espérant sauver sa peau d’un prochain naufrage.
Abdoulaye Diop est aveuglé par la même peur, il veut donner des gages pour rester, en espérant que dans le pire des cas, Karim Wade, qui l’a à l’œil, le laissera tranquille. Il est le magicien du Sénégal prospère et émergeant où, depuis l’année dernière, la pauvreté dans les ménages a, comble du paradoxe, baissé de 13%. Quand tout le monde convient que la situation économique du pays est catastrophique, il défend l’embellie. Quand tout le monde s’interroge sur l’endettement frénétique noté ces derniers mois, il nous explique que notre niveau d’endettement nous permet « de nous endetter de nouveau » ! En ces temps difficiles, l’argentier en fait un peu trop. Il a déclaré, devant la représentation nationale, qu’il n’y a aucune commande d’avion pour le président de la République. Ce qui est vrai, je vous dirai pourquoi. Il a ajouté, un peu plus tard, manifestement gêné par la grossièreté de son démenti, qu’il cherchait par tous les moyens des fonds pour acheter un nouvel avion au président de la République. C’est faux. Il n’y a pas de commande d’avion pour le président Wade, parce que l’avion a été acheté depuis le mois de juillet. Il faut avoir beaucoup d’audace pour se permettre de dire aux sénégalais que l’on cherche à acheter un avion déjà acheté. L’avion présidentiel, un Airbus A-321, dérivé de l’A-320, est un avion de seconde main acheté à la famille Khaddafi, qui l’avait elle-même acheté au Sultan de Brunei. Sa réfection, son décor intérieur ne convenaient pas au clan du guide libyen, qui l’a cédé au président de la République du Sénégal. La nouvelle Pointe de Sangomar n’attend qu’un ciel plus clément, moins sujet à des manifestations de colère, pour se poser sur le tarmac de l’aéroport Senghor.
Mais l’histoire de l’avion a commencé bien plus tôt, en 2005. Le Sénégal avait fait part à la Chine de son désir d’acquérir un avion pour le président de la République. En guise de « cadeau de réconciliation », la Chine avait offert au Sénégal, et non à la famille Wade, un Grumman, le même qui sert au président ivoirien dans ses déplacements. L’avion, une fois mis à la disposition de l’Etat du Sénégal, a été enregistré au nom d’une société de droit Suisse et pré-positionné à Casablanca. Il sert aux déplacements des membres de la famille de Wade, alors qu’il a été donné et appartient au peuple sénégalais.
Le chef de l’Etat a sciemment renoncé à un avion que lui offrait en 2002 l’Emir du Qatar, parce qu’il n’avait rien à y gagner. Il avait insisté auprès de l’Emir, pour que l’avion soit mis à son nom, et non à celui de l’Etat du Sénégal. Son conseiller diplomatique de l’époque, pensant que le chef de l’Etat péchait par méconnaissance des règles de la République, y est allé de son ton moralisateur, « monsieur le président, ça ne se fait pas ». Pour toute réponse, Wade lui a rétorqué « ah bon ? ». A son retour au Sénégal, Amadou Diop a été accusé de plagiat (discours de korité du président de la République), et limogé sans ménagement. Le président de la République n’a plus parlé de cet avion, qui devait être offert au Sénégal. Il a préféré la réfection de la Pointe de Sangomar à coups de milliards, avec des commissions douteuses, dont certaines sont allées dans des comptes appartenant à ses proches.

Le plus grave, c’est le montant annoncé pour l’achat de la nouvelle Pointe de Sangomar. L’avion a officiellement coûté 60 milliards, très en-dessus de son coût réel, qui est de 35 milliards. Il va falloir qu’un jour, le ministère des Finances, chargé de l’acquisition, explique où est passée la différence de 25 milliards, et dans quels comptes est allé tout cet argent. C’est donc un maquillage financier grave, du même genre que celui qui concerne le domaine foncier. Sur tout le littoral maritime, le président de la République se fait attribuer des titres fonciers, pour les revendre à des « amis » hôteliers. Il croit qu’au meilleur des cas, il mourra au pouvoir ; qu’au pire des cas, son fils sera président. Tout ceci se passe sous l’œil de deux hommes qui, depuis le départ de Makhtar Diop, il y a 5 ans, s’occupent des finances et du foncier sénégalais, Adjibou Soumaré et Abdoulaye Diop.
Le président de la République agit avec une telle désinvolture quand il s’agit de dépenser des milliards, qu’il y a lieu de s’interroger sur sa santé mentale. La réfection de la Pointe de Sangomar avait déjà coûté plusieurs dizaines de milliards. Et voilà que pour un petit problème de Hublot savamment manigancé, la question de l’achat d’un nouvel avion est brandie, à grand renfort de déclarations de ses alliés de la Cap 21. Il minimisait quand Pape Samba Mboup aggravait pathétiquement, pour dire que « le président de la République mérite un avion ». Cela ne l’a pas empêché d’ordonner sa réfection, pour encore plusieurs dizaines de milliards, presque les mêmes montants investis lors de sa première réfection en 2002. Alors que logiquement, l’Etat aurait pu se contenter de cet avion encore remis à neuf aux frais du contribuable, l’ordre vient d’être donné de le mettre en vente. Les vendeurs de la Pointe de Sangomar, qui avaient mis en vente les deux réacteurs devenus introuvables, cherchent 30 milliards de francs Cfa, soit la moitié des montants dépensés entre réfections et commissions occultes depuis 2002. Il est presque sûr que La Pointe de Sangomar finira sa vie dans les casses de Seattle, après avoir permis à des pontes du régime de s’enrichir impunément. Personne ne prendra le risque de l’acheter.
Ce qui est une provocation inacceptable, ce n’est pas l’achat du nouvel avion. C’est le droit que le président de la République se donne d’accuser qui il veut, après tant de cupidité, tant de liberté prise avec la vérité. Il vient de lancer Nafi Ngom Keita et sa meute sur les traces de Macky Sall et de ses amis, pour pouvoir le jeter en prison. Il s’acharne sur une maison de Ngaparou, alors qu’à Sendou, son petit fils Lamine Faye s’est construit au bord de la mer, un château en marbre au coût de 200 millions de francs Cfa. Il y a chez Wade ceux qui ont le droit de voler parce qu’ils sont de son acabit, et les autres. Que Macky Sall ait profité des largesses de ce régime est un fait. Mais il passe pour un saint à côté de Wade. Ses proches ont d’ailleurs vite fait de publier la liste de ses biens et demandé la mise en place d’une commission indépendante, pour répertorier les biens des caciques du régime. Abdoulaye Wade ne le suivra jamais sur ce terrain. Le chef de l’Etat s’en prend à lui pour son appartement de Houston, alors qu’il est en train de réfectionner à Paris, un immeuble acheté à 6 milliards, aux frais du contribuable. Le gazon, sur lequel Viviane Wade veille particulièrement, va coûter à l’Etat sénégalais 100 millions de francs Cfa.
C’est aussi la preuve que cette dynastie est là pour rester. Elle compte sur un hériter de taille, Karim Meissa Wade. Et c’est Macky Sall qui risque d’en pâtir. Tous les bannis d’hier ont été reçus tour à tour, parfois deux fois : Salif Bâ, Aïda Mbodj, Khoureichi Thiam. Maître Wade veut s’en assurer. A tous, il tient le même langage : « Je ne veux pas avoir la même surprise que pendant l’affaire Idrissa Seck. Je veux savoir clairement à quel camp vous appartenez, celui de Macky ou celui de Karim ». Tous ceux qui sont sortis de là ont conseillé à Macky Sall de démissionner. Mais s’il démissionne, il va en prison !



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